Monsieur Juppé, Je vais vous expliquer
Hier soir, les différents “ténors” de l’UMP semblaient quelque peu surpris de la déclaration de François Bayrou, notamment Alain Juppé qui « ne comprend pas » la position du dirigeant centriste qu’il trouve « incohérente ». Ne voulant pas laisser Alain Juppé dans une telle situation, je vais essayer de lui expliquer clairement la cohérence de cette position.
Politiquement, je ne suis pas en accord avec François Bayrou (j’ai voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour), mais je vois personnellement une grande cohérence politique à sa position, exprimée hier soir. Cette position est cohérente sur (au moins) 4 plans :
- Le mode d’exercice du pouvoir de Nicolas Sarkozy
- Les relations politiques entre le Modem et l’UMP
- La personnalité de François Bayrou, telle qu’elle est perçue par les citoyens
- La vision politique stratégique de François Bayrou
Premièrement : François Bayrou a, depuis le début du quinquennat, dénoncé les dérives antirépublicaines de Nicolas Sarkozy, sans faire les longues litanies de ces dérives, il faut se souvenir que François Bayrou a souvent été en pointe sur la défense des valeurs républicaines, plus énergiquement même que la gauche (et l’électeur de gauche que je suis n’est pas fier de le reconnaître…). Cette critique musclée se traduira par un livre très critique envers Nicolas Sarkozy (Abus de Pouvoir), où le Président de la République est décrit comme un « enfant barbare ». On voit mal où aurait été la cohérence d’un appel à voter pour celui qu’il a dénoncé aussi fortement !
Deuxièmement : On se souvient que François Bayrou a refusé d’entrer dans la grande machine électorale UMP, craignant une « dilution » des idées centristes, et l’actualité récente lui donne tragiquement raison. Mais il faut se souvenir que dès la création de l’UMP, un des mots d’ordre de celle-ci a été le laminage du parti « Bayrouiste », laminage qui a pris des dimensions « industrielles » à partir de 2007. François Fillon avait beau jeu de fustiger hier « l’homme isolé », il a oublié de préciser : « isolé par des actions méthodiques » de l’UMP (débauchage de la majorité des élus du Modem, création du Nouveau Centre pour siphonner sa base électorale, accusation de « basculage à gauche »). Ce n’est qu’au début de cette campagne que certaines voix ont expliqué que François Bayrou fait partie de « la famille », depuis 10 ans, l’UMP a été particulièrement dure avec « sa famille » ! Là encore on ne voit pas bien l’incohérence de la position.
Troisièmement : François Bayrou est une figure très respectée des français qui reconnaissent sa modération, son engagement pour les valeurs de la république et surtout son courage politique. D’après lui, son séjour dans une communauté « Lanza Del Vasto l’a beaucoup marqué, et l’a probablement définitivement vacciné contre certaines dérives extrémistes Il fallait être particulièrement naïfs, voire méprisants, pour croire qu’il suffisait de lui faire miroiter un poste de 1er ministre pour le voir venir « à la soupe »...Lui le premier sait que cela aurait définitivement détruit son image politique. Le chemin qu’il a choisi est différent, peut être par ambition, mais c’est l’ambition du rôle qu’il croit devoir jouer, pas celle d’obtenir une prébende. Je ne partage pas sa vision politique, mais il a à l’évidence, le courage de ses ambitions.
Quatrième point et certainement le plus important : sa déclaration d’hier est dans la droite ligne de sa stratégie politique : créer un parti centriste indépendant et puissant, permettant d’évoluer du bipartisme vers un « tripartisme ». Dans sa vision, le centre aurait un rôle modérateur de la vie publique mais serait aussi faiseur de « rois ».Il ne fait pas de doute qu’avec un Modem très puissant, nous n’aurions pas assisté à la dérive terrible de l’UMP, particulièrement depuis une dizaine de jours, mais aussi depuis de début du mandat de Nicolas Sarkozy. Il ne fait pas de doute, non plus, qu’avec trois grands partis, le centre pourrait s’allier avec la droite, ou avec la gauche, suivant les convergences de programmes et le contexte national, des convictions politiques très fermes (sur les valeurs de la république, les finances publiques, l’Europe) devant éviter toute dérive opportuniste. De ce point de vue, François Bayrou est « anti mitterrandiste », au sens où Mitterrand disait que les centristes sont « ni de gauche, ni de gauche », François Bayrou, lui, croit à un centre qui ne soit « ni de gauche, ni de droite ». Tactiquement, on peut se demander si sa position d’hier favorisera ou non son projet de regroupement du centre (le « Nouveau Centre » semble avoir peu goûté cette prise de position), mais cette position est courageuse : C’est un acte dans la droite. Ligne de ses convictions et de sa stratégie : il finira par en tirer bénéfice.
On le voit, il faut avoir perdu tout sens de l’analyse politique pour ne pas comprendre la totale cohérence de cette position, et être totalement aveuglé par les délires sarkozystes (le 6 mai, le 6 mai etc.). On ne sait pas très bien ce que donnera François Hollande, s’il est élu (Nicolas Sarkozy, lui on sait, et c’est calamiteux), mais il faut saluer la qualité de son commentaire sur la déclaration de celui qui, dans la reconfiguration politique probable après le 6 mai peut devenir un concurrent sérieux : François Hollande a rappelé que François Bayrou n’est pas un homme de gauche, il ne s’est pas « rallié » au projet « Hollande », il a pris une décision courageuse et libre. La hauteur des déclarations de ce côté de l’échiquier politique faisant contrepoids à la campagne caniveau de l’autre.
Par ailleurs, les « marchés » sont venus fort à propos hier balayer le dernier doute de François Bayrou, en permettant à la France d’emprunter 7 milliards à un taux très bas, les « marchés » montrant ainsi qu’ils ne redoutent pas trop une élection de François Hollande, et tous cas, la catastrophe financière annoncée par l’UMP en cas d’élection de François Hollande, aurait dû connaître sa première péripétie hier. En tant qu’électeur de Jean-Luc Mélenchon, cela ne me rassure pas trop… Mais cela a dû rassurer le président du Modem.
Je pense que maintenant, Alain Juppé a bien compris.
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