Nationalisme & Patriotisme : Imaginaire collectif ?
Le sentiment national, débat au cœur de l'actualité, a en réalité toujours été un thème aux enjeux socio-politiques multiples. Ernest Renan (1823-1892), philosophe et historien français définit la nation dans un discours profondément patriotique et nationaliste. Adhérent au courant de pensée évolutionniste, on le critique pour son adhésion aux thèses racialistes et classificatoires. Cependant, sa manière de voir la nation marque une rupture intéressante avec les précédentes définitions, décrites comme trop arbitraires par l'auteur. Benedict Anderson, né en 1936, professeur à l'Université Cornell de New-York et spécialiste du nationalisme, nous apporte une vision totalement différente. Critiquant la posture intellectuelle et idéologique de Renan, il nous décrit la nation comme un imaginaire collectif, en se plaçant dans une approche constructiviste.
On nous apporte deux points de vue antagonistes sur l'idée de nation. On peut alors se demander comment les auteurs expliquent le concept de nation et en quoi leurs définitions s'opposent totalement. Quels en sont les enjeux ?
Dans un premier temps nous verrons par quel processus didactique les deux auteurs redéfinissent la nation. Puis dans un second temps, nous verrons par quels processus historiques aboutit-on à l'idée de nation.
Ernest Renan définit la nation par l'élimination de concepts, qui sont, selon lui, peu pertinents. Il redéfinit et déconstruit le terme. Il commence par nous dire ce que la nation n'est pas :
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Un principe dynastique : la nation survit à la fin des dynasties, certain états se forment par« conglomérats d'additions successives »
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Une unité ''raciale'' : Beaucoup de grands empires englobaient des populations diverses et variées (Empire Romain, Empire Carolingien). Les nations sont en fait le résultat d'un mélange ''racial'' (Je m'oppose à ce terme, mais c'est celui employé dans le texte). Le ''droit du sang'' est donc une erreur.
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Une unité linguistique : On parle plusieurs langues dans beaucoup de pays. « La langue invite à se réunir ; elle n'y force pas. »(Renan, 1887) Selon Renan, on peut penser la même chose avec des langues différentes. Les liens entre le sang et la langue ne sont pas pertinents. Idée de l'universalité de l'Homme :« l'homme est un être raisonnable et moral, avant d'être parqué dans telle ou telle langue […] telle ou telle "race", […] telle ou telle culture. […] Avant la culture française, la culture allemande, la culture italienne, il y a la culture humaine. »(Renan, 1887)
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Une unité religieuse : La religion est un fait individuel, elle n'est pas un fondement essentiel de la nation.
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Un espace géographiquement limité : La géographie ne suffit pas à expliquer la division des nations. Le droit de la terre est donc caduque.
Cependant Ernest Renan nous propose une définition plus patriotique, qui de mon point de vue ne me semble pas pertinente, contextuellement parlant. Pour l'auteur, la nation c'est :
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Une union spirituelle, une mémoire collective, un héritage historique, le partage des souffrances et des sacrifices, le dévouement, la volonté d'un projet commun. On retrouve ici des arguments très subjectifs incitant au patriotisme de la part de Renan. « La nation moderne est donc un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens » (Renan, 1887). Le plus dérangeant chez Renan, c'est cette posture évolutionniste qui soutient donc les comparaisons entre différentes cultures. La culture européenne apparaissant comme la plus "évoluée". Une vision très ethnocentrée qui délégitimise son mode de pensée mais qui fera plaisir à Claude Guéant, soyons en certain !
Renan défend l'idée d'oubli des conflits, d'union dans la souffrance commune, de combats en commun : Il justifie ici la guerre, la sélection historique et donc l'Histoire des vainqueurs. D'après sa théorie, pour que l'idée de nation perdure il faut savoir effacer les erreurs (crimes contre l'humanité ?) et mettre sur un piédestal les audaces passées, les "faits héroïques". Loin de défendre cette idée, il faut tout de même admettre que bon nombre de pays adhèrent à ce concept de nation. Je ne citerais personne dans cet article, mais observez vous-même le nombre de pays ne reconnaissant pas, déformant, ou ayant reconnu tardivement des crimes commis par le passé. On met bien souvent en avant les faits valorisant la nation, par des cérémonies, des rituels, des décorations, ou encore par l'éducation...
Parlons désormais de Benedict Anderson qui critique et réduit à néant l'idée de nation selon Renan. Il s'agit pour lui de définir la nation comme une illusion populaire, un mythe. Pour lui la nation c'est :
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« Une communauté politique imaginaire ».
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Une puissance politique incohérente puisqu'il s'agit d'une chimère. Le nationalisme n'a aucun fondement philosophique.
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La nation est imaginée comme souveraine, comme une communauté et est limitée.
L'idée de nation résulte simplement d'un processus historique.
Anderson cherche à démystifier la notion de nation et de nationalisme en prouvant par une approche historique qu'il s'agit là d'un mythe, d'une illusion. Pour Renan il s'agit de donner les raisons historiques qui permettent de structurer une nation comme entité réelle, indépendante, afin de créer un sentiment de cohésion nationale.
Pour Anderson ; il existe trois facteurs principaux pour expliquer l'essor de la conscience nationale : La réintroduction du latin par les humanistes. L'impacte de la réforme protestante et la propagation des langues vernaculaires.
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L'Empire romain contrôlait les voies de communication, il était donc très simple de s'opposer aux hérésies ou révolutions populaires. Avec l'invention de l'imprimerie ; il devient plus simple de diffuser des opinions divergentes et de les diffuser en masse. On pense aux réformes protestantes par exemple qui eurent ce succès, justement grâce à l'invention de l'imprimerie.
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L'imprimerie créée « des champs de communication » unifiés ; on voit naître une petite communauté nationale « imaginée ».
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Avec l'imprimerie, les livres deviennent permanents, ainsi que les idées qui y sont écrites, contrairement aux manuscrits qui pouvaient varier d'une édition à une autre au gré de ceux qui les recopiaient
Il n'était pas rare dans les vastes empires ou pays, que plusieurs communautés soient isolées les unes des autres, sans vraiment ressentir une unité particulière, des points communs ou un sentiment nationaliste.
Finalement l'imprimerie va cristalliser et fixer les langues nationales. Les idées, une fois dans des livres, y resteront. La nation moderne est vue comme le résultat d'un processus historique. Comme nous pouvons le constater, les deux auteurs s'opposent tant sur leur point de vue que sur les enjeux de leur posture intellectuelle. D'un côté Ernest Renan tente une définition de l'Homme comme un être universel qui se reconnaît dans une nation de par le sentiment d'appartenance national qu'il a en commun avec d'autres individus. Il déconstruit les anciennes définitions et tente de prouver que la nation est un ensemble de valeurs, de mœurs, de souvenirs et d'héritages. Renan croit en la nation, l'idéalise et prône un discours patriotique. Anderson veut démystifier cette idée de nation, il s'oppose au nationalisme et à l'illusion de la nation. La nation n'existe pas, il s'agit pour lui d'une communauté imaginaire et imaginée qui résulte d'un processus historique fortement impulsé par l'imprimerie.
Cependant, que la nation soit réelle ou fictive, elle reste toutefois au cœur des débats et des tentions politiques. En France tout d'abord, elle soulève des questions identitaires et éthiques. Une identité nationale est-elle pensable ?
Alors que Claude-Levi Strauss voyait dans l'échange culturel et la diversité des facteurs de progrès, certains semblent se tourner vers un modèle plus uniforme ; celui du conformisme national. Pour ma part, je trouve intéressant de combiner les deux analyses. On ne peut pas considérer une nation comme une unité ethnique, particulièrement dans un monde globalisé où les vagues d'immigrations intensifient la mixité culturelle. L'unité linguistique est une hypocrisie, la plupart des pays s'adaptent à l'anglais pour communiquer dans ce que l'on nomme le "Global Village", les langues régionales ressurgissent, l'immigration apporte de nouvelles langues et même des néologismes qui font évoluer la langue "dominante". L'unité religieuse n'existe pas, certes chaque pays à sa religion dominante, celle qui marque l'espace par ses édifices religieux ou imprime son influence dans le calendrier, les jours fériés... Le sentiment national finalement est un imaginaire collectif, produit d'une l'histoire sélective. La preuve est que par processus d'assimilation on finit par intégrer les immigrés à notre propre culture. Les polonais, et plus récemment les espagnols, italiens ou portugais ayant immigrés en France étaient victimes du racisme dès les premières vagues d'immigration. Ils semblent maintenant très intégrés et inclus à la "nation française", les nationalistes focalisent leur attention sur les vagues d'immigrations plus récentes. On remarque aussi que le racisme augmente en fonction du contexte. En temps de crise, il faut toujours trouver un bouc émissaire, en temps de prospérité l'immigration est plus tolérée. Finalement le sentiment national peut être vu comme du protectionnisme, un repli de la société sur elle-même, un sentiment qui se relâche lorsque la situation est meilleure.
Un sentiment imaginaire donc, instrumentalisé par les partis nationalistes, qui fonctionne particulièrement bien dans le contexte actuel.
(Retrouvez cet article sur letrublion.over-blog.fr)
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