Patrons pigeons, rapport Gallois, lettre d’orientation des politiques économiques produites par l’Afep (Association française des entreprises privées, regroupant la quasi-totalité des entreprises du CAC et d’autres entreprises non-cotées) … Voilà le patronat à l’assaut du pouvoir politique, rien de nouveau sous le soleil objecteront les plus sensés d’entre nous. Les 200 familles du front populaire mettaient déjà en garde contre la soumission de l’appareil d’Etat aux classes dominantes, haute-bourgeoisie, ou multinationales dans une version actualisée.
Si cette situation interroge néanmoins, ce n’est pas qu’elle démontre l’indicible politique d’une collusion entre hommes d’Etats et intérêts privés, mais bien plutôt que celle-ci se fait au grand jour, largement relayée par les médias, sans que la question de leur légitimité ne soit posée.
Les illusions du monde politique, tels que conceptualisés par Bourdieu, nous enseignent que ce champ se décompose entre une valorisation de la légitimité offerte par le suffrage universelle, et du pouvoir d’action qu’elle confère à des individus se prétendant capables d’agir sur le devenir sociétal.
Le premier point se trouve être largement contesté par les individus en dehors du champ politique. Ainsi voit-on se propager des revendications contradictoires au discours politique, prenons pour exemple les appels répétés à une « véritable démocratie » (« This is what democracy looks like ») construite en rupture avec la représentativité bafouée et castratrice des systèmes modernes.
Le second l’est tout autant, et j’ose l’avancé, de toute éternité. Malgré tout une posture paradoxale est adoptée par les citoyens. Dans un premier temps ceux-ci admettent sans aucune difficulté que le prétendu agir politique n’est qu’une théâtralité organisé par le politique, soumis aux contingences de la mondialisation et son cortège de négations (illégales bien souvent) de la souveraineté des Etats. Dans un second temps, une fois ce constat posé, les individus vont néanmoins faire reposer la possibilité d’action sur le champ politique, positivement en saluant des initiatives auquel ce dernier est souvent étranger ou négativement en soulignant que si les politiques n’agissent pas, c’est avant tout parce qu’ils ne le souhaitent pas, qu’ils n’ont pas les « épaules » pour s’habiller du costume de leurs fonctions.
Pourtant les récents mouvements du patronat vers le politique témoignent d’une rupture consumée entre l’agir politique et les gouvernants.
Harlem Désir au sujet du report de l’annonce du plan social chez PSA, report voulu et orchestré par le précédent gouvernement, déclare qu’il s’agit « d’un mensonge industriel d'État qui retire tout crédit à la droite pour donner quelque leçon que ce soit en matière de politique économique. La droite avait abandonné les Français dans la crise. La droite avait abandonné l'industrie. ».
Ce qui frappe c’est l’aveu d’impuissance formulé par le premier secrétaire du parti au pouvoir. Peu importe finalement que des milliers d’emplois disparaissent et subséquemment que des milliers de familles se retrouvent confrontées aux drames du chômage de masse. Ce qu’il ne digère pas c’est que l’actuel gouvernement devra supporter la responsabilité et les conséquences sociales de cet échec. Ainsi peut-on reformuler, procédé malhonnête mais jouissif, le propos de Mr Désir : « le gouvernement précédent nous laisse porter le poids de cette annonce. On ne peut rien faire, on ne peut rien changer, si PSA souhaite licencier massivement la seule possibilité que nous ayons nous, Hommes politiques, est de ne pas paraître responsable de la situation, et donc mis en demeure d’agir. » C’est donc bien un aveu d’impuissance avant d’être une quelconque dénonciation de manipulations politiques.
Le politique admet ainsi ne plus être capable de donner l’illusion de pouvoir agir, encore une fois le discours est-il mis à nu, désenchanté, lorsque la crise oblige ce dernier à réagir en dehors du cadre constitué.
De cette défection du politique comme seul capable d’influer sur le devenir de la nation et le bien-être général, va naître un vide qu’il faut combler pour que la cohésion du système soit maintenue. Les artisans de ce colmatage vont être le patronat lui-même. Dans un monde ou l’économique apparaît comme l’unique grille de lecture des dynamiques sociales, il est logique de voir ceux en charge de produire et d’entretenir ce champ prendre publiquement position dans l’orientation de l’action publique.
Disparue la grandiloquence du peuple immanent, asséchée la fonction représentative, ainsi ne prennent-ils plus la peine en période de trouble d’en appeler à la nation souveraine. Au grand jour se dévoile ce qui ne pouvait être masqué plus longtemps, pour qu’elles raisons ?
Tout d’abord parce que ce phénomène relativement récent de lobbying actif et publicisé du patronat ne trouve pas sa contrepartie dans les autres organisations sociales (association, syndicat …). Ensuite et surtout parce que le législateur n’a pris aucun soin de se prémunir face à ce risque, estimant que jamais la situation politique du pays n’autoriserait une telle arrogance de la part des milieux d’affaires. Voici donc le patronat sans adversaire, sans cadre juridique, sans avoir à se soucier du pouvoir politique largement impuissant, et je passe sur la façon dont il piétine allègrement le Démos (figuration fantasmé du peuple souverain) et le peuple au sens non chimérique du terme.
Encore une fois rien de très révolutionnaire dans ce papier, si ce n’est une actualisation des concepts traditionnels de la domination, mais aussi la volonté de ne pas se contenter de souligner la perte de souveraineté lié aux mouvements de la finance actionnariale. Il s’agit de mettre des noms sur les stratégies politiques de dépouillement de la puissance politique et populaire, il s’agit d’identifier un peu plus clairement les mécanismes à l’œuvre. Une fois cela fait, il reste à agir, pas seulement en brandissant des pancartes ou en rêvant de barricade, mais en opposant, avec nos faibles moyens, une lecture critique aux discours décrédibilisés du champ politique.
Le peuple est éveillé, sorti de sa torpeur par la violence quotidienne qui s’exerce sur son bien-être, son devenir. Que les politiques soient léthargiques ne doit plus nous intéresser, nous sommes le véritable adversaire de la finance globalisée, nous sommes le seul corps qu’elle devra enjamber pour affirmer pleinement son contrôle. Laissons la mascarade et la théâtralité aux marinières Armor-lux et aux effets d’annonces, donnons du consistant aux oligarques sur lequel ils pourront buter.