Nicolas Sarkozy face aux dilemmes de 2012
Christophe Barbier rapportait le 3 juin dernier sur son blog une phrase de Luc Chatel, qui si elle semble une forme de lapalissade n’en contient pas moins un enseignement certain : « Cette fois, ils veulent vraiment gagner », s’exclamait le ministre de l’Education nationale.
Luc Chatel constatait par-là d’après Christophe Barbier que, dopés par la victoire éclatante des régionales,
"les socialistes n’hésitent plus à défendre des positions très à gauche, même s’ils savent qu’elles seront inapplicables. Il s’agit là d’une sorte de capacité à la promesse, à l’utopie qui signe la forme et l’audace des partis politiques."
Ah, utopie et audace, leitmotiv imperturbables de la démocratie moderne ! Cette conception si particulière du jeu électoral fut théorisée il y a presque trente ans par un certain Jacques C. qui pour avoir su mettre en pratique ses propres découvertes put diriger la France de 1995 à 2002 : "Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent", affirmait-il dans Le Monde du 22 février 1988.
Mais laissons-là la préhistoire : en 1988, Nicolas Sarkozy avait 33 ans, et il était encore chiraquien jusqu’au bout des ongles (c’est dire si cela date) ; Carla Bruni en avait 21, et elle faisait ses premiers défilés ; quant au Luc Chatel de 1988, du haut de ses 24 ans, il terminait à peine son DESS de marketing où il apprenait encore à concevoir des phrases inoubliables, à l’image de celle que cite Christophe Barbier. Quittons donc sans regret 1988, et revenons prestement à 2010 2012.
Christophe Barbier ne nous dit pas si Luc Chatel paraissait plutôt effrayé ou réjoui lorsqu’il prononça ces mots. Son sens politique aurait dû l’inciter à une certaine allégresse : sans la victoire socialiste aux régionales, 2012 aurait sans doute échappé à un Nicolas Sarkozy alors incapable de désigner un adversaire extérieur à son camp ; et à l’image des royaumes francs qui se divisaient un peu plus à chaque passation de pouvoir, il n’aurait pu assurer l’unité de son parti. Or depuis les régionales, tout est (en apparence) beaucoup plus simple : la certitude de devoir affronter un candidat du Parti socialiste augure même des lendemains prometteurs, si l’on en croit la pauvreté stratégique du parti concerné, dont la capacité de réflexion et de mobilisation était ces dernières années inversement proportionnelle au volume gargantuesque des (nombreux) egos en présence.
Oui, mais voilà : sur ce boulevard en apparence dégagé se dressent désormais trois écueils sombres comme la nuit. Le premier se nomme DSK, le second Dominique de Villepin, le troisième Ségolène Royal.
DSK, Dominique Strauss-Kahn pour les non-intimes, est peut être le plus complexe des trois tant il suscite d’interrogations. La première d’entre elles reste bien entendu sa candidature : admettons-la comme acquise. La deuxième est celle de l’adhésion des socialistes : gageons que les sondages et les tractations internes trancheront pour eux. La troisième, plus sérieuse déjà, est celle du score au premier tour des présidentielles. Et là, il y a deux solutions :
- soit DSK reoriente son discours vers la gauche pour rassembler la frange réactionnaire du PS, et il prend le risque de perdre, au-delà de sa crédibilité, des voix au centre - au profit de Villepin notamment ;
- soit il tient un discours en conformité avec ses convictions sociaux-libérales, et il prend alors le risque de renforcer la candidature (et le score) d’un Jean-Luc Mélenchon survolté, pour peu que ce dernier ait su régler ses différends avec son allié communiste.
La quatrième interrogation est celle de l’hypothèse d’un second tour : comment Sarkozy peut-il vaincre, sans véritable réserve de voix (les électeurs du FN ne seront pas aussi faciles à débaucher qu’en 2007), un DSK auréolé du prestige FMIen, à qui la crise et ses remèdes auront par ailleurs conféré une crédibilité économique certaine ?
Pour créer cette réserve de voix, Nicolas Sarkozy a déjà tendu la main à François Bayrou : exit les hypothèses Morin et Borloo, trop facilement identifiables comme sarkozystes. Bayrou par contre, tout en n’étant pas soupçonnable de complaisance, n’en est pas moins le dos au mur : il n’a plus d’autre choix s’il veut continuer à faire entendre sa partition que d’utiliser le porte-voix sarkozyste - au moment voulu bien sûr, c’est à dire entre les deux tours.
Sauf que désormais - et il s’agit du second écueil - il y a Dominique de Villepin, dont la République annoncée comme Solidaire exprime clairement l’ambition de braconner sur les terres centristes, sous le ciel dégagé ces derniers temps du gaullisme social. Et si la candidature dissidente d’un Villepin votophage (mangeur de voix) à droite ne posait pas de problème tant que Ségolène Royal envisageait de faire de même à gauche, les choses semblent aujourd’hui se gâter (troisième écueil), tant elle semble prête en apparence à vendre son droit d’aînesse à la candidature pour un plat de lentilles maroquin futur :
"Martine, Dominique et moi-même, je crois qu’on a la responsabilité de se parler pour savoir autour de quel projet cohérent les socialistes et la gauche vont rassembler tous les Français, de la gauche radicale aux centristes humanistes. C’est dans ce vaste rassemblement autour d’un projet porteur, en mettant de côté les batailles d’ego et la guerre des chefs, que nous pourrons nous engager dans une dynamique de primaires. S’il y a trop de dissensions ou si le projet n’est pas suffisamment clair ou si nous n’organisons pas les convergences programmatiques avant, il y aura dans les primaires un combat des chefs qu’il sera très difficile ensuite de surmonter pour gagner l’élection présidentielle."
Toutes ces questions, Nicolas Sarkozy a un an pour y répondre. Certes, il est fort possible que l’évolution de la situation côté socialiste ou que la conjoncture économique lui facilitent en partie le travail, mais le spectre d’un scenario catastrophe doit encore hanter ses nuits. Un PS intelligent, qui mettrait DSK à sa tête en l’entourant de statures telles que (au hasard) celle de Hubert Védrine, et ce serait l’insomnie chronique.
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