Obama - Le pantin d’ébène
« J’espère qu’il comprendra, s’il est élu, le degré de désillusion qui surviendra s’il ne devient pas un homme meilleur qu’il ne le sera jamais. »
Sean Penn - Festival de Cannes 2008
Si l’élection de Barack Obama a suscité un engouement unanime, la questionner relève du bon sens. L’allégresse grégaire générale a toujours ce quelque chose de suspect.
Le prix de la victoire
Le triomphe du candidat démocrate était une évidence, non pas un miracle. En témoigne la disproportion des montants dépensés pour le financement des campagnes électorales : 605 millions de dollars pour le grand vainqueur contre 150 pour son adversaire républicain - soit un très inégal rapport de 1 à 4. A titre de comparaison, George W. Bush et John Kerry avaient respectivement déboursé 345 et 380 millions de dollars lors de la précédente élection présidentielle.
La raison de cette surpuissance financière serait simple : cet argent est celui d’une armée de petits donateurs (les grassroots). Cette légende a été mise à mal par une enquête du Washington Post en date du 22 octobre 2008 [1] : seul un quart des fonds de campagne provient des couches populaires.
Leur poulain ayant finalement décidé de se passer des fonds publics, les trois quarts restants ne sont pas tombés du ciel. Ils sont les généreux subsides de banques [2], de compagnies d’assurances, de firmes pharmaceutiques, du complexe militaro-industriel et de Hollywood.
Les équipes chargées de recueillir ces subsides ont rivalisé d’inventivité pour contourner la loi américaine [3]. Elles ont, en particulier, multiplié les comités destinés à recevoir les dons. Au premier Democratic National Committee se sont ajoutés le Comité du Changement, l’Obama Victory Fund etc. Astuce supplémentaire, elles ont monnayé à quelques dizaines de milliers de dollars l’accès aux principaux conseillers et à Michelle Obama lors de soirées de soutien.
Et ces efforts ont été récompensés. En application d’une immarcescible tradition, les meilleurs bundlers [4] squattent aujourd‘hui les plus prestigieuses ambassades. Ainsi, Tokyo a vu débouler John V. Ross, lequel a collecté plus de 500 000 dollars. Paris a accueilli Charles H. Rivkin, 800 000 dollars. Enfin, Londres a récolté la crème des crèmes : Louis B. Susman, ancien président de Citigroup, surnommé "l’aspirateur" pour sa surprenante capacité à attirer les billets verts, a amassé plus de 900 000 dollars dans ses filets.
Ce même Louis B. Susman, alors en charge des finances de la campagne de John Kerry, s’était vu demander par celui-ci de porter son attention sur un jeune candidat au Sénat, un certain Barack Obama…
« Aucun lobbyiste ne travaillera à la Maison-Blanche » [5]
Renvoi d’ascenseur oblige, il est difficile de dire non à ses sponsors. Ainsi, sans jamais joindre le geste à la parole, le nouveau président leur a ouvert un peu plus grand les portes de l’administration américaine.
Et ce dès la période de transition. Christopher Lu, l’homme chargé de débusquer les conflits d’intérêts au sein du nouveau gouvernement, était aussi indépendant que peut l’être le mari d’une lobbyiste et le frère d’un lobbyiste. Toujours dans l’équipe de transition, les responsables du département du Trésor étaient un lobbyiste de Stonebridge International [6], Michael Warren, et un ancien associé-gérant de la banque d’affaires Lazard Frères, aujourd’hui directeur du hedge fund spéculateur Blue Wolf Capital, Josh Gotbaum.
Une fois les quelques cent trente collaborateurs choisis et répartis aux différents postes, il apparaît rapidement que l’exécutif est infesté par les transfuges du privé. Sont représentés, entre autres, Fannie Mae, Boeing et General Dynamics [7], KPMG [8], de grandes firmes pharmaceutiques (Amgen) et de riches familles indiennes propriétaires de casinos sur leurs réserves.
L’assortiment des conseillers est tout particulièrement éloquent. James L. Jones, conseiller à la sécurité nationale, a travaillé à plein temps pour la United States Chamber of Commerce, l’équivalent du Medef français, et a tapé l’incruste dans les conseils d’administration de Boeing et Chevron. Dennis Ross, conseiller spécial pour la "région centrale" (Israël, Irak, Syrie, Liban, Afghanistan, Pakistan), est un ancien dirigeant du think tank de l’AIPAC [9].
Wall Street connexion
La surreprésentation du monde de la finance est singulièrement accablante. Les couplets Main Street vs. Wall Street sont passés de mode, et la même engeance bancaire continue de sévir aux divers postes clés.
L’immanquable Robert Rubin, fort de ses allers-retours entre Wall Street et Washington, est le conseiller économique (très) spécial du pourfendeur de l’économie virtuelle. Passé par Goldman Sachs et Citigroup - qu’il a mené au bord de la faillite, il a été l’artisan, en tant que Secrétaire au Trésor de Bill Clinton, de la déréglementation catalyse de la dernière tumeur financière.
L’actuel Secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, qui était à l’époque sous-secrétaire, est également très critiqué pour ses liens, réels ou supposés, avec Goldman Sachs. Son chef de cabinet, Mark Patterson, est un ancien lobbyiste de Goldman Sachs et son conseiller Don Jester a travaillé dans le département stratégie de la même Goldman Sachs.
Conseiller économique supplétif en tant que président du Conseil pour la reconstruction économique, Paul Volker a fait sa carrière dans la banque à la bonne école, successivement chez les Rockefeller (Chase Manhattan Bank) et chez les Rothschild (J. Rothschild, Wolfensohn & Co.). Chef de cabinet de la Maison Blanche, Rahm Emanuel a bâti sa fortune dans la banque d’investissement, en tant que directeur de la Dresdner Bank.
Le changement avec les mêmes
Les groupes d’influence sont très présents, qui ne cessent d’alimenter (innocemment) les théories du complot. Les places cruciales sont, par exemple, presque invariablement occupées par des membres du Council on Foreign Relations (CFR), think tank étatsunien de 4000 membres créé en 1921 et qui publie la revue Foreign Affairs. En sont le Secrétaire au Trésor (Timothy Geithner), le Secrétaire à la Défense (Robert Gates), le Secrétaire à l’Agriculture (Tom Vilsack), le Secrétaire à l’Intérieur (Ken Salazar), le Secrétaire à la Santé (Tom Daschle), le conseiller économique spécial (Robert Rubin), le président du conseil pour la reconstruction économique (Paul Volcker), le conseiller aux affaires étrangères (Zbigniew Brzezinski), le conseiller à la sécurité nationale (James L. Jones), l’ambassadrice à l’ONU (Susan Rice), la directrice de la Homeland Security (Janet Napolitano) etc.
En juin 2008, les médias se sont étonnés que Hillary Clinton et son rival des primaires se rendissent dans le Nord de la Virginie pour s’entretenir. Peu ont fait le lien avec la tenue, précisément en ce même lieu, du très confidentiel rassemblement annuel, dont les conclusions sont gardées secrètes, du collectif Bilderberg, un club informel de 130 membres - personnalités issues de la diplomatie, des affaires, de la politique ou des médias. Celui-ci possède également ses relais au sein de la nouvelle administration, notamment le Secrétaire à la Défense et le Secrétaire à la Santé.
La Commission Trilatérale, rejeton des deux clans précédemment évoqués, n’est pas en reste. Cette organisation privée, créée en 1973 pour promouvoir la coopération politique et économique entre les pays de la Triade (Amérique du Nord, Europe occidentale, Asie-Pacifique), a vu 11 de ses membres nommés par Barack Obama. Font partie de ces heureux élus Timothy Geithner et Zbigniew Brzezinski, lesquels, par ailleurs, ont appartenu à plusieurs administrations antérieures.
Cette homogénéité des cercles du pouvoir est accablante : l’establishment américain a atteint un tel niveau d’inceste qu’une seule nomination suffit à pourvoir aux intérêts de multiples castes.
Les illusions perdues
Ses velléités de changement remisées dans l’étui révolver, le nouveau locataire de la Maison Blanche a alors engagé une politique qui confine à l’amnésie.
Aux oubliettes le beau discours dénonçant l’entrée en guerre en Irak - dont la teneur en courage est à nuancer l‘orateur s‘étant assuré auprès de ses conseillers que son avenir politique n‘en souffrirait pas, l’engagement de retirer les 133 000 soldats américains du bourbier irakien d’ici à 16 mois est revu à la baisse, puis réévalué à 3 ans, soit 36 mois. Sur l’autre front, de l’autre côté du maléfique Iran, la substantielle augmentation des contingents [10] est une preuve concrète supplémentaire de la richesse des acceptions du mot "paix".
La promesse de fermer la prison de Guantanamo a été à son tour confrontée aux affres de la réalité. En dépit de l’ordre de fermeture du camp, effectif dans un délai d’un an, signé en janvier 2009 par le président américain lui-même, et en contradiction avec l’effet suspensif immédiat de cet ordre, le pensionnat des "terroristes" continue de fonctionner , et les procès militaires se poursuivent.
Dernière mystification en date, le projet d’un accès universel à l’assurance-maladie est en passe d’accoucher d’un texte a minima. Les cinquante millions d’Américains dépourvus de couverture maladie ne pourront bénéficier de l’"option publique" voulue par Barack Obama pour concurrencer les offres du système privé.
Restent les thèmes de campagne qui emplissent désormais le placard des désirs refoulés, ou le crématoire des espoirs donnés en pâture. Ainsi, les diatribes anti-ALENA [11] n’étaient « que de le rhétorique de campagne », de l’aveu d’un conseiller économique à l’ambassadeur du Canada [12]. Petite confidence illico démentie à l’aveugle par le candidat et l‘intéressé, mais malheureusement confirmée par un mémo du consulat canadien à Chicago.
Les slogans minimalistes ne peuvent dissimuler longtemps la ductilité des convictions, ni la réalité des rapports de force, à savoir la prééminence de l’économique - quand la garde-robe est la marge de manœuvre politique.
Entouré de son halo de bonnes intentions, le président américain sourit, danse et lit ses indispensables prompteurs avec un air de componction. Et la machine médiatique de disséquer avec professionnalisme les mimodrames du pantin d’ébène.
L’originalité du profil a le bénéfice de la séduction immédiate. Tel est le rôle de la diversité, ranimer la foi en le politique moribond. Or, l’action politique est la seule et unique mesure de l’homme politique.
[2] Goldman Sachs, Citigroup Inc, JPMorgan Chase & Co et Morgan Stanley ont respectivement contribué à hauteur de 994 795, 701 290, 695 132 et 514 881 dollars.
[3] Plafonnement des dons : 2 000 dollars à un candidat, 28 500 au comité d’un parti politique.
[4] Collecteurs de fonds.
[5] Promesse de début de campagne du candidat Barack Obama.
[6] Firme de lobbying et de conseil aux multinationales.
[7] Société de conception et de fabrication d’avions militaires travaillant principalement pour le compte du gouvernement américain.
[8] Réseau mondial de prestations de services d’audit financier.
[9] American Israel Public Affairs Committee
[10] Début décembre 2009, Washington annonce l’envoi d’un renfort de 30 000 hommes en Afghanistan.
[11] Accord de libre-échange nord-américain (http://fr.wikipedia.org/wiki/ALENA).
[12] http://www.rue89.com/rue-des-erable...
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