Nouvelle réforme de la Justice : le jugement erroné de Sarkozy
Le Garde des Sceaux, Michel Mercier, doit présenter mercredi 13 avril en Conseil des ministres un projet de loi sur la justice portant notamment, d’une part sur la présence de jurés populaires en Correctionnelle, d’autre part sur la motivation des verdicts lors des procès d’Assises. Deux mesures téléguidées par Nicolas Sarkozy et destinées à brosser les Français dans le sens du poil pour redorer l’image d’un exécutif en pleine crise...
C’est en septembre 2010 que Sarkozy, relayé dans sa communication par l’inénarrable Hortefeux, a livré son idée de « rapprocher le peuple de la Justice » en plaçant des jurés populaires à côté des magistrats ayant à juger les affaires de Correctionnelle. Un projet réaffirmé sur TF1 par le chef de l’État lors de sa médiocre prestation face à un panel de Français le 10 février. But de la manœuvre : contribuer par la présence de citoyens tirés au sort à durcir des verdicts beaucoup trop laxistes aux yeux du chef de l’État. Il est comme cela, Sarkozy, il croit dur comme fer que les magistrats du siège n’ont qu’un objectif : relaxer le maximum d’accusés ou prononcer les peines les plus légères possibles. D’où la volonté de faire appel à des jurés populaires tirés au sort et porteurs d’un idéal forcément plus répressif. Avec mission, pour ces Saint-Just ou ces Robespierre venus de la France profonde, non seulement d’exiger, mais d’obtenir contre les délinquants un alourdissement significatif des peines d’emprisonnement.
L’idée d’adjoindre des jurés populaires aux magistrats n’est certes pas mauvaise en elle-même. Elle participerait d’ailleurs, comme on peut le constater aux Assises, à responsabiliser les individus tirés au sort, à leur faire prendre conscience, par une expérience personnelle impliquante, des réalités de la société dans laquelle ils vivent. Mais, et c’est là que Sarkozy se leurre, rien ne permet d’affirmer que ces jurés populaires se montreront plus sévères que les magistrats professionnels rompus à l’exercice. Des magistrats surtout beaucoup mieux armés, dans la plupart des cas, que les simples citoyens pour déceler les dissimulations ou les numéros émotionnels de certains prévenus passés maîtres dans l’art de la manipulation. Pour avoir été juré d’Assises moi-même, avoir assisté à plusieurs procès, tant d’Assises que de Correctionnelle, et avoir à différentes reprises évoqué ce sujet avec des magistrats et des avocats, je suis arrivé à la conclusion inverse de Sarkozy : les jurés populaires, plus facilement touchés par l’évocation des parcours personnels difficiles de certains accusés, risquent fort, n’en déplaise à notre présomptueux président, de se montrer encore plus modérés que les magistrats.
La présence de jurés populaires en Correctionnelle pose en outre de réels problèmes d’intendance et de conduite des procès.
Problèmes d’intendance car il va bien falloir alourdir le fonctionnement de la Justice, d’une part en mettant en place les mécanismes de sélection des jurés, d’autre part en dégageant les moyens destinés au défraiement des frais et du manque à gagner professionnel des citoyens tirés au sort pour une session.
Problèmes de conduite des procès car les magistrats qui, aujourd’hui, jugent les affaires ont (et continueront d’avoir) accès au dossier d’instruction, ce qui ne sera évidemment pas le cas des jurés populaires. D’où la nécessité, à l’instar de ce qui se passe aux Assises, de calquer la conduite des procès de Correctionnelle concernés par cette réforme, sur l’oralité totale des débats, autrement dit la comparution de tous les acteurs impliqués dans l’affaire afin qu’ils puissent être entendus par les jurés populaires : accusés, enquêteurs, experts, témoins. En clair, cela entraînera un allongement spectaculaire de la durée des procès et le recrutement de nouveaux magistrats, de nouveaux greffiers, de nouveaux policiers ou gendarmes affectés aux transferts pénitentiaires. Bref, cela nécessitera des moyens financiers accrus dans une administration d’ores et déjà exsangue !
Face au tollé des professionnels de la Justice et aux réticences, plus feutrées mais fermes, des services de Bercy, Sarkozy a pourtant renoncé, comme il en avait l’intention au départ, à imposer la présence de jurés populaires dans toutes les affaires de Correctionnelle, y compris celles, techniques au point d’en être parfois inextricables, qui concernent la délinquance financière ou les manquements industriels pour ne citer que ces cas-là. Reste donc les atteintes graves aux personnes – vols avec violence, coups et blessures, agressions sexuelles – où les jurés, dans les conditions évoquées ci-dessus, pourront utilement participer au jugement. Encore faudra-t-il, on l’a vu, trouver les moyens financiers indispensables pour faire face à cette nouvelle et bien peu indispensable réforme. Mais le monarque a parlé...
L’autre volet de l’intervention de Michel Mercier concerne la motivation des verdicts aux Assises. Une autre manière, pour Sarkozy, de durcir les jugements, le laxisme pouvant, selon lui, se nicher dans la dilution des responsabilités que peut induire la non-motivation de ces verdicts. Le 1er avril, le Conseil constitutionnel, saisi de deux QPC (questions prioritaires de constitutionnalité) a déclaré conforme l’absence actuelle de motivation du verdict aux Assises. Il appartiendra donc au législateur de réformer ce point, d’où son introduction dans le projet de loi élaboré par le Garde des Sceaux.
La majorité étant ce qu’elle est, il ne fait aucun doute que ce volet de la loi sera voté, et il n’y a rien là de choquant, tant il peut sembler anormal que la motivation soit imposée pour les affaires de délinquance et absente pour les affaires criminelles. Mais autant les magistrats sont, du fait de leur expérience, habitués à formuler les motivations d’un verdict de Correctionnelle, autant les jurés populaires risquent de se trouver démunis face à cette nouvelle obligation. C’est pourquoi Michel Mercier entend confier au président de la Cour d’Assises la rédaction de ce texte, destiné à être lu en salle d’audience lors de l’énoncé du verdict. Une question sensible qui risquerait fort d’engendrer, ici et là, quelques difficultés avec les jurés populaires pas forcément en accord avec le président sur la nature de cette motivation. On pourrait donc, à cette occasion, voir ressurgir les accusations de manipulation par les magistrats qui sont régulièrement mises en avant par quelques anciens jurés francs-tireurs. C’est pourquoi, selon toute probabilité, le texte de motivation sera, pour éviter tout écueil de cette nature, rédigé non seulement après que le verdict ait été arrêté lors de la délibération, mais aussi après que la hauteur de la peine ait été définie en cas de culpabilité.
Et c’est ainsi, n’en déplaise là encore à Sarkozy, que cette innovation utile ne jouera pas le moindre rôle dans un éventuel durcissement des peines induit dans l’esprit du chef de l’État par la nécessité pour le jury de justifier son verdict. Pire : elle pourrait avoir l’effet inverse et conduire à de plus nombreux verdicts de relaxe, eu égard à la difficulté pour un jury de justifier une condamnation sans preuve mais prononcée sur d’intimes convictions ou un faisceau de présomptions plus ou moins aléatoires.
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