Mélenchon en apesanteur, loin des Français
Il y a 5 ans, il avait été une des surprises de l’élection présidentielle, proche d’accéder au second tour. Il y a quatre ans, après le fiasco du débat d’entre deux tours, il s’était même imposé comme le premier opposant à Macron avant de sombrer, entre excès de comportement et virage communautariste. A quelques semaines du 10 avril, même s’il est en tête à gauche et fait toujours preuve d’une belle densité intellectuelle, il est moitié plus bas qu’il y a 5 ans. Pourquoi ce divorce avec les Français ?
Aplatissement du monde et Indifférence à la France
Après son meeting de Nantes, Michel Onfray avait publié un papier très juste, disant de lui qu’il était, « avec Eric Zemmour, le seul à poser le problème des présidentielles en termes de civilisation », l’un « penseur de la clôture », l’autre « penseur de l’ouverture ». Il n’a pas tort de dire que « l’un et l’autre, hommes de culture passionnés d’Histoire, font paraître pâles les autres prétendants à l’Elysée ». Sur le ton, comme l’a bien montré l’émission de France 2 la semaine dernière, il s’est apaisé, sans doute pour paraître moins inquiétant. Il faut reconnaître que sur la forme, il s’en est bien tiré, surtout face à un Laurent Guimier confit de certitudes et le prenant de haut. Mais ce dernier était bien mal avisé de s’y prendre de la sorte, Mélenchon offrant une habileté et roublardise robustes face à ses attaques assez mesquines.
Mais s’il est un débatteur habile, c’est bien sur le fond que Mélenchon a perdu les Français depuis cinq ans, alors que l’anéantissement du PS et l’avènement de Macron lui offrait une opportunité historique de s’imposer. Et ses dernières interventions permettent bien de comprendre pourquoi. Il s’enferme dans une radicalité intellectuelle minoritaire, qui, si elle peut convaincre un Français sur dix, l’a rendu plus repoussant que le RN. Et cette radicalité est bien plus culturelle et sociétale qu’économique.
La première faiblesse de Mélenchon est sans nulle doute son idée de « créolisation ». Faut-il être étonné que tant de Français ressentent une « insécurité culturelle », pour reprendre le terme du regretté Laurent Bouvet, quand un des possibles finalistes de la précédente élection présidentielle fait de la créolisation l’horizon indépassable de l’évolution de notre société, « l’échange, le jaillissement de l’inattendu, quand les cultures se parlent entre elles, s’interpénètrent et produisent quelque chose à quoi on ne s’attendait pas mais qui est notre dénominateur commun », comme il l’a dit à Nantes. Mais dans ce meeting, ce qui était également clair, c’est que pour Mélenchon, il n’y aurait finalement qu’un peuple humain, qui serait amené à terme à totalement fusionner, jusqu’à effacer toutes les frontières nationales.
Et pour lui, cette vision des choses, comme il l’a déjà indiqué, ne peut même pas être débattue, ce serait un fait, qui s’imposerait à nous. D’ailleurs, en janvier, il affirmait : « Allez dans n’importe quelle rue de Paris ou d’ailleurs et vous verrez partout des pancartes en anglais. La créolisation est en train d’avoir lieu » ! L’invasion du globish, pourtant instrument du pouvoir des Etats-Unis et des multinationales, est donc un signe, positif, de la créolisation pour Mélenchon ! Passons sur les contradictions profondes que représente cet triste aplatissement linguistique du monde, il représente une vision assez effrayante du monde qui aurait donc vocation à être aplati, linguistiquement, mais aussi culturellement, dans un mélange sous forte influence étatsunienne. L’effacement du français ne semble pas le préoccuper.
Plus globalement, Mélenchon semble vouloir tellement prendre de la hauteur qu’il voit à peine la France, qui ne serait plus qu’une des composantes de ce peuple humain destiné à se fondre, quitte à y perdre son identité et sa culture, au profit d’un gloubiboulga globalisé. Singulière vision de l’universalisme que cette acceptation, et même cette promotion de l’aplatissement du monde ! Pourtant le Général de Gaulle avait dessiné une autre vision de l’universalisme, profondément respectueuse des identités, et refusant l’aplatissement étatsunien du monde, sans pour autant être fermé à l’évolution de la société. Et ici, il est probable que la créolisation de Mélenchon est le sujet sur lequel sa position le rend ultra-minoritaire, d’autant plus qu’il soutient que « l’immigration serait le facteur N°1 de progrès de l’humanité ».
En 2022, Mélenchon ajoute une radicalité fiscale. Même si cela fait plus de dix ans que je relaie les analyses de Piketty et consorts, et ai toujours plaidé pour une fiscalité bien plus redistributrice, avec une augmentation, toute rooseveltienne, de la contribution des plus riches, certaines propositions de Mélenchon me semblent excessives. Vouloir « tout prendre » comme il le dit, au-delà de 12 millions d’héritage, donne une coloration particulière à son programme. De facto, pour les familles de milliardaires, cela revient à une forme d’expropriation à la mort, qui peut rendre ses positions facilement caricaturables et probablement marginales. Mélenchon aurait été mieux inspiré de se présenter comme un héritier de Roosevelt plutôt que de pouvoir être apparenté, certes abusivement, aux communistes russes.
Mais c’est sans doute sa distance à la France qui perdra définitivement Mélenchon, lui qui hésite entre le « nous » et le « ils » quand il parle des Français en meeting, ou refuse de dire « Vive la France », après « Vive la République » avant de chanter la Marseillaise. Ce faisant, il a ouvert un boulevard à un Fabien Roussel, dont on peut penser que l’enracinement proclamé a créé le contraste positif qui l’a fait émerger.
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