Nicolas Sarkozy et ses mots
« Il y a interaction entre langage et pensée. Un langage organisé agit sur l’organisation de la pensée, et une pensée organisée agit sur l’organisation du langage. » Ahmad Amin
Poursuivons l’exploration du langage des principaux prétendants à la charge présidentielle. Ses détracteurs ont souvent souligné, dans le langage de Nicolas Sarkozy, des lapsus répétés qui émaillent ses discours : "Je veux mettre au service de l’injustice plus de moyens", "Il y a des hommes et des femmes qui sont victimes de discrimination et je ne les accepte pas", "L’homme n’est pas une marchandise comme les autres", "J’ai connu l’échec et j’ai dû le surmontrer" et beaucoup d’autres.
Cela révèle-t-il une langue qui tente de dissimuler ses intentions réelles et se fait parasiter par son refoulé ou qui s’égare de manière plus anodine dans son tumulte affirmatif, nous ne trancherons pas, mais les faits montrent un certain pragmatisme relativiste déjà vu bien des fois au sommet de l’Etat, celui d’une parole qui peut revenir sur ses propres traces et les effacer à la vitesse de l’éclair, toujours avec pour but la réussite (avant tout du locuteur ...). Les contradictions et contre-vérités apparentes abondent si l’on confronte le discours aux actes, nous ne prendrons qu’un seul exemple parlant.
Au Sénat sur la loi Immigration et intégration, il a déclaré que « lorsqu’un enfant étranger est né en France ou qu’il y est arrivé en très bas âge, qu’il est scolarisé en France, qu’il ne parle pas la langue de son pays d’origine, qu’il n’a donc aucun lien avec ce pays, il serait très cruel de l’y reconduire de force (...) Son départ serait alors vécu comme une véritable expatriation et comme un déracinement. »
Des déclarations de ce type chargées d’émouvoir et de flatter un électorat éloigné de son camp sont le plus souvent rapidement démenties pratiquement (le 13 juin suivant une circulaire insistait auprès des préfets sur « le caractère ponctuel de ces dispositions d’admission exceptionnelle au séjour », l’objectif restant de proposer à ces familles une « aide au retour volontaire »).
L’essentiel étant qu’à chaque fois, la force de conviction demeure égale. Mais ce langage n’est pas une superposition de couches signifiantes qui entreraient régulièrement en conflit, qui seraient laissées en jachère par absence de cohérence interne, il s’agit bien plus d’un dispositif stratégique qui fait cruellement défaut à son opposante principale engluée dans l’indéterminé et l’addition non pensée de ces diverses couches stratégiques chargées d’attirer des électeurs variés (voire opposés). Ce propos off le montre clairement, il a une stratégie :
« Je voyais à la télévision un avion qui lançait des leurres pour attirer les antimissiles. J’ai trouvé cela très intéressant. Dans la loi sur l’immigration, je règle la question de la double peine, alors que ça n’a rien à voir. Je désamorce les critiques en envoyant un signe de souplesse, pour être plus ferme sur le reste. » (Nice- 13 avril 2003).
Entre tension caporaliste et dispositif marketing, agrémentée de quelques transitions passe-partout à base de « faut que", "je n’accepte pas que", "je veux que » et autres « y’a », cette langue sarkozyste est avant tout claire, tranchée, incisive, toujours offensive. En un mot comme en cent : performante. Son flux est véloce, rapide, aéré par peu de silences, ne cherchant ni la subtilité ni la complication « inutile ». Il se veut économe pour toucher au plus vite la cible réceptive qu’est l’auditeur.
Plus encore à l’écrit :
« D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu agir. » (p. 7, Témoignage, XO Editions). La structure de ses phrases est souvent binaire, facilitant l’accès du lecteur. Leur tempo est vigoureux.
« Dans mon esprit la parole, les idées, la communication n’ont de sens que dans la mesure où elles permettent et surtout facilitent l’action... ». Il le revendique donc, son langage est d’abord à la recherche d’un effet rapide et concret, pouvant sauter par-dessus l’intelligence laborieuse des phénomènes, leur complexité, pour accéder directement à des « solutions » et des actes. Conception très anglo-saxonne, rompant bel et bien avec une certaine tradition française plus discursive et didactique. Qu’importe, il ne craint pas les ruptures, bien au contraire, il les vante, sous-tendu par ce volontarisme qu’il n’hésite pas à exhiber assez impudiquement ce qui est également neuf en France.
« J’ai plein de cicatrices. Pour aller là où je veux aller, il faut plein de cicatrices. La décision importante, c’est de choisir d’aller là-haut. » ( Vichy- 21 juillet 2004).
Son principal écueil étant lié à sa force, ce langage inquiète tout en exaltant, son énergie symbolique laisse une impression de dangerosité, de conflits liés à cette faculté de heurter par des choix perçus comme trop tranchés, trop sûrs d’eux-mêmes. Il fait écho à une attente doublée d’une crainte, attente de choix clairs et assumés, crainte de leurs retombées effectives.
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