Et si le vide laissé par Jean-Yves Le Drian, au sein de la filiale bretonne du Parti socialiste (PS), était plus profond qu’il n’y paraît ? En mars dernier, le ministre des Affaires étrangères — qui a dû quitter la présidence de la Bretagne pour occuper ce poste —, sommé par certains de ses collègues de clarifier sa position politique, privilégiait son engagement aux côtés du président de la République, Emmanuel Macron, et rendait de facto sa carte de membre du parti à la rose, qu’il possédait depuis 44 ans. S’en était alors suivi une flopée de réactions — les unes bienveillantes, les autres moins —, beaucoup reconnaissant être « orphelins » après le départ de cette figure politique bretonne.
« Fiers d’être bretons »
Entre autres déclarations, celle de Maxime Picard, conseiller régional et premier secrétaire fédéral du PS Morbihan, interpelle particulièrement : « J’ai apprécié la confiance qu’il nous donnait, sa façon de travailler, son leadership et sa vision de la Bretagne, du fait régional. Tout ce qu’il a fait, au cours de ces décennies, c’est une œuvre monumentale au service de la Bretagne », avait-il avoué. Comme si le départ de Jean-Yves Le Drian annonçait, sinon un déclin, du moins une période de trouble pour la section locale du PS et la région, lui qui avait su rendre « les Bretons fiers d’être bretons » selon Maxime Picard.
Hasard du calendrier, le ministre des Affaires étrangères a définitivement largué les amarres de Bretagne, alors que le territoire est empêtré dans une affaire qui le déchire. Celle dont tout le microcosme mutualiste tricolore parle actuellement : l’indépendance d’Arkéa, la filiale bretonne du Crédit Mutuel, qui n’est plus seulement une chimère après que les administrateurs des caisses locales se sont prononcés en faveur du projet en avril dernier. Si un autre scrutin — prévu en novembre prochain — est nécessaire pour entériner la sécession, celle-ci n’est pas du goût de tous. A commencer par les autorités compétentes en la matière.
Statut juridique
Vraisemblablement inquiètes de voir le Crédit Mutuel Arkéa désireux de quitter la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM), la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque de France, qui ont un droit de regard sur ce type d’opérations, ont déjà formellement déconseillé à Jean-Pierre Denis, patron du groupe breton et instigateur du projet d’indépendance, de mener à bien celle-ci. Sans effet jusqu’à présent, le trublion du monde mutualiste français persistant dans sa volonté d’arracher Arkéa à sa maison-mère. Afin de posséder son propre groupe, sans dépendre de qui que ce soit ? Possible.
Mais M. Denis argue plutôt du maintien de l’emploi et de la sécurité financière d’Arkéa pour asseoir son projet d’indépendance. Sauf que, d’une part, rien n’indique que le « peuple breton » conservera effectivement son travail — les syndicats tentent d’ailleurs de se faire entendre sur ce point — et, d’autre part, le statut juridique de la nouvelle entité, une fois la sécession effective, pose problème. Car pour devenir un groupe bancaire coopératif et mutualiste indépendant, ce que souhaite Arkéa, il faut en passer par la loi — et le Code monétaire et financier, qu’il convient d’amender. Problème : le gouvernement s’y refuse.
Désaffiliation unilatérale
Autre solution : « Il y a la piste de la société coopérative de banques, qui existe dans la loi française », indiquait récemment Yasuko Nakamura, analyste chez Moody’s, à La Tribune. « Mais il faudrait alors soit que chaque caisse locale obtienne un agrément, ce qui paraît compliqué techniquement vu le nombre de caisses [331, ndlr], soit transférer tous les actifs à une banque unique. » Une telle option entraînerait un vaste changement de la structure du groupe, les caisses locales perdant alors leur personnalité juridique au profit d’une entité centralisée — ce qui serait paradoxal, puisque les dirigeants d’Arkéa dénoncent vigoureusement la centralisation qu’opérerait la CNCM.
Preuve, d’ailleurs, que ces derniers sont prêts à tout, ils ont voté, au mois de mai, un mandat qui leur permettrait de décider « en cas d’agression constatée, de se désaffilier unilatéralement de la CNCM. » Les bénéfices ? Aucun. Selon le ministère de l’Économie, qui a les deux yeux braqués sur le projet d’indépendance d’Arkéa, cette désaffiliation unilatérale n’aurait même pas de portée juridique. Quant aux salariés — qui sont plus de 20 000 à avoir signé une pétition pour exprimer leur inquiétude quant à la sécession de leur groupe — ils attendent désespérément d’être rassurés. Et auraient besoin qu’une personne puisse faire le lien entre, d’un côté, une direction qui navigue à vue et, de l’autre, le gouvernement. Comme, par exemple, Jean-Yves Le Drian ?