Muray décroche la Joconde
Parmi le quintal de livres politiques qui polluent les librairies, une trouvaille des éditions des Belles Lettres : « Le sourire à visage humain » de Philippe Muray, charge incisive et lyrique contre la possédée du chabichou.
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« Notre époque ne produit pas que des terreurs innommables, prises d’otages à la chaîne, réchauffement de la planète, massacres de masse, enlèvements, épidémies inconnues, attentats géants, femmes battues, opérations suicide. Elle a aussi inventé le sourire de Ségolène Royal. »
En 2004, Philippe Muray avait photographié comme personne celle qui allait devenir la candidate socialiste à la présidentielle, trois ans plus tard. En trois lignes, ce gros cigare là, parti avant d’être condamné au sevrage, encadrait sans baguettes la dame du haut Poitou. Vous pouvez chercher, il n’y a pas, depuis, de meilleur portrait.
« On tourne autour, on cherche derrière, il n’y a plus personne, il n’y a jamais eu personne. Il n’y a que ce sourire qui boit du petit-lait, très au-dessus des affaires du temps, indivisé en lui-même, autosuffisant, autosatisfait, imprononçable comme Dieu, mais vers qui tous se pressent et se presseront de plus en plus comme vers la fin suprême. »
C’est quand même mieux qu’une déclaration de patrimoine, plus insubmersible que 1, 2 ou 7 sous marins nucléaire, plus efficace que n’importe quel slogan, certifié ou non par Séguéla. C’est lumineux, évident, limpide. A l’heure où la dame blanche se prend les pieds dans le tapis, où Sarkozy la juge « démodée », où DSK assure dans le Canard Enchaîné que « si elle se met à dévisser dans le sondages, elle ne se rattrapera pas », à l’heure où Hollande, compagnon d’impôt sur l’infortune, fait quand même semblant d’y croire (« Ne vous en faites pas pour elle », déclare-t-il dans le Nouvel Observateur, elle « a tenu pendant un an dans le débat interne, elle tiendra dans le débat devant les Français"), à l’heure où Glucksmann se recoiffe à droite et Bové endosse le dossard 46, il est plus que temps de relire Muray, et d’acheter ce petit fascicule, extrait de ses Exorcismes Spirituels, où il exécute la gaucherie people comme personne.
« C’est un sourire qui descend du socialisme à la façon dont l’homme descend du cœlacanthe, mais qui monte aussi dans une spirale de mystère vers un état inconnu de l’avenir où il nous attend pour nous consoler de ne plus ressembler à rien. C’est un sourire tutélaire et symbiotique. Un sourire en forme de giron. C’est le sourire de toutes les mères et la Mère de tous les sourires. »
On trouve beaucoup de livres en librairie, mais rarement des textes indiscutables, auxquels ils seraient fâcheux d’enlever ou de corriger quoi que ce soit. Des textes définitifs, qui épuisent leur sujet. Le texte de Muray est de ceux là, il épuise son sujet. Il est donc court, moins de pages que de sous marins nucléaires. N’y figurent aucune attaque personnelle, aucune référence à une quelconque maison, à une quelconque imposition, rien d’intime, rien de dégradant, rien de polémique là dedans. Une analyse visionnaire, qui tient dans la poche, coûte trois euros six sous et permet de passer un moment agréable, avec Ségolène Royal et son sourire-programme.
« C’est un sourire près de chez vous, un sourire qui n’hésite pas à descendre dans la rue et à se mêler aux gens. Vous pouvez aussi bien le retrouver, un jour ou l’autre, dans la cour de votre immeuble, en train de traquer de son rayon bleu des encoignures suspectes de vie quotidienne et de balayer des résidus de stéréotypes sexistes, de poncifs machistes ou de clichés anti-féministes. C’est un sourire qui parle tout seul. En tendant l’oreille, vous percevez la rumeur sourde qui en émane et répète sans se lasser : « Formation, éducation, culture, aménagement du territoire, émancipation, protection, développement durable, agriculture, forums participatifs, maternité, imaginer Poitou-Charentes autrement, imaginer la France autrement, imaginer autrement autrement. » »
C’est pas Jean Michel Apathie qui aurait trouvé ça ! C’est pas Eric Zemmour qui en 2004 aurait été capable de tirer ainsi le portrait à la reine du fromage de chèvre ! Ah, si DSK était tombé là-dessus ! Ca avait une autre gueule que sa cassette de mauvaise qualité où la maîtresse Royal expliquait aux profs qu’ils allaient devoir commencer à bosser, « au moins 35 heures » ! C’était autre chose, comme charge héroïque, que ce petit reportage tronqué digne d’une caméra cachée !
« Je souris partout est le slogan caché de ce sourire et aussi son programme de gouvernement. C’est un sourire de nettoyage et d’épuration. Il se dévoue pour en terminer avec le Jugement Terminal. Il prend tout sur lui, christiquement ou plutôt ségolènement. C’est le Dalaï Mama du III e millénaire. L’Axe du Bien lui passe par le travers des commissures. Le bien ordinaire comme le Souverain Bien. C’est un sourire de lessivage et de rinçage. Et de rédemption. Ce n’est pas le sourire du Bien, c’est le sourire de l’abolition de la dualité tuante et humaine entre Bien et Mal, de laquelle sont issus tous nos malheurs, tous nos bonheurs, tous nos événements, toutes nos vicissitudes et toutes nos inventions, c’est-à-dire toute l’Histoire. C’est le sourire que l’époque attendait, et qui dépasse haut la dent l’opposition de la droite et de la gauche, aussi bien que les hauts et les bas de l’ancienne politique. »
Je souris partout...Quel slogan monumental pour l’apprentie sorcière du walhalla langien ! Autre chose que « Pour que ça change fort », ou « tout est possible » ou « plus fort tout possible » ou « tout est plus fort possible » ! Je Souris Partout, on rajoute les majuscules, et tout de suite on sent déjà monter ces féroces soldats qui viennent jusque dans nos bras égorger nos filles et nos compagnes...Il n’y aurait pas plus fort comme slogan que celui-ci. En effet, elle sourit partout. Sur la muraille, sous 1 ou 2 (ou 7) sous marins, chez PPDA ou avec le ministre québécois, elle sourit partout, tout le temps. Son emblème, son toc, son attitude. Tout passe, avec un sourire, même le pire, même le sérieux, même l’ennuyeux. Même l’inconcevable. Même la démocratie participative, même la Corse.
« Quant à la part maudite, elle aura le droit de s’exprimer, bien sûr, mais seulement aux heures de récréation. Car c’est un sourire qui sait, même s’il ne le sait pas, que l’humanité est parvenue à un stade si grave, si terrible de son évolution qu’on ne peut plus rien faire pour elle sinon la renvoyer globalement et définitivement à la maternelle. » De la lucidité accordée, quand même, à Ségo. Son intelligence à elle. Si beaucoup la juge « incompétente », personne n’ira mettre en doute son intelligence, enfin, une certaine forme, et sa capacité à bien comprendre l’état du pays. Il n’y a pas plus de hasard à l’éclosion de Ségolène Royal qu’il n’y en a eu à l’extinction des dinosaures ou au réchauffement de la planète. Rien n’est hasard. Ségolène Royal, sous des dehors naturels, simples et sincères, est aussi calculatrice, opportuniste et « bourreuse de mou » (pour reprendre un terme de Bayrou, le troisième homme) que son adversaire majeur.
« C’est un sourire de salut public, comme il y a des gouvernements du même nom. C’est évidemment le contraire d’un rire. Ce sourire-là n’a jamais ri et ne rira jamais, il n’est pas là pour ça. Ce n’est pas le sourire de la joie, c’est celui qui se lève après la fin du deuil de tout. » Même dans cet élan que d’aucuns qualifieront de pamphlétaire, il y a chez Muray une force de poésie qu’on ne retrouve nulle part dans les analyses sondagières de nos journalistes politiques, inféodés d’un côté ou manipulés de l’autre, qui, sous couvert de transmettre l’information ou d’éclairer le débat, ne commentent que des détails et n’alimentent que leur fond de commerce. Il y en a même, soi disant « expérimentés », qui oublient la candidate socialistes dans leur pensum, écrit « un an avant », quand Muray, lui, trois ans avant, avait senti venir Royal comme la louve blanche.
C’est donc un minuscule bouquin, à peine plus gros qu’un paquet de cigarettes interdites, et qu’on ira lire, ou fumer, au bureau, ou en dehors, dans un lieu public ou une zone réservée, peu importe, l’essentiel est de le lire à haute voix, le sourire aux lèvres, façon crieur. Haranguer ainsi le passant, qui se demande bien à quoi ça peut servir d’aller voter, lui qui huit heures par jour s’emmerde beaucoup pour un salaire qui ne ressemble que de très loin à un SMIC à 1500 euros.
La dernière phrase de l’objet vaut à elle seule le déplacement (de vertèbre), tendue comme une corde de pendue, hargneuse et vache :
« Les thanatopracteurs l’imitent très bien quand ils font la toilette d’un cher disparu. »
Muray maîtrisait l’exorcisme, cérémonie qui se passe rarement en douceur, qui peut même aller jusqu’à faire tourner le tête, 1, 2 ou 7 fois sur elle-même. Jusqu’à ce que la diablitude s’en aille, sans rire, de cette Joconde rose.
(Le sourire à visage humain, Philippe Muray, éditions Belles Lettres, 3 euros)
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