Le 4 janvier 2011, nous apprenons qu’en réponse au député de
l’Eure jugeant « le niveau de français pratiqué par le Président de la
République (...) insuffisant voire indigne au regard de ses fonctions de
représentation », le ministre de l’Education nationale allègue qu’ « en ces
temps de complexité et de difficulté, le Président de la République parle clair
et vrai, refusant un style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui
perdent l’auditeur et le citoyen ». Mais entre le « grammaticalement incorrect
» et l’amphigouri, n’y a-t-il pas une juste mesure ?

L'amphigouri est une « production intellectuelle confuse et incompréhensible ; éloquence pompeuse et embrouillée » selon le
Dictionnaire culturel en langue française. En 1835, l'académicien Charles Nodier écrit dans ses
Echantillons curieux de statistique que « la langue amphigourique, ressuscitée par Vadé [Jean-Joseph Vadé (1720-1757), chansonnier et dramaturge français], et fort connue des bateleurs, mais dont il y a plus d'un échantillon dans
Bruscambille [comédien de l'Hôtel de Bourgogne qui réussit dans la farce au début du XVIIe siècle], et qui rappelle à tout le monde le plaidoyer des deux seigneurs, si plaisamment appointés par Pantagruel, est probablement le
nec plus ultra des langues de non-sens. J'excepte néanmoins par respect les langues scientifiques.
« Cette manière d'exprimer quelque chose qui a l'apparence d'une pensée, est ce qu'en dialecte poissard on appelle aujourd'hui le bagou, mélange hardi des idées les plus disparates, des locutions les plus hybrides, des formes de langage les moins susceptibles de s'allier entre elles, soutenues dans un discours de longue haleine avec l'énergie passionnée de la conviction et l'imperturbable volubilité d'une improvisation sérieuse. Elle est voisine en ce sens du Pédantesque et du Gratien, mais elle se rapproche davantage encore du bavardage hétéroclite des fous. Les Italiens en auraient probablement fait la langue fanfreluchesque, s'ils avaient eu le bonheur de posséder Rabelais, car elle doit avoir pris sa source dans les fanfreluches antidotées qui seraient peut-être le caprice le plus délirant de l'esprit humain, si les fanfreluches antidotées n'avaient au des commentateurs.
« On le dira sans doute, et j'en conviens : cette langue saugrenue n'est pas aussi éloignée qu'elle en a l'air, du galimatias de l'idéologie, du pathos de la tribune, des battologies oratoires du barreau, des logogryphes politiques de la presse. Elle en diffère seulement par deux points essentiels. Les fanfreluches sont beaucoup plus amusantes, et beaucoup plus raisonnables. Divine Providence des langues et des littératures, daignez nous rendre la langue amphigourique, s'il vous plaît ! Elle n'a jamais fait de mal à personne. »