Vous connaissez sûrement ce rituel institutionnel pratiqué dans nos plus belles entreprises : l’entretien annuel d’évaluation des performances. Selon des critères quantitatifs et qualitatifs chaque collaborateur est soumis en décembre de chaque année à l’appréciation sévère mais « juste » de son responsable hiérarchique
Une définition de fonction et des objectifs "partagés" garantissent, en principe, une évaluation objective. Il est conseillé à l’évaluateur de justifier son appréciation, d’éviter toute émotion, toute interprétation et tout jugement de valeur.
Une échelle de Beaufort, codifiée généralement sous forme de lettres, sert à mesurer les performances pour chaque critère considéré :
- A : Grand beau temps ; performance supérieure à l’objectif fixé et aux attentes ;
- B : Beau temps ; en ligne avec l’objectif fixé, conforme aux attentes ;
- C : Avis de grand frais ; inférieure à l’objectif et aux attentes.
S’ensuit une appréciation globale du collaborateur, puis les objectifs pour l’année suivante, enfin les compétences à acquérir ou à améliorer soit pour accéder à de plus hautes responsabilités, soit se maintenir, ou tout bonnement éviter de se faire virer.
Coprince d’Andorre, Chanoine honoraire de Saint Jean de Latran, ces camouflages protocolaires cachent en vérité un statut bien plus singulier : Nicolas Sarkozy est notre employé ! Logique car nous l’avons recruté, le rémunérons, le logeons, le nourrissons, lui remboursons tous ses frais, lui fournissons un véhicule de fonction kilométrage illimité, un avion, un hélicoptère, des gardes du corps et nous lui offrons ses vacances, exceptées ses escapades exotiques déjà sponsorisées par de mystérieux philanthropes. Nous aurions donc à priori fait le maximum pour qu’il puisse disposer d’un contexte favorable à son épanouissement. A priori...
Car en dépit de notre prévenance notre employé porte les stigmates d’un homme perturbé. Ses contorsions, version revisitée de la "danse de Saint Guy" et ses rictus, expression d’une insupportable et secrète douleur, constituent effectivement les manifestations caractéristiques d’un profond tourment. Ce cerveau solitaire, en surchauffe permanente, doute. L’ambiance de travail serait-elle mauvaise, serait-il insatisfait du contenu du poste, la charge de travail serait-elle trop lourde, redouterait-il d’avoir atteint son seuil d’incompétence (principe de Peter) ou aurions-nous, en tant qu’employeurs, négligé un paramètre essentiel ?
Voilà, c’est çà, nous avons été négligents ! Et même incroyablement négligents en omettant de programmer son entretien annuel d’évaluation. Comment voulez-vous que sa "confiance en soi" n’en fût pas fortement ébranlée ? Une telle absence de considération et un tel déficit de communication peuvent en effet être diversement interprétés : suis-je à la hauteur, sont-ils contents de moi, n’ont-ils plus de budget pour m’augmenter, veulent-ils me licencier ?
Nous l’avons fragilisé par manque de rigueur. Or notre choix de Mai 2007 n’était pas anodin : nous supputions qu’il était porteur d’un incomparable talent, d’un programme lumineux et d’une authentique probité. Un candidat talentueux, carré et franc du collier, çà ne court pas les rues ! (source : syndicat des chasseurs de têtes). Nous aurions dû nous douter qu’avec une telle pointure la transparence n’est pas une option. C’est pourquoi une méthode de management dynamique, interactive et stimulante doit, dare-dare, lui être appliquée. D’abord pour l’apaiser, ensuite et surtout si nous voulons nous donner une chance, infime probabilité, de le fidéliser. Ce sera notre cadeau pour ses deux ans à l’Elysée.
L’activité royale - ne négligeons rien car apparemment notre employé serait sensible aux apparats - de Nicolas Sarkozy sera donc évaluée désormais chaque année à partir de trois critères significatifs et en toute impartialité : la technique mise en oeuvre, le style et les résultats. Nous conclurons par une appréciation générale et par les objectifs pour l’année à venir.
Votre technique : La perfection de votre technique (1) relève de prédispositions peu ordinaires et vous permet de magnifier, pour le plus grand prestige du royaume (tant qu’on y est !), votre remarquable productivité. Le 13 Novembre 2008, à l’Elysée, vous recevez le prix du courage politique pour votre action lors du conflit Russie Géorgie. Vous en profitez pour relater les préparatifs de votre voyage à Moscou, nouvelle occasion de mettre en exergue votre royale prestance : "Alors que ma valise était prête, George Bush me téléphone et me déconseille fortement d’entreprendre ce voyage." "N’y va pas, n’y va pas ! Ils sont à 40 km de Tbilissi." Révélation qui contraint quelques jours plus tard un George Bush ulcéré à exhiber à notre ambassadeur une fidèle transcription de votre conversation téléphonique (bassesse ou saine émulation ?) : "Vas-y, vas-y, tu as raison, je te soutiens !" Cet exemple suffit à illustrer vos aptitudes hors normes. Nous sentions bien que vous aviez du potentiel, mais plus fort que Bush nous n’imaginions même pas que çà pouvait exister !
Inutile de vous dire que vos réalisations, les affaires Pérol, Tapie, Clavier, les commissions Stiglitz, Attali, le traité simplifié, l’imprescriptible loi TEPA, le légendaire bouclier fiscal allemand, le décret-placébo stock-option, les 172% d’augmentation, le budget exponentiel de l’Elysée, votre serment de Gandrange, vos sermons au MEDEF, votre escapade Mexicaine, vos numéros anté et post G20 et tant d’autres encore, sont très² supérieures à nos attentes. Cotation triple A. Nous sommes contraints d’innover car un simple "A" constituerait une insulte à votre royale créativité.
Votre style : Votre style est volontaire, animé, pressé, décidé, fougueux. De rares détracteurs osent vous traiter de gesticulateur ! Si votre dépense d’énergie peut être considérée excessive - pensez à préserver votre santé - la paresse, l’incompétence et la sottise de vos prédécesseurs, de votre gouvernement, de votre opposition et de vos alter-égo justifient pleinement ce surinvestissement. Vous aimez prendre vos responsabilités alors naturellement vous compensez. Intrépide mais rusé, vous aimez manier les concepts complexes avec subtilité : "je ne vous mentirais pas, je ne vous trahirais pas, je ne vous décevrais pas", s’entendait bien entendu au conditionnel ! Parfois curieux : "j’écoute...", mais toujours inflexible : "...mais je ne tiens pas compte", votre conception de l’échange récuse fermement toute forme de contradiction car vous considérez, sans complaisance, qu’infaillibilité rime avec exclusivité. Cotation triple A. Vous remarquerez notre source d’inspiration : le barème des agences de notation U.S. dont les cotations se sont révélées si pertinentes !
Vos résultats : Pour ne rien vous cachez jusqu’à fin décembre nous étions très anxieux et nous doutions de vos capacités à rivaliser avec les américains. Quand enfin en janvier une pluie de bonnes nouvelles - l’annonce de la récession, puis la forte montée du chômage et enfin l’explosion des déficits et de la dette - nous a pleinement rassurés. Vous avez su vous "hisser" au niveau des meilleurs et nul doute que vous vous y maintiendrez. Nous nous louons d’avoir choisi un homme dont la culture du résultat se révèle être un facteur déterminant dans un contexte d’une rare hostilité. Cotation : double A. Ne soyez pas amer !!... Un triple A serait prématuré et nous attendons confirmation de vos premiers succès pour bonifier notre appréciation. Nous savons votre attachement viscéral au mérite et comprenons votre impatience d’être justement récompensé.
Appréciation globale : Depuis deux ans, grâce à vos innombrables réformes et conformément à vos engagements, la qualité de vie des français s’est très nettement améliorée. Chaque jour des millions de français redevables, travailleurs-débridés, patrons-séquestrés, chômeurs, postulants-chômeurs, grévistes, sans-papiers, chercheurs-improductifs, médecins-hospitaliers-gaspilleurs, étudiants-casseurs, bidasses-fumistes, piliers du Fouquet’s, patrons-gavés, parachutistes-dorés, immunisés-fiscaux, dame-repentante du Poitou, simplet du Béarn, ex-roi fainéant, députés-fantômes, ministres-potiches, CSA (Conforme à la Sélection Autorisée), gauchistes-terroristes, internautes-délinquants, boucs-émissaires, pov’con, félons, coquins, racailles, flagorneurs et l’immense majorité de "nullards et d’amateurs" peuvent mesurer le chemin parcouru et les progrès accomplis. La France rayonne, la France respire, la France s’harmonise, la France s’active. Les Français apaisés sont enfin âpres au gain. Les manifestations spontanées de Février et Mars 2009 n’étaient que la confirmation que votre politique est massivement plébiscitée. Les 65% qui estiment que votre action va dans la mauvaise direction ? Une ruse pour éviter que vous ne soyez trop fortement désiré. Car de Pékin à Anguilla, de Pyongyang aux Iles Caïmans, de Tripoli aux Iles Marshall c’est avec gourmandise que l’on reluque notre champion de la "démocratie irréprochable" et du "capitalisme moralisé".
Objectifs pour 2009/2010 : La France étant désormais sur des rails, il est temps maintenant de consacrer votre énergie et vos compétences à la correction des faiblesses extérieures (pourquoi pas d’ailleurs un ministère des faiblesses extérieures ? Avec un Frédéric Lefebvre pêchu à la baguette çà aurait de l’allure !) :
- Assurer une présence bienveillante auprès de Barack Obama, encore un peu tendre, afin de compenser son inexpérience. Notre conseil : exigez une chambre permanente à la Maison Blanche (de préférence contigüe à celle de Barack) ;
- Remettre à niveau José Luis Zapatero et Angela Merkel grâce à votre méthode d’apprentissage accélérée : "Mes techniques d’enfumage expliquées aux buses". Notre conseil : eu égard au Q.I. de vos deux élèves, allez-y graduellement et privilégiez les exercices pratiques (entrainement intensif) ;
- Sensibiliser vos camarades du G20 à la nécessité d’adopter une bonne hygiène dentaire afin de disposer du matériel le plus opérationnel possible pour aller chercher la croissance. Notre conseil : le contrôle par vous-même de la réalisation et de l’efficience des trois brossages quotidiens (pour gagner du temps inspirez vous des techniques modernes type vidéo conférence).
Facultatif : superviser l’évolution des dossiers "secret bancaire, paradis fiscaux, salaires des patrons, pouvoir d’achat, chômage, délocalisations, déficits, justice, santé, démocratie..." Comme il serait irresponsable et contreproductif d’alourdir plus que de raison votre charge de travail, nous préférons mettre cet objectif en option afin que vous restiez concentré sur l’essentiel : le stratégique.
La bonne exécution de ces trois missions claires, nettes et précises, doit vous conduire naturellement à la réalisation de votre très légitime ambition : le trône mondial. Alors bon courage pour cette 3° année. Nous comptons sur vous, une fois encore, pour vous surpasser et nous étonner. Rendez-vous dans un an...
Fait au Palais et approuvé sans réserve le 4 Mai 2009.
(1) - Technique du Matamore : personnage de la comédie espagnole qui se vante à tout propos de ses exploits guerriers contre les Maures et que l’on représente généralement en uniforme chamarré. Faux brave plus courageux en paroles qu’en actes, au geste large et au verbe haut. Technique connue aussi sous le nom d’enfumage. Font également l’affaire : tartarinade, boniment, fanfaronnade, imposture, tartuferie...
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Une bonne grève générale serait ce qu’on peut lui offrir de mieux et, en rêvant un peu, une bonne insurrection expropriant ses amis du CAC40, socialisant les banques et partageant entre toutes et tous les richesses produites par les travailleurs....