Michèle Rivasi, une antinucléaire devenue antivax
« La France s’enlise dans une dangereuse crise de confiance des citoyens envers leurs institutions censées protéger leur santé. » (Michel Rivasi, avril 2015).
On peut n'avoir que 70 ans, ce n'est plus tout jeune mais c'est quand même un peu tôt pour mourir, et être victime d'une crise cardiaque. Ce fut le triste sort de la députée européenne écologiste Michèle Rivasi ce mercredi 29 novembre 2023 dans la matinée alors qu'elle se rendait au siège bruxellois du Parlement Européen. Elle a été immédiatement transférée à un hôpital de Bruxelles où elle s'est éteinte. Née le 9 février 1953 à Montélimar, elle était une femme politique expérimentée après avoir été une militante acharnée...
J'imagine la tristesse des proches, un tel événement est toujours un séisme dans une vie, mais il faut bien constater que Michèle Rivasi défendait des causes qui ne m'ont pas paru pertinentes, surtout depuis quelques années. Être diamétralement opposé aux idées ne signifie pas ne pas saluer la femme engagée qu'elle était. Pourtant, il y a un paradoxe à voir aujourd'hui l'extrême droite rendre hommage à cette militante écologiste résolument engagée à gauche.
Normalienne, elle était professeur agrégée de sciences naturelles et a enseigné à l'IUFM de Valence puis de Grenoble, quand sa vie militante et politique le lui permettait. Je passe sur son excursion ratée dans le management : directrice de Greenpeace France de septembre 2003 à novembre 2004, elle aurait mis la pagaille dans l'équipe d'une cinquantaine de personnes qu'elle devait motiver et a été rapidement remerciée.
Michèle Rivasi s'est fait connaître à l'époque de la catastrophe nucléaire de Tchernbyl ; elle refusait de croire, avec raison, que le nuage nucléaire s'était arrêté, comme le prétendaient les autorités françaises, à la ligne bleue des Vosges. Elle a créé avec d'autres militants et présidé la Commission de recherche d'information indépendantes sur la radioactivité, autrement dit, la CRIIRAD. Elle fut également la vice-présidente du Centre de recherche et d'information indépendante sur les rayonnements électromagnétiques (CRIIREM). Dans les années 1980, elle militait notamment aux côtés de Corinne Lepage, future ministre et future candidate à l'élection présidentielle.
Cet engagement militant l'a placée sur le terrain électoral. Élue conseillère municipale de Félines-sur-Rimandoule, une commune de moins de 100 habitants dans la Drome, elle a été élue députée de la Drome en juin 1997 de manière très serrée avec l'appui du parti socialiste et des Verts (tandis qu'elle a battu Patrick Labaune qui retrouva son siège en juin 2002). Inscrite au groupe socialiste, Michèle Rivasi a exercé pendant cinq ans son mandat de députée où elle s'est surtout préoccupée des questions d'environnement, d'énergie (elle a enquêté sur Superphénix), de la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche, etc.
Après son échec pour sa réélection en 2002, elle a relancé sa carrière politique en s'engageant au sein des Verts en 2005 et en s'implantant à Valence : en mars 2008, elle a été élue conseillère générale de la Drome (et vice-présidente du conseil général) ainsi qu'adjointe au maire de Valence. Elle a mené la liste aux municipales de 2014 mais, battue, ne fut élue que conseillère municipale jusqu'en 2020. Michèle Rivasi fut élue députée européenne sans discontinuité depuis juin 2009 (réélue en 2014 et 2019), sur les listes écologistes.
En avril 2015, Michèle Rivasi a choqué beaucoup de monde en déclarant ceci : « Aujourd’hui, les vaccins créent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent, il est temps de changer de paradigme sur la prévention. ». Si cette petite phrase franchement antivax est restée discrète pendant quelques années, elle a été rappelée par la Ministre de la Santé Agnès Buzyn elle-même le 13 mars 2019, avant les élections européennes. En fait, elle a provoqué des remous au sein de son parti écologiste dès le 10 juillet 2017 car elle militait contre l'obligation vaccinale proposée par le gouvernement : « La France serait le premier pays d'Europe à vouloir imposer avec autant de force la panacée vaccinale. À raison ? Justement pas. ».
Désinformation ou informations médicales mal digérées, toujours est-il que Michèle Rivasi, probablement sincère, a fait le jeu des antivax et des complotistes en se lançant très maladroitement contre les supposés lobbies pharmaceutiques. Après la relance de la polémique par le gouvernement, elle a tenu à nuancer sa position dans une note le 12 mars 2019 intitulée : « Oui aux vaccins, non aux lobbies ! ». Elle y affirmait : « Que les choses soient claires : je ne remets pas en cause l’utilité de la vaccination, et je sais ce que les vaccins ont apporté en termes de progrès sanitaires au XXe siècle, de lutte contre la mortalité infantile… (…) Mon combat depuis toujours a été pour la transparence et l’information des citoyens. (…) Je l’affirme donc haut et fort : je suis pour la vaccination ; pour la protection de la santé. (…) Il faut exiger la transparence dans les prises de décisions et s’assurer que les décisions prises, notamment en ce qui concerne la loi sur l’obligation vaccinale, n’ait pas été prise ou suggérée sous l’influence du lobby pharmaceutique. Il faut mettre fin aux conflits d’intérêts et aux portes tournantes entre les élus et les dirigeants et experts d’agences sanitaires et les laboratoires pharmaceutiques. ». Pourtant, les médecins sont déjà tenus à publier les différents intérêts qu'ils pourraient avoir dans l'industrie pharmaceutiques.
Malgré les dénégations de la députée européenne, tout dans son discours reprenait le vocabulaire voire les rumeurs et les mensonges des antivax. Pire, elle a récidivé contre le vaccin contre le covid-19, doutant de sa fiabilité future dès le 25 avril 2020 (donc de manière totalement gratuite puisque la première communication sur l'efficacité de tels vaccins n'a été publiée que le 9 novembre 2020) dans un tweet qu'elle a finalement supprimé avec précipitation après les pressions de son propre parti, mais elle a à nouveau abusé de Twitter en comparant excessivement le passe sanitaire à l'apartheid le 12 juillet 2021. Bien plus tard, en 2023, elle a participé à la rédaction d'un livre aux côtés de parlementaires ou anciens parlementaires ouvertement antivax.
Son discrédit scientifique est devenu complet (malgré ses diplômes et titres) lorsqu'elle a soutenu l'homéopathie (la justifiant par la prétendue mémoire de l'eau) et même en faisant la promotion de l'anthroposophie appliquée au traitement du cancer, ainsi qu'en s'opposant aux ondes wifi et aux compteurs Linky. Le "Journal internationale de médecine" a ainsi sacrée Michèle Rivasi « reine de l'alterscience » le 18 février 2017, l'accusant de colporter des rumeurs complotistes erronées.
Le problème de ce type de positions pour Michèle Rivasi, c'est qu'elle bénéficiait d'un fort écho médiatique par son engagement militant et son mandat de parlementaire européenne, ainsi que par sa candidature le 1er août 2016 à la Présidence de la République.
Effectivement, Michèle Rivasi a voulu participer à la primaire des écologistes pour l'élection présidentielle de 2017 et a créé la surprise : elle a dépassé Cécile Duflot le 19 octobre 2016 avec 30,2% des voix et s'est retrouvée projetée dans un second tour face à Yannick Jadot qui, finalement, allait gagner la partie le 7 novembre 2016 avec plus de 54,2% des voix... mais de manière très provisoire puisqu'au fil de la campagne, il s'est effacé au profit du candidat socialiste.
Elle comptait vivement se représenter aux élections européennes de juin 2024 pour un quatrième mandat au Parlement Européen. Dans son dernier tweet, un jour avant sa mort, elle rouspétait encore contre ce qu'elle appelait le lobby pharmaceutique...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Michèle Rivasi.
Hubert Reeves.
Yannick Jadot.
Sandrine Rousseau.
Élysée 2022 (5) : profondes divisions chez les écologistes.
Grégory Doucet.
René Dumont.
36 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON