Partielle de la 1e circonscription de l’Isère : le reflux des populismes ?
« Retour au réel hier soir, la cinglante défaite de la "gauche de rupture" comme dit Mélenchon, en Isère dans l’ancienne circonscription d’Olivier Véran, où la candidate Renaissance triomphe avec près de 65% des voix, devrait nourrir le débat de tous ces stratèges. » (Patrick Cohen, le 20 janvier 2025 sur France Inter).
Ce qui avait de caractéristique lors des élections législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet 2024, c'était la victoire des populismes, celui de droite avec l'extrême droite (notamment RN) et celui de gauche avec l'extrême gauche (notamment FI). La petite différence a été que le populisme de gauche avait réussi à entraîner toute la gauche y compris gouvernementale au sein de la nouvelle farce populaire (NFP) alors que le populisme de droite n'y a entraîné qu'une très minoritaire partie de LR sous la houlette très personnelle d'Éric Ciotti.
Cela a donné la situation que nous connaissons : aucune majorité possible, avec trois blocs, le bloc populiste de droite, le bloc populiste de gauche et, entre les deux, le bloc central ainsi que les restants LR, appelés ensemble "socle commun" par Michel Barnier, qui, aujourd'hui, survit grâce à une (étonnante) prise de responsabilité du PS. La censure du gouvernement le 4 décembre 2024 avait montré aux Français l'absurdité d'avoir fait confiance aux extrêmes pour diriger le gouvernement de la France. Y aurait-il un frémissement et une prise conscience au sein de l'électorat ?
L'élection législative partielle qui a eu lieu les 12 et 19 janvier 2025 dans la première circonscription de l'Isère est à cet égard rassurante. Évidemment, elle n'est pas représentative du peuple français, mais elle est la deuxième élection partielle depuis le 7 juillet 2024 et à ce titre, elle est emblématique, symbolique. Elle s'est conclue par la très large victoire de la candidate macroniste Camille Galliard-Minier sur le candidat insoumis, avec près de 65% des voix.
Aussi emblématique et symbolique que la première élection partielle de la législature, provoquée par la démission du député RN Flavien Termet pour raison de santé, qui a eu lieu les 1er et 8 décembre 2024 dans la première circonscription des Ardennes où le candidat macroniste Lionel Vuibert (ancien député de 2022 à 2024) a reconquis la circonscription sur le candidat RN avec 50,9% des voix au second tour.
Bien sûr, il faut être prudent et ne pas surinterpréter une élection partielle, qui n'est que locale, mais pour les législatives, partielles ou générales, le réflexe des électeurs est souvent de voter en fonction de la vie politique nationale et moins en fonction de considérations locales (au contraire des élections municipales).
Parlons déjà des résultats. Ce qui est important, c'est la comparaison entre 2024 et 2025 car cela montre des déplacements de voix très nets. Et d'abord, qu'est-ce que la première circonscription de l'Isère ? Son territoire est à la fois une partie de la ville de Grenoble (trois cantons) et un peu au-delà, dans la banlieue nord-est plutôt aisée, en particulier Meylan qui est une ville assez importante dans l'agglomération (même si elle compte à peine 20 000 habitants), et La Tronche (6 500 habitants), connue pour accueillir le grand hôpital public de l'agglomération, l'hôpital Albert-Michallon (CHU de Grenoble) où sont nés la plupart des Grenoblois.
Sociologiquement, l'électorat de cette circonscription est surtout composé de cadres et de professions intellectuelles (chercheurs, universitaires, etc.) qui élisent généralement des candidats de centre droit ou centre gauche. Ainsi, elle a été la circonscription d'Aimé Paquet (futur Médiateur de la République, un giscardien, RI), Guy Cabanel (futur sénateur-maire UDF de Meylan), Odile Sicard (PS), Alain Carignon (maire RPR de Grenoble), Richard Cazenave (son suppléant RPR), Geneviève Fioraso (Ministre PS de la Recherche sous François Hollande), et enfin Olivier Véran (le suppléant de cette dernière, aussi PS puis macroniste).
Le 7 juillet 2024, les électeurs de cette circonscription étaient tentés par Jean-Luc Mélenchon (qui prend son électorat principalement chez les intellectuels de gauche, en particulier dans le milieu enseignant), avec l'élection de Hugo Prevost, alors syndicaliste étudiant de 24 ans, élu avec 42,4% des voix grâce à une triangulaire, battant le député sortant et ancien Ministre de la Santé Olivier Véran (Renaissance) à 40,2% et un candidat ciottiste d'extrême droite à 17,4%. Cette victoire était symptomatique de la France entière en ce sens que cette circonscription, qui avait été jusque-là relativement modérée, a élu un candidat du populisme de gauche.
Dès la rentrée parlementaire (début octobre 2024), Hugo Prevost a été accusé de harcèlement moral, de violences sexistes et sexuelles et de protection d'autres hommes violents au sein de son syndicat étudiant dont il était un dirigeant. Sa suppléante a démissionné et a pressé le titulaire de démissionner aussi, après son éviction du groupe insoumis. Hugo Prevost a finalement jeté l'éponge le 9 octobre 2024, d'où une élection partielle ces 12 et 19 janvier 2025. Il faut signaler qu'il n'est pas le seul député insoumis à être accusé d'actes répréhensibles par la loi, plusieurs députés FI sont encore en fonction, dont un qui a été pris sur le fait de payer avec l'argent public de ses indemnités de fonction de la drogue pour plusieurs dizaines de milliers d'euros ! Comme pour les candidats RN, cela donne une idée du choix des candidats insoumis par Jean-Luc Mélenchon, parfois des délinquants plus que des révolutionnaires !
Même si Olivier Véran a perdu seulement de justesse en 2024, il ne s'est pas représenté pour janvier 2025 et a laissé la place de candidat macroniste à son ancienne suppléante, l'avocate Camille Galliard-Minier (49 ans), docteure en droit, petite-fille d'un ancien maire de La Tronche, qui avait été députée de mars 2020 à juin 2022, pendant qu'Olivier Véran était au gouvernement (en juin 2022, Olivier Véran a choisi une autre suppléante Servane Hugues).
Quant au candidat insoumis, l'investiture a été donnée à Lyes Louffok (30 ans), travailleur social et auteur d'un livre de témoignage sur son histoire d'enfant abandonné (se définissant comme un "enfant-valise"), malgré les réticences du parti socialiste car il s'agit d'un candidat parachuté qui ne connaissait pas du tout Grenoble ni l'Isère, candidat malheureux dans le Val-de-Marne déjà l'été 2024.
Le premier tour qui a eu lieu le 12 janvier 2025 indiquait déjà un net reflux des partis protestataires. Ainsi, le candidat insoumis a perdu 12 points entre 2024 et 2025 avec seulement 28,3% (au lieu de 40,2% le 30 juin 2024). De la même manière, le candidat soutenu par le RN est passé de 18,3% il y a six mois à 11,1%, l'empêchant d'être présent au second tour comme la fois précédente.
En revanche, la candidate LR Nathalie Béranger a fait un bond de 7,0% à 16,8% en 2025, gagnant presque 10 points (et aussi en absolu, elle est passée de 4 379 à 5 028 voix). Ce redressement du parti de Nicolas Sarkozy peut s'expliquer par le fait qu'il est revenu au pouvoir depuis septembre 2024 et cette stratégie semble gagnante pour un parti, par essence, gouvernemental.
Pour autant, la candidate macroniste n'a pas bénéficié du même effet. Au contraire, Camille Galliard-Minier a même perdu des voix en pourcentage entre 2024 (33,6%) et 2025 (26,6%). En absolu, c'est encore pire puisqu'elle n'a rassemblé que 38% du nombre de voix d'Olivier Véran en juin 2024 (7 966 au lieu de 21 089). Ce très médiocre résultat provient de deux candidats qui n'avaient pas eu le temps de se présenter en juin 2024 et qui ont empiété sur l'électorat centriste : l'avocat centriste Hervé Gerbi, président du CRIF, a obtenu 7,7% et le mouvement Équinoxe a présenté également une candidate qui a atteint à peu près le même score, 7,6% des voix.
Comme c'est le cas dans les élections partielles, la participation a été beaucoup plus faible, avec 35,9% des inscrits, que dans les élections générales de l'été 2024, 75,9% (soit plus du double). Mais tous les candidats étaient à la même enseigne. Cela signifie avant tout que les partis populistes n'ont pas su mobiliser leur électorat pour cette élection partielle au contraire de l'électorat traditionnel de cette circonscription, celui du bloc central.
Au second tour du 19 janvier 2025, sans surprise en raison de la réserve de voix (environ 32% au premier tour), Camille Galliard-Minier a très largement gagné le duel contre son adversaire insoumis, avec 64,3% contre 35,7% à Lyes Louffok. Les insoumis ont perdu au second tour près de 7 points tandis que la candidate macroniste a gagné 24 points. Elle a fait mieux que la simple extrapolation du premier tour, ce qui peut s'expliquer par un léger regain de participation de quelques points avec 38,3% des inscrits (à comparer aux 75,7% du 7 juillet 2024). C'est le meilleur score d'un candidat au second tour dans cette circonscription depuis trente-cinq ans, à l'exception du 18 juin 2017 où Olivier Véran, candidat macroniste, avait gagné avec 68,1% face au candidat centriste de l'UDI (soutenu par LR) avec 31,9% (à l'époque, la candidate insoumise n'avait fait que 10,5% au premier tour).
Le député suppléant élu avec Camille Galliard-Minier est l'escrimeur handisport Alim Latrèche (45 ans), champion paralympique d'épée en 2004. Dans sa communication de campagne, Camille Galliard-Minier a insisté sur l'esprit de responsabilité que devaient avoir les députés : « Je crois que notre pays peut se mobiliser pour sortir de la crise, que le temps est venu d'affronter les difficultés, de se montrer solidaires, de se faire confiance. ».
Pour conclure, c'est une grande victoire du camp macroniste. La faible participation demande évidemment un triomphe modeste, mais donne un aperçu des capacités de mobilisation des partis populistes (quand il y a une crise politique, les partis du bloc central sont plus rassurants pour envisager l'avenir du pays). Comme je l'ai indiqué plus haut, cette circonscription était traditionnellement acquise à un candidat modéré, le retour à un député macroniste est donc plus normal que la victoire du candidat insoumis en 2024 (aidé par la triangulaire avec l'extrême droite), mais ce retour s'est fait brillamment avec de réels gains électoraux.
Les élections partielles sont toujours des signaux faibles d'un mouvement plus difficile à cerner. En février 1982, quatre élections partielles avaient réduit le triomphalisme du socialisme de François Mitterrand acquis en juin 1981 par la victoire totale des candidats de l'opposition UDF-RPR. Les deux premières élections partielles ont renforcé le bloc central avec une victoire en décembre sur le RN et une victoire en janvier sur FI.
En début février 2025 (les 2 et 9 février) aura lieu une troisième élection partielle dans la neuvième circonscription des Hauts-de-Seine (Boulogne-Billancourt) pour remplacer Stéphane Séjourné nommé Vice-Président la Commission Européenne. La victoire du bloc central est probable en raison de l'histoire de cette circonscription, mais il peut y avoir parfois des surprises (comme l'échec de Claude Guéant, qui vient d'être entendu le 10 janvier 2025 comme témoin dans l'affaire Robert Boulin, avant de fêter son 80e anniversaire le 17 janvier). Son vrai enjeu, c'est la mobilisation pour la participation électorale.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 janvier 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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