2010, annus horribilis pour Xavier Bertrand. Les mauvaises passes se succèdent pour le nouveau ministre du travail, de l’empoi et de la santé. Après avoir été poussé vers la sortie de la direction de l’UMP, Xavier Bertrand pensait naviguer dans des eaux plus calmes et profiter de son retour au gouvernement. C’était sans compter sur le délicat dossier du Médiator qui pointe son rôle ambigu voire ses responsabilités dans la même fonction quelques années plus tôt.
Invité lundi de la matinale de France Inter, l’ancien assureur a perdu de son assurance. Mal à l’aise (on le voit boire à de très multiples reprises sur les vidéos) le ministre agressif s’est muré dans le silence, refusant de répondre précisément aux questions qui lui étaient posées par Patrick Cohen, le journaliste de la station publique.
On retiendra surtout que Xavier Bertrand a systématiquement botté en touche, renvoyant journalistes et auditeurs à remise du rapport d’enquête de l’inspection générale des affaires sociales sur le Mediator, le 15 janvier prochain.
L’affaire ne fait que commencer. Différents problèmes se mêlent : la composition moléculaire du médicament très suspecte dès le départ pour sa proximité avec le sinistre
Isoméride , le détournement de notoriété publique de l’usage du médicament en coupe faim, le maintien en circulation du médicament malgré les alertes et enfin les risques de conflits d’intérêts entre des membres de l’Afssaps, agence chargée de maintenir ou non le remboursement d’un médicament, et les laboratoires Servier ; tout est réuni pour un scandale pharmaco-financier hors normes.
Il est notamment reproché à Xavier Bertrand lorsqu’il était ministre de la santé de ne pas avoir réagi à l’avis de la commission de la transparence de la Haute-Autorité de santé (HAS) qui avait, dans un avis du 10 mai 2006 évoqué l’inutilité du Mediator, se prononçant pour son déremboursement. Un avis conforme à celui qu’elle avait déjà rendu le 17 novembre 1999.
Dans un communiqué diffusé ce jour, la HAS indique qu’elle avait connaissance du fait que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) s’engageait dans une réévaluation du rapport bénéfice/risque de ce médicament et que ce point est bien mentionné tant dans l’avis du 10 mai 2006.
Sur la base de ce reproche soulevé notamment par le canard enchaîné, Patrick Cohen pose la question à Xavier Bertrand de savoir il n’y a pas eu de “complaisance” des autorités publiques en faveur des laboratoires Servier.
La crispation du ministre est immédiate. “Complaisance ?, vous rendez-vous compte de ce que vous venez de dire ?”, “Invitez-moi au lendemain du 15 janvier et on commentera ce qu’il y a dans le rapport.”
Si Xavier Bertrand s’est déclaré favorable pour “renforcer la pharmacovigilance”, une évidence partagée par tout le monde, il a surtout tenu un propos saisissant : “On écrit, on entend, on lit beaucoup de choses mais la seule vérité qui sortira sera celle de cette enquête et des décisions que nous serons amenés à prendre ensemble.”
La seule vérité ? Face à un sujet aussi complexe et embrouillé, où s’entremêlent santé publique et intérêts financiers, la seule réponse crédible pour faire la lumière ne peut venir d’une agence satellite de l’État mais, d’une commission d’enquête parlementaire totalement indépendante notamment quand il apparaît que le médicament avait été retiré du marché aux Etats-Unis en 1997 puis en Italie et en Espagne dès 2005.
Il convient de s’interroger sur les responsabilités entre fabricant, autorités sanitaires et politiques. Il y a certes le passé sur lequel on ne peut revenir mais il y a surtout l’avenir qui impose de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Or, le fait que l’Agence de sécurité sanitaire soit désormais intégralement financée par les laboratoires pharmaceutiques, au-delà du seul problème déontologique, interpelle sur notre système de pharmacovigilance.
Le député socialiste Gérard Bapt se bat depuis de nombreuses années pour plus de transparence. Il fait partie de ceux qui ont fortement contribué à mobiliser les médias contre les dangers du Mediator.
Pour autant il ne cache pas
dans les colonnes du JDD son doute dur la capacité à faire émerger la vérité. “J
e suis abasourdi de voir à quel point tous les acteurs du dossier ouvrent le parapluie de peur de devoir rendre des comptes. La semaine dernière, le directeur de l’Afssaps a prétendu, dans vos colonnes, n’avoir eu aucune connaissance des dangers du Mediator avant 2006. Faut-il lui rappeler la notification spontanée du Dr Georges Chiche, de Marseille, en 1999 ? La réalité, c’est que l’Afssaps a beaucoup trop tardé à lancer des études sérieuses sur ce médicament. Je n’accuse pas l’agence d’être le “valet des laboratoires”, mais je voudrais connaître les raisons de son inaction. Négligence ? Complaisance ? En tant que député, je n’ai pas l’intention de passer la main. Le groupe socialiste a pris la décision de demander au président de l’Assemblée la création d’une mission d’information sur le Mediator“.
Dans un rapport sénatorial du 6 décembre 2006 au titre évocateur (Les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments - Médicament : restaurer la confiance), la question était déjà posée très clairement : “Le financement des différentes instances en charge de la politique du médicament, notamment l’Afssaps, pose le problème de sa conformité aux objectifs affichés par les instances communautaires et nationales en matière de transparence du système. La question du financement de l’Afssaps est évoquée de façon récurrente par les rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat qui estiment que le mode de financement retenu n’est pas de nature à assurer l’indépendance de l’agence. Cette opinion est partagée par d’autres institutions ; la Cour des comptes, dans son rapport de septembre 2004 sur la sécurité sociale, faisait ainsi également part de ses interrogations sur les effets que le mode de financement de l’agence pouvait entraîner sur son fonctionnement“.
Dans ce drame qui éclabousse beaucoup de monde, l’embarras de l’exécutif pourrait venir, en dehors du cas Bertrand, d’une nouvelle breloque. En l’espèce, la Grand Croix de la Légion d’Honneur remise par Nicolas Sarkozy en 2009 à Jacques Servier, patron du deuxième laboratoire pharmaceutique français.
Un industriel qui a certes réussi mais, à quel prix ? A lui seul, le Mediator aurait rapporté 1 milliard d’euros au groupe Servier. Et lorsqu’il y a beaucoup d’argent, la politique n’est jamais bien loin. Dans le numéro “Fric et politique” des dossiers du Canard d’octobre 2010, le volatile affirme que le Groupe Servier sait entretenir ses réseaux : “Sous la houlette du laboratoire Servier, [le Cercle Hippocrate] réunit économistes et jeunes loups de la politique pour des dîners dans un luxueux hôtel particulier de Neuilly. L’un des produits de l’école Servier n’est autre que Luc Chatel, le prometteur ministre de l’Education et porte-parole du gouvernement”.