Nicolas Sarkozy, meilleur cycliste que gymnaste...
Notre régime politique est tel que nul ne peut espérer être élu président de la République si, tel un de Gaulle au petit pied (celui de 58 n’étant déjà plus celui de 40), il ne prétend au rassemblement national.
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Car en France, le détenteur du pouvoir exécutif, autrement dit le président, se voit conférer, par le suffrage universel, le titre parfaitement ambigu et seulement coutumier de « président de tous les Français ».
Petit tour de chauffe chez les
Anglais...
Au Royaume-Uni, le prime
minister est Premier ministre de la reine, elle-même reine de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et non reine des Britanniques. Et en définitive,
comme le prime minister est le chef du parti qui a remporté les
élections, à aucun moment il ne prétend être le chef de tous les Britanniques.
Au contraire, il émane d’une partie - d’un parti - des Britanniques. Il est
avant tout un membre du corps législatif principal, la Chambre des communes
nouvellement élue, délégué par cette dernière et la reine - selon le principe séculaire
du « King in Parliament » - à l’exercice du pouvoir exécutif,
pouvoir considérable que ses pairs n’envisagent de contrecarrer que dans des
circonstances extrêmes, d’ailleurs plus liées à l’usure de la pratique
gouvernementale qu’aux caractères dramatiques des circonstances. Pragmatique,
la classe politique britannique ne s’est pas débarrassée de Margaret Thatcher
au moment de la guerre des Malouines ou lors des négociations sur le financement du
tunnel sous la Manche, mais à l’occasion d’une banale réforme fiscale.
L’obsession de l’unité, comme en 1995
Pourquoi ce détour par
Albion ? Pour rappeler aux Français, en renversant le vieux proverbe,
qu’on peut aussi se désoler, et non seulement se consoler, quand on se compare...
Le tropisme du rassemblement et l’obsession de l’unité qui dégoulinent des
discours électoraux actuels sont l’un des signes les plus éloquents de
l’obsolescence de notre régime. Outre qu’il fait relever la politique du champ
des « arts absolus », comme à l’époque des grandes idéologies
anthropocentrées où les stades illuminés rassemblaient, un jour les Mêmes, le lendemain
les Autres, c’est-à-dire les ennemis, ceux dont les têtes dépassent - outre cette
dérive vers l’irrationnel, donc, il fait bégayer notre histoire politique.
Ainsi Nicolas Sarkozy joue-t-il depuis le lancement officiel de sa campagne, en janvier dernier, au Chirac de 1995. Certes, il avait déjà du président sortant, son père en politique, l’énergie quasi animale et le goût du pouvoir. Il s’en rapprochait aussi - ceci expliquant cela - par un certain pragmatisme, pour ne pas dire un certain flottement, dans les convictions. Un point semblait cependant les distinguer, un point crucial en ce début de XXIe siècle où règne la plus grande confusion : une forme de lucidité, de perspicacité qui lui avait permis de saisir les évolutions de fond affectant la société française, et partant de comprendre la nécessité de recycler notre vieille république gratuite, laïque et obligatoire.
Se charger d’un héritage ou se vouer à un projet ?
Mais aujourd’hui, à quoi
assistons-nous ? Sarkozy, lui aussi, veut rassembler. Autrement dit, il
veut commencer par se lier les mains avant de se retrousser les manches. Près
de lui, il veut avoir tout le monde - il n’aura donc personne. Qui trop
embrasse mal étreint... En janvier déjà, il déclarait aux militants de
l’UMP : « Ma France, c’est le pays qui a fait la synthèse entre
l’Ancien Régime et la Révolution (...). Ma France, c’est celle de tous les Français
sans exception. C’est la France de Saint-Louis et celle de Carnot, celle des
croisades et de Valmy. » Bref, c’est la France du passé. Où est passée la
France d’après ? Non seulement Nicolas Sarkozy se pose en héritier - fils
prodigue ? fils aîné ? - mais, comme si un seul héritage ne suffisait
pas, il s’en impose deux ! Au lieu qu’on lui demande de se vouer à un
projet - une attitude par ailleurs conciliable avec le plus grand respect pour
les siècles passés.
Ne me parlez pas d’amour !
Sarkozy n’est pas homme à
s’arrêter sur sa lancée, surtout s’il la juge efficace, ce qui est globalement
le cas puisqu’il fait la course en tête. D’où son dernier grand discours,
devant les jeunes de l’UMP au Zénith de Paris, il y a dix jours. Un discours
consacré à... l’amour ! Ce registre de
l’affect - en l’espèce il ne s’agit pas de vertu, mais de sentiments - nous
parait délicat à manier et peut révéler, au mieux une approche
strictement « marketing » de la politique, au pire un sournois
totalitarisme de la médiocrité. Morceaux choisis : « J’ai
suffisamment d’expérience de la vie, de ses épreuves comme de ses joies pour
vous le dire avec certitude. Aimer, c’est la seule chose qui compte vraiment.
(...) Aimer ! C’est prendre le risque de souffrir. Aimer ! C’est s’engager, se
donner sans retenue, avec une générosité infinie, c’est abolir toutes les
barrières, toutes les distances, accepter de devenir sensible,
vulnérable. » Après tout, Nicolas Sarkozy n’a pas moins de légitimité que
d’autres à parler d’amour : sans doute a-t-il un cœur lui aussi,
contrairement à ce qu’affirment les rares intellectuels restés à gauche -
Djamel et Diam’s, grosso modo. Mais pour gouverner la France c’est Tony
Blair ou Helmut Kohl qu’il nous faut, pas Jean-Paul II. On ne se nourrit pas de
symbole ; l’amour et l’eau fraîche ne font pas une politique.
Sarko, maillot jaune plutôt que maillot de corps...
A l’obsession du rassemblement s’ajoute donc une pratique irrationnelle, désordonnée et pour tout dire usurpatrice de la politique. Le plus loin possible à droite, le plus loin possible à gauche : comme tant d’autres avant lui, Sarkozy pratique le grand écart. Nous le croyions pourtant plutôt fan de cyclisme... De fait, nous le préférons en leader d’équipe sur le Tour de France, plutôt qu’en gymnaste esthète, spécialiste improbable de l’eros, de la philia et de l’agapè.
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