Mouvement lycéen avorté dans une France arrimée aux symboles
Après
des manifestations plutôt sporadiques jeudi dernier, les lycéens ont réédité la
fronde ce mardi en espérant que la mayonnaise puisse monter. Ce ne fut pas le
cas. 6 000 manifestants à Paris selon la police, le double selon les
organisateurs. Et, en province, des cortèges plus proches d’un monôme
estudiantin que d’une prise de la rue par un peuple. Quelques centaines de
participants. Il ne devrait pas y avoir d’amplification du mouvement. D’où un
contraste évident avec le crescendo de 2006 contre le CPE. Le contexte est
différent certes, mais la société est dans le même marasme qu’il y a deux ans.
Alors pourquoi la fronde du printemps 2008 ne s’accroît-elle point ? Pour
deux raisons. D’une part, le motif, concret, portant sur les moyens, touchant
diversement les établissements et, bien évidemment, des situations vécues
localement selon les villes et les quartiers. La réduction de postes et donc de
moyens est appréciée selon les circonstances. D’autre part, c’est le fait que
les moyens sont des moyens et, donc, moins essentiels que les fins ; moyens
pourtant concrets, mais ne faisant pas l’objet d’un prétexte à un usage
idéologique puissant. Et, dans bien des cas, une certaine retenue est de mise,
dans un contexte de rigueur où on ne va pas se battre pour si peu. Ce non-événement des grèves lycéennes en avril 2008 nous conduit à examiner l’envers
du décor, la place des symboles dans une France de l’Esprit. Rappelons qu’en
1986 les grandes manifestations étudiantes ont eu pour ressort des éléments
symboliques et fédérateurs (la sélection à l’entrée notamment) ; des
hochets de l’esprit qu’on agite et qui poussent dans la rue pourrait-on dire,
en imitant la fameuse formule de Napoléon pour qui la légion d’honneur est un
hochet qu’on agite pour inciter les meilleurs (ou plutôt ceux qui pensent l’être)
à se dévouer au service de l’Etat. Le Français vit dans deux mondes, celui du
réel et celui des symboles, valeurs, intuitions donnant une teinte à son esprit
et parfois le poussant dans l’action historique.
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La
France est un pays étrange, un pays qui vit autant dans la réalité, l’ancrage
social, professionnel, politique, que dans un univers de symboles, un univers
abstrait, offrant du sens, de l’interprétation, de la matière à discuter et
débattre sans fin. Déjà, Mick Jagger fut bien étonné lorsque avant la
prestation des Stones dans une salle parisienne en 1970, année de poudre, des
manifestants eurent demandé le micro pour quelque message politique à diffuser
à la jeunesse. Les Français sont des gens qui ont besoin de parler et de
s’affronter en débats idéologiques, avait-il déclaré au journaliste venu
l’interviewer (Rock n’Folk, cité de mémoire) La France est à cran sur
les symboles et les valeurs, quoi que puisse laisser penser le matérialisme et
l’individualisme régnant. Et souvent, ces symboles sont le point de convergence
de conflits fort disputés.
Où
traquer les symboles les plus marquants et sources de bataille ? Dans les
questions fondamentales, toutes liées à un puissant héritage culturel. Il y a
deux ans, la question du CPE a suscité une bataille entre le pouvoir et la rue
ayant duré quelques mois, avec au bout des manifestations d’une ampleur
inégalée depuis les grèves de 1995. Pour un texte dont les conséquences
économiques n’étaient pas tant redoutées que les aboutissants idéologiques, les
opposants au CPE y voyant une boîte de Pandore pour une dévalorisation du
travail et la généralisation de l’emploi Kleenex. Ils n’avaient pas entièrement
tort et, d’ailleurs, Michel Rocard, fin limier de la politique nationale, avait
d’emblée saisi le côté symbolique de cette affaire, un volet qui selon lui
n’avait pas été travaillé et, donc, bâclé dans la précipitation des réformes
urgentes décidées par Villepin. Et la débâcle finale sous la pression du
peuple.
Dans
toute mesure, les effets réels et tangibles sont accompagnés d’effets
symboliques. C’est le cas des franchises médicales. Refusées par bien des
Français pour des raisons d’ordre symbo-idéologique plus qu’économique. L’affaire
toute récente sur le cas de Chantal Sébire a réveillé des considérations sur
l’euthanasie et son fardeau idéologique hérité du catholicisme et de la
confusion entre la vie naturelle et l’existence humaine. Les opposants à
l’euthanasie y voient une atteinte à la sacralité de la vie, invoquant un même
motif religieux que les opposants à l’avortement. Alors que les partisans, non
pas de l’euthanasie, mais d’un encadrement législatif souple, parlent au nom
d’une autre sacralité, celle de la liberté de choix du sujet face à une
existence dont il se veut maître. Un peu comme pour le CPE, les opposants à
l’euthanasie craignent, à tort selon moi, qu’un dispositif législatif autorise
la pratique de la mort sur ordonnance et le génocide des vieux. A tort parce
que cette question relève de l’intime et ne sera pas à la base d’un changement
de valeur produisant des effets délétères sur le respect de l’humain. C’est
même le contraire que de respecter la singularité de ces situations invivables
qui relèvent de l’intimité familiale et médicale et de l’intime conviction. Le
CPE, au contraire, était un sujet public portant sur le sens du travail,
concernant les forces vives et actives et plus spécialement, la jeunesse. Qui a
suivi les débats sur le TCE aura aussi détecté toute une symbolique de luttes
inédites, certes ancrées dans la lutte des classes ou le souverainisme national,
mais dépassant largement ces anciens clivages avec une nouvelle division entre
le peuple et les élites ou entre la société civile et les gouvernants. Les
mots ne signifient pas comme on le voudrait, induisant les simplismes, mais le
schisme a bien eu lieu et la défiance des citoyens vis-à-vis d’un cap proposé
par des gens perçus comme éloignés des existences quotidiennes est avérée.
Encore du symbole, allié à de la pratique politique car les institutions
européennes produisent des textes et influent réellement, même si c’est
modestement, sur nos existences. Et le peuple français n’a pas voulu faire un
pas de plus dans la soumission à un ordre politique européen qu’ils ont jugé
illégitime et qu’ils ont rendu « illégal » et donc non avenu par la
voie référendaire. Du coup, quelques-uns dont un certain Serge July alors
directeur de Libé, s’en sont pris à ce peuple indocile refusant ce qui
fut proposé pour son bien.
L’affaire
July évoque cette scission entre la société civile et un cercle de pouvoirs, de
baronnies, où les journalistes ne vivent pas l’histoire des gens mais celle des
élites, des oligarques, des médiarques qui se cooptent et, malgré une apparente
sollicitude, vivent dans une autre histoire, sans adhérer complètement ni à
l’Histoire qui se joue ni aux vécus de ce que la presse a décidé d’appeler la
France d’en bas, entité vague dont l’identité se définit parce qu’elle n’est
pas où plutôt où elle n’est pas : la cité des élites. Avant, on parlait de
société civile et, encore plus loin, de peuple. Les symboles sont des sortes de
blasons, explicites ou flou, un peu à la manière des anciens blasons médiévaux
utilisés pour marquer une appartement et, surtout, un héritage, une histoire
liée à une famille noble. Autour des symboles, des histoires diverses
s’enroulent. Elles ont des sens divergents. D’où ces couacs récents entre les
discours médiatiques, politiques et d’autres sons de cloche, produits notamment
par des « voix civiles », Français d’en bas, peuple connecteur,
intellectuels dissidents, chroniqueurs indépendants, peu importe.
Descartes
oblige, séparation du corps et de l’esprit, de l’existence et du sens, nous
sommes par excellence le peuple disloqué composé d’individus eux aussi divisés
entre le monde de la vie et celui des symboles. Maintenant, Sarkozy a décidé de
jouer sobre et de reprendre le moule de la bonne tenue présidentielle, de
redevenir le symbole du pouvoir suprême assumé avec prestance et retenue. Un
Sarkozy qui veut rassurer les citoyens, mais aussi se rassurer, se persuader à
travers des symboles forts, les deux guerres, qu’il incarne l’héritage des
grands hommes et qu’il est dans la continuité de l’histoire de France. Dormez
tranquilles, le train ne déraillera pas ! Ah, cette France, attachée à
ses symboles ! Les médias croient que l’affaire est réglée et que le bon
peuple va rester docile et subir le joug d’une oligarchie que les médiarques
tentent d’arbitrer, en jouant les juges de paix ou bien les pyromanes, agitant
les symboles pour calmer ou bien exciter les esprits.
Pour
finir, un écho à Fernand Baudrel qui jugea nécessaire de substituer à
l’Histoire officielle, ses nominations, ses batailles, ses grands hommes, une
Histoire plus populaire, provinciale, pittoresque, déphasée en quelque sorte du
tempo vécu par les chefs activistes. Autant dire que ce distinguo a encore une
forte pertinence par les temps actuels. Le schisme s’est déplacé et le
déphasage a encore lieu. Concevoir la rupture et changer le sens de l’Histoire,
c’était trop pour un Sarkozy qui ne peut habiter un costume taillé pour Moïse.
L’autre France a avorté. Nous voilà avec l’ancienne, dans la continuité de
2002, avec quelques lignes politiques ayant bougé, mais, toujours, un déphasage
entre les élites et la société. Et, comme c’est dans l’air du temps, un mot sur Mai-68. Un moment historique où, faute de symbole puissant, la jeunesse a
utilisé les slogans. D’où l’impossible héritage. Et toujours la quête d’un
Evangile de mai.
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