MoDeM : qui tient la barre ?
La défaite ou le mauvais résultat annoncés du parti de François Bayrou sont récurrents partout, à quelques rares localisations près, les autres partis ne subissant que des fluctuations modestes qui, combinées, peuvent cependant modifier la sentence.
Le navire MoDem, dès l’origine, est fait de bric et de broc, de la poupe à la proue et de la quille au grand mât, qui, de plus, a perdu des éléments de sa coque et surtout de sa mâture depuis Seignosse et Villepinte (assemblées fondatrices). Il continue d’abandonner des composants que récupèrent parfois des grands vaisseaux de la flotte au milieu de laquelle il brinquebale (Poitou-Charentes par exemple), sans cap bien déterminé. Il s’agit bien entendu des « stars » qui sont partis comme des militants de base dont le nombre décroît régulièrement sans que ces « lâcheurs » deviennent des opposants pour autant. Pourquoi ?
Le capitaine Bayrou a voulu tenir la barre très fermement avec quelques officiers courtisans et sans l’adhésion pleine et enthousiaste de l’équipage, les élections internes étant fortement contestées.
Et il ressasse les mêmes antiennes : « Soyez indépendants au premier tour puis allez où bon vous semble à condition que ce ne soit pas à l’UMP ». Cela rappelle l’amusante incitation de Henry Ford s’adressant aux acheteurs d’un de ses modèles d’auto : « Choisissez la couleur que vous voulez, à condition que ce soit le noir ».
La consigne est claire, mais ne peut pas souvent être respectée sur un terrain trop varié, saturé et dans des situations politiques complexes paradoxales parce que nouvelles : c’est là sans doute, la spécificité des régions.
Paris, pas seulement pour le MoDem, semble l’ignorer et se comporte encore aveuglément comme un protagoniste puissant et déterminant, un décideur.
Dans le cas du Modem, il faut reconnaître que les médias dont le Béarnais se plaint si souvent le soignent particulièrement bien, car c’est toujours le troisième homme des 18% qu’ils gardent en mémoire. Malheureusement pour ses candidats, il a perdu beaucoup de cette force, au moins pour le moment et en la circonstance.
« Souvenir, souvenir, que me veux tu ? ». De nombreux participants enthousiastes de Seignosse et de Villepinte entendent Verlaine en se rappelant les belles espérances de « politique autrement ».
Des mutineries à bord.
Et vogue la galère vers des rivages incertains malgré le courage parfois désespéré de rameurs, de qualité de surcroît, dont on ne peut qu’admirer la persévérance ! On en trouve sur toutes les listes, car il reste des fidèles, qui seront bien utiles après l’accostage, s’ils ne sont pas découragés. Certains pourtant n’ont pas la fibre orthodoxe et prennent quelques accommodements avec la consigne. Corine Lepage par exemple dont le potentiel n’a jamais été exploité à bon escient et qui « flirte » volontiers avec les écologistes patentés, même ouvertement à Strasbourg. Même sous-employée, a-t-elle oublié qu’elle était députée européenne par la grâce du MoDem ?
En Alsace, Yan Wehrling n’exclut pas une prise de contact avec l’UMP du sénateur Richert qui sait bien, quant à lui, que les voix dites centristes non -UMP lui reviendront en grande partie au second tour. De nombreux électeurs alsaciens qui ont vu leurs élus UDF rejoindre l’UMP dans une alliance de Centre-Droit (avant la prise de pouvoir de Sarkozy) sont encore convaincus aujourd’hui que Philippe Richert, dont les atouts ne manquent pas par ailleurs, représente ce bon vieux centre modéré et tolérant auquel ils veulent ressembler. C’est ce qui explique, partiellement en tout cas, l’avance énorme que lui prédisent les sondages les plus récents. Le candidat du MoDem l’a compris et contrevient aux injonctions de son suzerain qui lui a octroyé le « fief Alsace ». Il est bien naturel qu’il veuille participer à la fête qui s’annonce. Qui lui en voudrait d’avoir les mêmes préoccupations que beaucoup d’autres de ses congénères-candidats ?
Ces récalcitrants seront-ils sanctionnés ? C’est là que se pose le problème de la survie du MoDem. Le capitaine est toujours à la barre et saura analyser » pro domo » les résultats, comme tous les autres à l’accoutumé.
Mais tout n’est pas perdu.
La défaite ou du moins la mauvaise performance pourraient devenir salutaires. A condition d’en faire intelligemment bon usage. Les désormais fameux 18% de François Bayrou n’étaient pas nés d’un artifice mais d’une réelle manifestation démocratique, compte tenu, bien sûr, de l’offre du moment. Et ce moment peut se reproduire non parce que « bis repetita placent » (on recommence tout avec les mêmes) mais parce que l’homme, en dépit de ses faiblesses, ses maladresses, les injustices ( internes), garde un capital extraordinaire de sympathie et même de confiance. Croyant s’affirmer davantage dans une confrontation âpre, il a agacé nombre de ses sympathisants, mais quand même, c’est Bayrou. Il se place lui-même au-dessus de çà et ses intervieweurs l’y forcent.
« La situation est grave dans notre pays qui n’est pas à l’abri des difficultés de la Grèce » (ou des PIGS, soit le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne). Pour une fois, il approuve franchement l’attitude solidaire du président de la République envers le pays en difficulté, attitude contraire à celle de Mme Merckel. On peut se demander à ce sujet pourquoi la chancelière et surtout l’Union Européenne, n’attaque pas en justice Goldman Sachs, conseil de la Grèce, présumé avoir maquillé les comptes ? Bayrou y a-t-il pensé ?
Enfin c’est bon signe pour lui : on commence à en vouloir à sa garde rapprochée dont Marielle de Sarnez semble la cible la plus souvent visée. Le « bon prince » est mal conseillé, à l’interne. C’est dire. Mais sa vision est celle d’un homme d’état obstiné (il évoque la ténacité de Churchill, Mendès-France, de Gaulle etc). Face à la crise porteuse d’une destruction massive plus gravement sociale et morale qu’économique, « un rééquilibrage est une nécessité à laquelle personne n’échappera », entendez ni pays ni parti. Et face à cette nouvelle situation, le MoDem resterait un parti original, nouveau, avec lequel son chef entend « construire une alternative ».
Alors quid des militants ?
« Les élections se jouent dans les dernières heures », dit le maître qui doit se souvenir de la fâcheuse dispute qui l’a opposé à Cohn-Bendit à la veille des élections européennes et peut-être de son impact électoral.
Il reste donc aux militants à militer en se serrant les coudes, puis à tirer toutes les leçons des résultats. En l’état, le MoDem n’est pas un parti en situation de crédibilité, pour agir efficacement. Trop de rancœurs accumulées par des injustices internes, des manquements au règlement, des maladresses, des haines personnelles, des malentendus le plus souvent et puis les humeurs, des ambitions, des rappels aux origines de l’engagement (tu viens d’où, toi ?) semblent la cause première de cet état d’esprit stérilisant. Tout cela, avec des gens intéressants et potentiellement productifs d’idées et d’actes.
Mais çà, on sait que cet état d’esprit est très répandu dans notre société, nos partis, nos associations et jusque dans nos familles. Partout, il faudrait pouvoir aller au « tabula rasa » cartésien, à la case départ vierge, en français d’aujourd’hui, avec quelques accommodements de circonstances. Et chaque fois, rien que pour débarrasser la table, il faut un chef ou plus gentiment un animateur « accepté ». Les partis à organigramme établi, les grands, n’ont pas ce problème : ils ont leurs porte-voix qui relayent les idées de leurs élites, légitimées par l’élection.
S’ils s’amendent intelligemment, ils peuvent survivre et même jouer un rôle déterminant dans conjoncture politique favorable. Il leur faudra aussi pour cela " repêcher" quelques leaders anciens qui, bienveillants mais sceptiques, sont restés en quelque sorte "fidèles à distance".
Bien qu’orange ne soit pas rouge, avec Aragon les Bayrouistes pourront clamer alors ou chanter le même refrain avec Ferrat :
« Un jour pourtant, un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche ».
Après la campagne, bien entendu, ou encore plus tard.
Antoine Spohr
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