Mayotte : quand la liberté et l’humanité font naufrage...
Le samedi 19 mai dernier a marqué un nouveau drame de la mer sur les côtes de Mayotte. Une embarcation « Kwassa-kwassa »¹ (navire de pêche traditionnel) avec 43 passagers à bord fait naufrage sur la barrière de corail, le bilan est lourd 5 morts dont trois enfants et 15 disparus. A bord de l'embarcation des ressortissants comoriens dont trois enfants et un nourrisson âgé d'à peine quelques mois. Ces immigrants étaient venus rejoindre leur famille, perpétuant des mouvements migratoires vieux de plusieurs siècles entre les îles de l'archipel des Comores. Un drame au bilan dramatique,qui survient quelques semaines après deux naufrages intervenus à douze jours d'intervalle et qui avait fait des dizaines de morts et disparus, dans une indifférence médiatique insupportable.
Mais qui étaient ces immigrants qui viennent jusque Mayotte ? Il ne s'agit pas de clandestins venus « profiter du développement de Mayotte ». Ceux sont des femmes et des hommes privées de leur droit depuis plus de 17 ans. Jusque 1995 la libre circulation entre les îles étaient un fait et un droit acquis depuis des siècles y compris durant la période coloniale française. Des hommes et des femmes qui pour la plus part peuvent prétendre à la nationalité française ou au séjour régulier, se voient priver de leur liberté fondamentale car à Mayotte la législation d'exception règne, et faute de personnels suffisamment qualifiés et en nombre pour traiter leur demande. Dès lors les drames se multiplient. Les moyens que la France a décidé de déployer dans l'île sur la question migratoire sont uniquement destiner à la reconduite à la frontière ; faisant de ce bout de territoire de 200 000 habitants le champion des reconduites à la frontière avec plus de 20 000 par an. C'est dans ce terrible contexte que les immigrants vont emprunter des voies toujours plus périlleuses pour rejoindre les côtes mahoraises et leur famille. La couverture radar de l'île alliée à des moyens de surveillance et d'intervention maritime dont le nombre a augmenté de manière exponentielle, va obliger les immigrants à prendre des risques toujours plus importants pour gagner les côtes.
C'est dans ce contexte que dans le weekend du 19 mai ce nouveau drame maritime est venu s'ajouter à la trop longue liste des naufrages, des victimes en mer dans cet étroit bras de mer large de 70km... Une bande de mer qui sépare le tout nouveau 101ème département français des trois îles voisines de l'archipel des Comores. Un nouveau DOM français que la communauté internationale ne reconnaît pourtant pas et que les Comores ne cessent de dénoncer comme étant occupé illégalement par la France depuis 37 ans. Depuis 1975, l'archipel des Comores posé au beau milieu du Canal du Mozambique dans l'Océan Indien proclamait son indépendance à l'issu d'un scrutin qui s'est déroulé dans des conditions pour le moins obscures et toujours contestés, Mayotte restait sous le joug de la France qui l'administre depuis. Malgré les injonctions et condamnations régulières de l'ONU, de l'OUA (Organisation de l'Unité Africaine) et de la Ligue Arabe (dont les Comores sont membres) la France va maintenir depuis cette date sa présence arguant le principe d'autodétermination des peuples à disposer d'eux-même. En 1995 la France décide d'accélérer le mouvement de développement de l'île et va prendre un certain nombre de mesures qu'elle jugera utile afin d'arriver à ces fins. C'est ainsi que le 1er janvier 1995, le tandem Balladur-Pasqua, respectivement premier ministre et ministre de l'intérieur, va instaurer un visa pour réglementer la circulation entre les trois autres îles de l'archipel et Mayotte. Une fermeture des frontières qui intervient après des siècles de libre circulation entre les îles, mouvement tellement ancien qu'il n'est pas une famille qui soit dispersée sur l'ensemble des îles de l'archipel. Un verrouillage des frontières aux hommes mais également aux marchandises avec l'instauration des barrières douanières sur les échanges « traditionnels » entre les îles des Comores et Madagascar.
C'est cette situation qui combinait avec une politique du chiffre décrétée dès les années 2000 par la France dans sa nouvelle politique d'immigration, qui va conduire et favoriser le développement de la « question » ou plutôt du problème migratoire à Mayotte. Un blocage qui va sédentariser une partie des populations des Comores d'un côté ou de l'autre de ce mur mortel... Le durcissement des contrôles frontaliers et l'augmentation exponentielles des reconduites à la frontière ( les expulsions vont passer de quelques 4000 en 2004 à plus de 26000 en 2010 (dont 6000 enfants mineurs)) vont pousser les migrants à prendre la mer via des passeurs près à prendre tous les risques pour gagner les côtes de Mayotte. Une situation désastreuse qui va transformer cette région en l'un des plus vastes cimetières marins du monde, dans une indifférence quasi-généralisée de la France métropolitaine ou de l'Europe. Tant est si bien que François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT de passage sur l'île de Mayotte fin janvier 2012, soulignait ainsi que « Mayotte, c’est la honte pour Paris : avouer qu’aux yeux de tous, des gens meurent dans des eaux françaises… Si ça s’était passé à Lampedusa, ça aurait fait les gros titres ! ». Et effectivement ces drames sont loin de faire les gros titres dans les médias métropolitains mais aussi et c'est sans nul doute plus inquiétant dans la presse locale, qui ne consacre que quelques lignes dans la rubrique faits divers à ces drames si révélateur de politiques mortifères.
Une situation pour le moins préoccupante voire révoltante dans « cette verrue de la République » (comme le titrait Libération en 2008) pour les associations et une partie de la population qui réfute de plus en plus ces violences et ces « incidents » liés à une politique d'immigration d'objectifs chiffrés qui semble avoir atteint les paroxysmes de violence et d'inhumanité. Le changement politique ne laisse en tout cas pour l'instant présager d'un changement de ligne dans les politiques migratoires à Mayotte comme en France et en Europe.
Thibaut LEMIERE
¹ Barque traditionnelle de 6à 9 mètres transportant marchandises et reconvertit pour l'occasion en bateau de transport de migrants...
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