Overdose
Après une campagne présidentielle pleine de rebonds, nauséabonde et précédée de primaires interminables, le crescendo des avis de chacun, des articles en pagaille et autres commentaires plus ou moins éclairés, la surenchère d'informations sur la politique ne dégouterait-elle pas les français au point de les détourner des urnes ?
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Lorsqu’on écrit un texte tel que celui-ci, on est face à un dilemme cornélien. Se plaindre d’une overdose de sujets sur la politique implique forcément d’en parler. Schizophrénie.
Officiellement, la campagne a débuté le 30 janvier lorsque le CSA a commencé à contrôler les temps de paroles des candidats, soit un peu plus de quatre mois. En novembre 2016, il y a eu la primaire de la droite, en janvier 2017, celle de la gauche. Plus de la moitié d’une année à bouffer de politique du matin au soir, dans tous les médias. Des chaines infos se rebaptisent « chaine de la présidentielle », on ressort les vieux intervieweurs des placards, les analyses vont bon train et les sondagiers se frottent les mains.
Soyez honnêtes, en plein milieu d’un quinquennat, si un pékin vient vous demander qui est Brice Teinturier, vous séchez piteusement. Or, à chaque élection, le voilà qui revient avec des estimations, probabilités et autres exercices divinatoires. Au début, on se prend au jeu, devant le p’tit noir du comptoir, ça discute sec sur celui de gauche qui va se faire ratatiner par ses pairs qui veulent aussi convoiter le fauteuil de la pole position. Les diners de famille tournent au pugilat parce que tonton Emile confesse qu’il vote pour les Lepen depuis 20 ans et qu’il vient de lâcher au dessert que ça le fait quand même chier que Marine ait mis une tapette en haut de l’organigramme du parti adoré.
Jusque-là, ça passe mais commence à sérieusement irriter. Viennent les affaires, tout le monde se fait dézinguer, personne n’est épargné sur l’échiquier politique, on crie à la désinformation, au complot. On conchie la presse et on hurle à l'intox. Ici même sur Agoravox, la pluie de sujets sur la politique est incessante. Le petit encart à droite sur le navigateur internet montre un sondage aux résultats farfelus avant le premier tour et qui met la Marine loin devant tout le monde au second… Comble de l’absurde, Fillon, Mélenchon ou Lepen passent un tiers de leurs entretiens avec la presse à dire qu’ils n’aiment pas la presse et leur méthode.
Puis les débats, l'étrange calcul du temps de parole pendant lequel on plaint le gus de CSA qui s’est fadé les borborygmes du candidat Lassalle. Le premier tour n’a fait que relancer la machine de plus belle. Le sujet récurrent : faut-il aller voter ? Pour qui ?
Surfant sur les autoroutes du 2.0, des petits malins ont envahi les réseaux sociaux au moyen d’éléments de langages qu’ils ahanent comme des perroquets analphabètes. Si bien que des rixes virtuelles fleurissent ici et là, on ne se like plus, on se bloque, on dégage les amis, on n’imaginait pas que la copine du bureau était une gauchiste acharnée et on découvre que le grand patron de la boite soutient Macron au nom de tous les employés (http://www.letelegramme.fr/presidentielle-2017/boulangeries-paul-ambassadeur-de-ses-salaries-son-patron-soutient-fillon-10-04-2017-11470295.php.) On fait le ménage sur son instagram pour ne pas voir les selfies de Paulo au meeting d’Asselineau, on fait du dégagisme oui, mais ce sont ceux que l’on supposait être des potes que l’on éjecte.
Au moins sept mois de politicailleries, de technocratisme imbitable, de filouteries, de « grands » candidats puants, de « petits » candidats invisibles. Selon la formule consacrée, « trop de truc, tue le truc ». La politique ne s’est-elle pas tuée joliment à s’afficher partout, tout le temps ? Les insoumis sont-ils seulement des mélenchonistes ou n’y a-t-il pas une catégorie d’insoumis de la politique qui est née de tout ce capharnaüm, qui n’ira pas voter, non par contestation mais par dégoût. Arrivés au seuil de l’envie de vomir toute la logorrhée diarrhéique ingurgitée de force lors des derniers mois. Des citoyens n’iront pas voter parce que la politique a perdu son sens. Comme un mot que l’on isolerait et que l’on répéterait jusqu’à plus soif, au point qu’il en serait vidé de toute substance, liquéfié, annihilé.
La politique aujourd’hui est vide, elle n’est plus l’intérêt général, elle n’est plus la vie de la cité… vide. Alors, à quoi bon s’exprimer sur du néant, sur du rien ?
Un paradoxe singulier où le vide est né d’un trop-plein. Implacablement, l’overdose conduit à la mort, pas d’un organisme vivant cette fois-ci mais peut-être celle d’un système tout entier.
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