Obscène
Certains chiffres révèlent l'obscénité de certains situations communément admises. Obscène : qui heurte la décence.
Petit florilège à l'occasion de la réduction, la semaine dernière, à huit petits pays exotiques du nombre de paradis fiscaux reconnus par la France et de l'amnistie fiscale envisagée par l'Espagne.
4,11 millions € : c'est la moyenne de la rémunération d'un dirigeant du CAC 40 en 2011, en hausse de 34% par rapport à 2010. A ces chiffres il faut ajouter notamment le complément de retraite sur-complémentaire et le bonus. Ces rémunérations obscènes méritent d'être rapprochées du SMIC net mensuel 2011 : 1094,71€ net par mois sur la base de 35h, en progression de 1,6%. Il est possible de vérifier, sur le site de l'observatoire des inégalités, que 98% des Français gagnent moins de 6000€ net par mois.
45 millions € : c'est, selon des arbitres, la valeur du préjudice moral subi par Bernard Tapie du fait de la vente litigieuse d'Adidas par le Crédit Lyonnais en 1993. A ce chiffre, il faut ajouter préjudice économique de l'intéressé, évalué par ailleurs. Le préjudice moral moyen accordé en cas de perte d'un conjoint, du père, de la mère ou d'un enfant mineur est généralement évalué entre 20 et 30 000€. La Cour de justice de la République a finalement été saisie des agissements de Mme Lagarde, qui avait permis l'arbitrage si favorable à Bernard Tapie...
460 millions € : c'est le prix payé par l'Etat à Taïwan après obstruction de l'enquête pénale sur "l'affaire des frégates". Trois ministres avaient opposé le secret défense au juge d'instruction, le privant de documents qui auraient permis la manifestation de la vérité. Cette somme peut être rapprochée des économies attendues du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux : 400 millions€ par an (264 millions en 2010). L'indifférence au prix payé pour solder l'affaire des frégates contraste avec l'énergie déployée pour démontrer que le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux est indispensable. Certes, le prix de la corruption dans l'affaire des frégates ne sera payé qu'une seule fois, alors que l'économie budgétaire devrait se répéter chaque année. Mais avec une conception aussi large et arbitraire du secret défense, rien ne garantit que les dépenses budgétaires pour financer la corruption ne seront pas répétées, elles aussi.
500 millions€ : c'est estimation de l'immeuble parisien de Téodoro Obiang, fils du président de la Guinée équatoriale (biens saisis). Ce n'est pas le seul élément de la fortune de Téodoro Obiang. Pourtant, dans son pays 75% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Quand Sherpa et Transparence International ont saisi la justice pour recel de détournement de fonds publics, le parquet a d'abord demandé à la police une enquête préliminaire. Ensuite, alors que l'enquête avait révélé la pertinence des soupçons, le procureur de Paris a mis beaucoup d'énergie pour empêcher la saisine d'un juge d'instruction. Une jurisprudence innovante de la Cour de cassation l'a finalement autorisée. La corruption coûterait chaque année 113 millards€ à l'Afrique.
10 milliards€ ; c'est le coût de la fraude à la TVA. Le problème n'est pas tant le montant de cette fraude que son augmentation, qui résulte notamment, selon la Cour des comptes, de l'absence d'efficacité des contrôles. Un rapprochement permet d'apprécier ce que représente ce montant : les budgets du ministère de la justice et de la culture pour 2012 s'élèvent chacun à 7,4 milliards€.
17 milliards€ : c'est l'estimation de la fortune de Mme Bettencourt. En 2010, des intellectuels français avaient suggéré que la France rembourse à Haïti les 90 millions de francs or, soit environ 17 milliards€, payés lors de l'accession de ce pays à l'indépendance, pour indemniser les colons. C'était bien ambitieux : un an après le séisme, l'ensemble de la communauté internationale avait déboursé 900 millions€ pour la reconstruction. Le ministère des affaires étrangères note que ce montant est conforme aux capacités d'absorption du pays. La capacité d'absorption de Mme Bettencourt, de son entourage et de ses amis politiques est bien supérieure.
Entre 28 et 40 milliards€ : c'est l'évaluation officielle de la fraude fiscale en France. Il s'agit de la fourchette basse : la Commission européenne et le Syndicat national unifié des impôts avancent le chiffre de 50 milliards€. La charge nette de la dette publique pour 2011 s'élèvait à 46,82 milliards€. La diminution des emplois dans l'administration fiscale rendra difficile l'amélioration proclamée de la lutte contre cette fraude. Par ailleurs, la fraude sociale est évaluée à 20 milliards€.
120 milliards€ : c'est évaluation, selon la Commission européenne, des sommes perdues par les Etats membres du fait de la corruption (2011). Les recettes de l'Union européenne en 2011 sont d'un montant comparable : 126 milliards€. La mise en place d'un parquet européen, qui devrait lutter contre les atteintes aux intérêts financiers de l'Europe et contre la criminalité transnationale, tarde encore.
600 milliards€ : c'est évaluation, selon le journaliste Antoine Peillon, des avoirs de personnes physiques et des entreprises françaises sortis illégalement de l'hexagone.Ce montant peut être rapproché du montant total de la dette publique en France : 1717 milliards€. Tous ces avoirs à l'étranger ne peuvent évidemment être rapatriés par décret, mais c'est peu dire que la lutte contre les paradis fiscaux n'a pas encore atteint une efficacité à la hauteur des enjeux.
Sur le plan mondial, l'ONG Réseau pour une justice fiscale évalue à 8000 milliards€ (11000 milliards de dollars) le patrimoine détenu dans les paradis fiscaux. La fin des Tax toys n'est pas pour demain.
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