Monaco passe à l’heure d’été sans sortir du Moyen Âge
Mardi 3 avril 2007 à 18 heures, première séance publique du printemps au Conseil national de la principauté de Monaco. À la surprise générale et devant un public ébahi et révolté, le gouvernement du Prince Albert II de Monaco rejette purement et simplement la proposition de loi n°187 émise par les parlementaires, visant à dépénaliser l’avortement thérapeutique (à ne pas confondre avec l’IVG).
Petit rappel pour comprendre : la principauté de Monaco est une monarchie constitutionnelle dont le pouvoir est divisé en deux instances, d’une part le gouvernement princier constitué d’un prince (dont le statut est acquis par le droit du sang et de la primogéniture masculine), d’un ministre d’État coopté (équivalent d’un Premier ministre) ainsi que cinq conseillers de gouvernement (tous cooptés par le prince), et d’autre part le Conseil national constitué de 24 élus du peuple, équivalent français du Sénat. Pour qu’elle puisse être promulguée, « la loi implique l’accord des volontés du prince et du Conseil national » (Article 66 de la Constitution). Précisons que le Conseil national n’a pas l’initiative des lois, il peut seulement les proposer. Seul le gouvernement est habilité à établir des projets de lois qu’il soumet aux conseillers nationaux. De plus le prince dispose d’un droit d’arbitrage suprême et peut passer outre les procédures standards soit en promulguant lui-même des lois par ordonnance souveraine, soit en opposant son droit de veto, soit en prononçant la dissolution du Conseil national. Il faut souligner également que bien que la liberté de culte soit garantie, Monaco est un état concordataire et la religion catholique romaine est définie comme religion d’État.
L’intégralité de la Constitution monégasque peut être consultée ici :
http://mjp.univ-perp.fr/constit/mon1962.htm
Ce mardi 3 avril a donc marqué un moment historique dans la vie politique monégasque, car un grave désaccord a opposé le gouvernement princier au Conseil national.
Résumé de la situation
Il faut d’abord savoir que la principauté de Monaco est dotée d’un dispositif pénal particulièrement archaïque en matière d’avortement :
- L’avortement y est interdit sous toutes ses formes et quelle qu’en soit la raison ou la justification, même médicale, il est considéré comme un crime.
- La femme qui se rendrait coupable d’avortement risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Elle est en outre déchue de ses droits parentaux et l’avortement est une justification valable pour obtenir le divorce.
- Le médecin et le personnel médical qui se rendraient coupables d’avoir pratiqué un avortement risquent quant à eux jusqu’à dix ans d’emprisonnement et se verraient interdits d’exercer.
- Les cas de grossesses chez une mineure, ou qui résulteraient d’un viol ou d’un inceste ne sont pas reconnus comme opposables à l’interdiction d’avorter.
Conscients de l’absurdité d’un tel arsenal législatif, les élus monégasques ont rédigé tout naturellement une proposition de loi visant, non pas à brutalement légaliser l’avortement volontaire (il n’a jamais été question d’IVG dans le texte de la proposition de loi), mais simplement à faire évoluer la loi en dépénalisant la pratique de l’avortement dit « thérapeutique » dans les cas qui le justifient pleinement : viol, inceste, danger pour la santé de la mère, anomalie avérée du fœtus. Entendons bien que le but de cette proposition de loi n’était pas de totalement libéraliser l’avortement, mais simplement de transférer la décision du législateur vers le corps médical pour ce qui concerne les grossesses à risques ou à problèmes.
Longuement peaufiné et travaillé par la Commission des droits de la femme (siégeant au Conseil national et constituée d’élus et de spécialistes), le texte final qui a été soumis à l’appréciation du gouvernement princier était solide et bien argumenté. Les élus ont pris moult précautions pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec les susceptibilités liées à la morale religieuse. Le clergé catholique, son archevêque Mgr Bernard Barsi en tête, voyait en effet d’un très mauvais œil la préparation de ce projet.
Le fait est que lors de cette fameuse séance publique du 3 avril, la déclaration du ministre d’État, selon laquelle le gouvernement princier avait décidé de purement et simplement retirer ce projet et, en somme, de le censurer au prétexte de « respecter les convictions religieuses d’une partie de la population », a provoqué un tollé général, tant de la part des élus que du public venu assister aux débats.
Nous ne reprendrons pas par le menu les propos qui ont été tenus par les différents intervenants. Vous pouvez visionner l’intégralité de cette séance publique sur le site officiel du Conseil national (séance du mardi 3 avril 2007, passer la première heure sans grand intérêt, le débat proprement dit commence à peu près à la 75e minute) dont voici l’adresse :
http://cn.stream.monaco.mc/rediff.php?video=wmp&debit=haut
Quelques commentaires suffiront pour clarifier la lecture : D’abord il faut apprécier le fait que majorité (seize membres) et opposition (huit membres) se sont retrouvées unies sur le terrain de cette contestation, montrant une vraie solidarité pour améliorer la condition féminine telle qu’elle prévaut en principauté de Monaco. Il y a lieu ensuite de savoir que Monaco, étant à la fois pays membre de l’ONU et pays membre du Conseil de l’Europe, a été mis en demeure de la part de ces deux organisations internationales de faire progresser sa loi en matière d’avortement. Le Comité des droits sociaux des Nations unies note avec préoccupation en mai 2006 que l’avortement est illégal en toutes circonstances dans l’ordre juridique monégasque et recommande à l’État de réviser sa législation et d’envisager des exceptions à l’interdiction générale pour des considérations d’ordre médical et dans le cas où la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste.
Il est plaisant aussi de souligner un énorme paradoxe : les services médicaux de la principauté de Monaco sont modernes et performants. Il y a tout ce qu’il faut pour assurer le suivi des femmes enceintes : échographie, amniocentèse, dépistages divers et variés. Pourtant, à quoi peuvent bien servir toutes ces précautions puisqu’au final, si l’un de ces tests révèle une quelconque anomalie, l’avortement reste et démeure interdit ? Absurdité ou hypocrisie ?
La réponse est simple : l’avortement est peut-être illégal à Monaco, mais il ne l’est pas en France. Quand la décision d’y avoir recours est prise, les femmes vont donc discrètement dans une clinique niçoise où cela se passe très bien. Ce décalage entre la loi française et la loi monégasque arrange bien les affaires du gouvernement monégasque qui, finalement, fait semblant de ne rien voir.
La décision du gouvernement princier, digne du Moyen Age, n’aura donc pour autre effet que de continuer à entretenir l’hypocrisie car, bien évidemment, la femme qui décide d’avorter, pour raison médicale ou autre, reste, fort heureusement, protégée par le secret médical.
Il n’en demeure pas moins que l’opposition entre Conseil national et gouvernement princier est considérée par beaucoup comme une crise politique grave, car les plus fins observateurs n’ont pas manqué de poser la question qui fâche : Qui dirige réellement Monaco ? Sont-ce les intégristes catholiques fortement représentés en principauté, avec la bénédiction du Vatican ? Sont-ce les gardiens de la tradition effrayés à l’idée même de prononcer le mot « progrès » ? Est-ce le prince qui veut plaire à ses amis curés ? Est-ce la France qui cherche à affaiblir le pouvoir du prince en le discréditant ?
Une chose est certaine, ce n’est ni le peuple ni leurs représentants élus, et au XXIe siècle, c’est grave.
Toujours est-il qu’Albert II de Monaco est sorti de sa réserve le 6 avril, trois jours après « l’événement », se fendant d’un communiqué officiel se voulant rassurant en essayant de ménager la chèvre et chou. Faisant appel au calme et à la sérénité, le chef suprême se pose en arbitre et prétend vouloir rester au-dessus de la mêlée. Belle hypocrisie alors même que la décision “d’avorter” le projet ne pouvait émaner que de son cabinet !
Même s’il est évident que l’archaïsme de nos lois fait aujourd’hui plus de mécontents que de satisfaits, on sent bien que l’Eglise est un peu (beaucoup ?) derrière tout ça et ne veut pas nous lâcher la grappe. Nous en voulons pour preuve cette phrase princière extraite de son communiqué : « [...] la prise en considération de toutes les dimensions de la question, y compris au plan institutionnel. » Or qu’est-ce que le Souverain entend par « plan institutionnel » sinon les engagements concordataires pris par la principauté pour y faire respecter un droit totalement inféodé à l’engeance vaticano-intégriste, une loi qui bafoue et méprise les droits de la femme ?
Amen.
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