Nationalisme corse : mise au point
Le nationalisme peut renvoyer au sentiment d’appartenance à une nation, exclusif, exacerbé, et teinté de xénophobie. Il se rencontre alors principalement à l’extrême-droite. Abordée sous cet angle, la revendication identitaire insulaire serait aisément réductible à une idéologie fascisante. D’où, à gauche en particulier, une réelle difficulté à appréhender la question corse, et un certain silence autour du procès Colonna. Le fait que l’accusé se dise lui-même « nationaliste » embarasse probablement les bonnes âmes qui, sinon, seraient plus promptes à dénoncer les multiples atteintes aux droits de la défense dans cette affaire. Alors, qu’en est-il vraiment ?
Il faut rappeler que la Nation (avec une majuscule, dans cette acception), historiquement, représente d’abord une valeur progressiste. A partir du dix-huitème siècle, s’y référer consiste effectivement à rejeter l’absolutisme royal et à mettre en avant le bien commun au-delà des intérêts particuliers. Or,en Corse, la résurgence des mouvements autonomistes, puis indépendantistes, intervient précisément dans le cadre d’un processus de défense de la chose publique (ou res publica). Edmond Simeoni, qui a conduit l’action d’Aléria en 1975, l’explique encore aujourd’hui non pas par la recherche d’une quelconque "corsitude", mais bien plutôt par une exigence de respect du contrat social (au sens rousseauiste du terme). Le nationalisme, y compris dans sa forme clandestine, consiste à cet égard initialement non pas dans un rejet mais dans une demande d’Etat de droit. Les militants de la première heure dénoncent ainsi le clanisme et le clientélisme, les élections truquées et, plus largement, le traitement inégalitaire dont la Corse est alors l’objet*.
En fait, tout dépend de la conception de l’identité qui prime. Ethniciste, elle suppose la référence obsessionnelle au passé, le fantasme de la pureté des origines, et l’exclusion de l’autre. C’est le régime nazi de Hitler ; c’est aussi, au milieu des années 90, la purification ethnique en ex-Yougoslavie... Universaliste, elle se tourne au contraire vers l’avenir et accueille l’autre dans une communauté de destin. C’est la citoyenneté qui ignore tout critère discriminatoire. Nous retrouvons un débat similaire en Guadeloupe où, sous ses dehors sympathiques, le discours d’Elie Domota, leader du LKP, tend à opposer définitivement Blancs et Noirs dans une rhétorique racialiste ; Jacky Dahomay, professeur de philosophie au lycée de Baimbridge, s’en démarque pour sa part en plaidant pour un peuple guadeloupéen ouvert à tous.
Le nationalisme corse n’est pas à l’abri d’une dérive ethniciste (la thématique de la "corsisation des emplois", notamment, est significative) et, y compris dans sa version modérée, risque de s’enfermer dans un discours victimaire se bornant à désigner l’"Etat colonial" comme le responsable de tous les maux. Il convient néanmoins de bien comprendre qu’il recouvre plusieurs réalités, qu’il n’est pas nécessairement synonyme de clandestinité ou de violence, et que les élus qui s’en réclament contribuent tout autant que leurs homologues des partis traditionnels à la vie démocratique de l’île.
* J’ai développé cette question dans La Corse et l’idée républicaine, L’Harmattan, 2006.
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