Obama va-t-il perdre dans l’isoloir ?
Il ne reste plus que deux semaines avant que les électeurs ne s’expriment pour choisir le prochain président des États-Unis. L’avance dans les sondages pour Barack Obama est confortable oscillant entre 4 et 14 points d’avance sur son rival, soit une moyenne autour de 7 points au vote populaire d’après le site fivethirtyeight, mais l’élection aux Etats-Unis se fait via un collège électoral, avantageant encore plus Obama qui s’impose d’après les sondages dans de nombreux États ayant voté pour Bush en 2004 (les fameux Swing States), avec des écarts lui assurant une marge suffisamment importante de grands électeurs pour gagner dès aujourd’hui. Malgré la légère remontée dans les sondages de McCain, probablement due à la prise de position de certains indécis suite au dernier débat, l’écart reste très conséquent au point que McCain pour gagner doit changer la donne dans plus de 6 Swing States, ce qui est énorme.
On voit bien mal comment la situation pourrait être renversée du point de vue politique tant McCain semble incapable de faire des propositions en accord avec les attentes des électeurs. Un seul cas de remontée spectaculaire eut lieu en 1980 avec Ronald Reagan qui combla en trois semaines un retard de 6 points face au président sortant Jimmy Carter après un débat qui mit en lumière la stature présidentielle de Reagan et sa proposition de rupture économique. Mais aujourd’hui la situation est inversée, le statu quo est du côté de McCain et Obama apparaît comme le politicien neuf, énergique et surtout avec un programme cohérent et adapté...
Toutefois, il reste encore des questions en suspens.
L’Effet Bradley
Vous avez probablement entendu parler de cet effet "Bradley" qu’on associe à une mise sous silence du racisme dans les sondages d’opinions et qui s’exprimerait lors du vote. En 1982, le maire afro-américain de Los Angeles, Tom Bradley (pour la petite anecdote si vous visitez Los Angeles en vol direct depuis l’étranger vous atterrirez au Terminal Tom Bradley), était en lice pour le poste de gouverneur de Californie. Lors de la fin de la campagne, celui-ci était donné gagnant par la presse et les sondages (certains le créditant de plus de 10 points d’avance sur son adversaire républicain). Or, Bradley perdit l’élection de peu contre toute attente. Il y eut entre 1980 et 1992, cinq élections reproduisant le même schéma entre un candidat Noir et un candidat Blanc, sous-évalué par les sondages. Mais, depuis une dizaine d’années, le phénomène n’est plus apparent. Toutefois, le caractère inédit d’un candidat Noir aux présidentielles fait renaître cette variable, d’autant plus que la différence d’Obama, ainsi que les suspicions bidons qui y sont associées (musulmans, anti-américain, arabe, terroriste...) sont régulièrement mises sur le tapis par le camp républicain.
Alors soyons rationnels et essayons de mettre en perspective l’aspect contradictoire de ce raisonnement qui induit que toute cette élection pourrait se jouer sur un effet Bradley :
- Les élections soulignant l’effet Bradley sont toutes basées sur le vote populaire et non sur un vote pondéré comme pour la présidentielle. C’est-à-dire qu’un vote à 50-48 en défaveur d’Obama n’est pas obligatoirement une défaite pour lui, il lui faut surtout dominer dans les États rapportant une majorité de grands électeurs et à ce niveau son avance est bien plus importante. J’ai tendance à croire que l’effet Bradley pourrait s’exprimer majoritairement dans les Etats du Sud et du Mid-West, ceux-la mêmes qui votent majoritairement républicains, si ces Etats votaient à 100 % McCain au lieu de 60 cela ne changerait absolument rien. Seuls les Swing States sont importants à prendre en compte donc.
- Les sondages sont bien plus conservateurs aujourd’hui après s’être fait vivement critiqués pour ne pas avoir anticipés l’effet Bradley à plusieurs reprises, ils intègrent désormais une correction pour inclure cet effet.
- Historiquement, le racisme non avoué dans les sondages résiderait chez les indécis et les indépendants. Cet aspect est évident au regard des sondages ayant souffert de l’effet Bradley, montrant un nombre très élevé d’indécis avant le vote, qui finissent par voter contre le candidat Noir, au regard de ces sondages le vote final pour le candidat Noir reste dans la marge d’erreur. Le nombre d’indécis mesuré dans les sondages présidentiels est plus bas que pour les votes au Congrès, et cette année ne déroge pas à la règle avec un nombre d’indécis ridiculement bas. Vu les nombreux sondages donnant Obama à 50 % et plus, le risque de voir McCain rattraper son retard durant le vote et qu’Obama perde 3 points est relativement faible.
- La radicalisation du parti républicain du côté néo-conservateur donne aux plus intolérants vis-à-vis des Noirs une occasion de se réfugier dans un vote suffisamment à droite qui ne fait pas la part belle aux programmes sociaux ou à la mixité sociale. En somme, le vote motivé par le racisme se cache moins qu’avant car il rejoint idéologiquement le socle social du GOP (Grand Old Party, soit le Parti républicain). Ainsi le nombre de personnes occultant leur racisme dans les sondages et se présentant comme indécis diminue au profit d’un vote d’approbation pour le GOP.
- Lorsque le sujet central est l’économie comme cette année, le vote devient plus rationnel et, sur ce point, la grande majorité des Américains voient Obama bien plus qualifié que McCain. L’argent reste la motivation centrale et le thème de la sécurité intérieure, sujet qui généralement pousse les électeurs à exprimer du ressentiment face aux communautés black et latinos, a totalement été évacué cette année.
- La population afro-américaine est très mobilisée pour cette élection présidentielle, on a même vu une sous-estimation d’Obama dans les sondages pour les primaires face à Clinton. Or, dans les Swing States, cet électorat qui habituellement vote peu par manque de foi en la politique risque de se mobiliser bien plus fortement que d’habitude. Il convient de noter que les Noirs votent à plus de 90 % démocrates aux présidentielles.
- La défaite en 1982 de Bradley a été interprétée comme du racisme et cela reste encore à prouver. Celui-ci était maire de Los Angeles, une ville centrale en Californie, mais qui n’est pas forcément appréciée par les autres Californiens vivant dans les zones rurales. Aujourd’hui, au regard du soutien que reçoit Obama dans les sondages en Californie, il ne fait aucun doute que le présupposé racisme a évolué. J’ai tendance à en conclure que les votes motivés par le racisme ont tendance à s’exprimer bien plus dans les Etats pro-républicains ou les Swing States. L’éventuelle surprise ne viendra pas des Etats votant pour les progressistes (démocrates). Cela pourrait être inquiétant dans les Swing States, mais là encore il mène largement dans de très nombreux Etats, certains lui offrant des avances tellement confortables (plus de 10 points) que même un racisme caché aux yeux des sondeurs ne renverserait pas le vote.
Quelques sources pour appuyer mon avis : Pewresearch, if Bradley effect is gone, what happened et un article du Monde.
Ah et pour ceux qui veulent contredire mes quelques arguments avec l’enquête issue de Stanford sur le vote des électeurs Blancs, n’oubliez pas que ces sondages sont sortis avant la crise et incluant uniquement les votants Blancs seyants, ne comptabilisant pas les millions de nouveaux votants inscrits sous l’impulsion de la candidature d’Obama. Eh oui les Blanc votent majoritairement McCain, mais aux Etats-Unis les Blacks et les Latinos votent aussi... Les résultats du sondage sont interprétatifs d’un racisme en rapport avec un questionnaire sur des adjectifs qualificatifs sur les Noirs. Utiliser un sondage d’opinion pour souligner que le racisme ne s’exprimerait pas dans les sondages est un sacré comble :)...
La fraude électorale
En 2000, Bush a été élu sur une décision de la Cour suprême qui a offert le vote de la Floride (Etat gouverné à l’époque par le frère de G. W. Bush, Jeb). La fraude électorale n’a pas été avérée juridiquement, mais le doute est largement permis : de nombreux votants ont vu leur vote refusé, en 2004 le même scénario s’est passé dans l’Etat d’Ohio où Kerry n’a même pas eu le courage de demander un recompte...
Depuis, des lois ont été votées, par le Congrès majoritairement démocrate depuis 2006, qui devraient permettre de réduire la fraude électorale. Mais, cette semaine, un journaliste de la BBC, Greg Palast, vient de publier un rapport avec Robert F. Kennedy Jr. mettant l’accent sur les nouvelles techniques de fraude qui pourraient influencer l’élection en novembre : le Colorado a rejeté une inscription sur six dans cet Etat-clé où les sondages donnent Obama victorieux.
Toutefois, l’élection ne semble pas se jouer sur un seul Etat comme en 2000 et 2004, Obama mène dans de nombreux Etats qui ont voté républicains en 2004 : Colorado, North Carolina, Minnesota, Nevada, New Mexico, Michigan, Virginia, Missouri et la bataille est serrée en Ohio et en Floride. Renverser par la fraude autant d’Etats semble impossible
On vient par ailleurs d’apprendre que la Cour suprême venait de refuser la demande du camp républicain de revoir la validité des inscriptions de 200 000 nouveaux votants en Ohio, signe que les manœuvres républicaines visant à toujours faire réduire le nombre de votants (ce qui tourne à leur avantage en général) ne sont plus automatiquement acceptées.
Je vous invite à voir le documentaire Free for all, fort intéressant sur le sujet.
Epilogue
La campagne de désinformation quant à elle continue, que ce soit sur William Ayers, ou à nouveau sur l’éligibilité d’Obama via cette vidéo qui connaît un grand succès sur Youtube (plus de 2 millions de visionnages en 12 jours), mais qui est pourtant un tissu de mensonges et d’approximations : la demi-sœur kenyanne d’Obama, Maya aurait ainsi assisté à la naissance de son grand frère, ou encore McCain aurait rendu public ses dossiers médicaux contrairement à Obama, ce qui est l’inverse, on attend toujours que McCain livre son dossier afin de savoir l’espérance de vie que les docteurs donnent à ce miraculé qui fut atteint à quatre reprises par un cancer de la peau... Démontage en règle de la vidéo chez Snopes ou FactCheck.
Malgré tout, je reste optimiste sans pour autant crier à la victoire du camp démocrate, deux semaines c’est encore bien long et de nombreux événements inédits pourraient encore troubler la répartition électorale. Et quand bien même Obama semble la personne la mieux préparée à affronter les quatre années de récessions que les Etats-Unis vont traverser, les prédictions des économistes quant à la situation économique des Etats-Unis sont terriblement négatives (on parle d’une cessation de paiement durant l’été 2009). Si Obama a bien peu de chances de renverser la vapeur, il reste toutefois le choix le plus sage afin que ce déclin se passe sans un sursaut militaire dévastateur.
Mon blog :
http://cafecroissant.fr
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