Penser à gauche a-t-il encore un sens ?
« Etre de gauche a-t-il encore un sens ? » : c’était le titre d’un article que j’écrivais à l’été 2007, au lendemain de 2 défaites électorales. Deux ans plus tard, l’interrogation perdure. Toutes les hésitations, toutes les incertitudes sur la vision du monde que peut aujourd’hui proposer la gauche, du moins celle qui accepte de se confronter à l’exercice du pouvoir, sont malheureusement toujours présentes.
Le credo libéral règne toujours sans partage dans les sphères intellectuelles et médiatiques, même à gauche. Nous avons accepté, sans réellement débattre, certains postulats qui s’imposent désormais à toute réflexion digne d’être prise en compte. Mais faut-il vraiment croire toutes ces affirmations les yeux fermés ?
Et si nous étions aujourd’hui aux 50 H par semaine ?
Ainsi la question des 35 H et plus généralement celle de l’aménagement du temps de travail, apparaît comme particulièrement symbolique. « Le travail ne se partage pas » : qui aujourd’hui pourrait se permettre de remettre en question cette évidence ?
Les 35 H, c’est une question réglée, sont un frein (ou plutôt « étaient »…devrais-je écrire…) pour l’économie française. Nicolas Sarkozy les détricote petit à petit et, finalement, même au PS beaucoup s’en accommode.
Défendre une diminution du temps de travail dans un monde où le travail justement est érigé au rang de valeur, ferait immédiatement apparaître celui qui s’y risquerait, au mieux comme un gentil illuminé, au pire comme un dangereux gauchiste irresponsable.
Et pourtant, pose-t-on parfois la question à l’envers : « Et si nous étions aujourd’hui à 50 H par semaine, combien y aurait-il de chômeurs supplémentaires ? ».
Parce qu’une chose est certaine dans ce débat, la durée réellement travaillée, dans tous les pays développés (USA compris) avoisine, et est même le plus souvent inférieure à ces fameuses 35 H (il suffit de consulter n’importe quel organisme sérieux > Insee, Eurostat etc..).
Cela veut juste dire que l’économie actuelle, avec des taux de productivité qui n’ont plus rien à voir avec ceux qui prévalaient il y a quelques décennies, n’a absolument pas besoin de surcroît de main d’œuvre pour produire…beaucoup plus !
Cela veut donc dire aussi que quand certains travaillent 40 H ou plus, dans un pays aux 27 millions d’actifs potentiels, beaucoup d’autres doivent se contenter de 15 ou 20 H, ou de rien du tout (les 4 millions de chômeurs).
La question qui se pose réellement n’est donc même plus de diminuer ou non le temps de travail, mais plus simplement d’organiser la répartition la plus juste et la plus efficace de ce temps réellement effectué.
Hélas ce débat n’existe pas ! Les attaques contre les 35 H se sont fait beaucoup plus discrètes en ces temps de crise, et pourtant, on continue à nous l’affirmer… « le travail ne se partage pas ». Qui le conteste sérieusement aujourd’hui ? Alors est-ce vraiment une question réglée ??
Travailler plus vieux est-il crédible aujourd’hui ?
Prenons un autre de ces postulats incontournables : « Il est indispensable de travailler plus vieux pour pouvoir payer les retraites ».
A première vue, rien que de logique. Le système même de retraite par répartition nécessite d’avoir un minimum d’actifs et donc de cotisants pour alimenter les caisses de retraites.
Mais réfléchissons pourtant une minute. Actuellement nous avons 4 millions de chômeurs. Travailler plus vieux est-il seulement crédible ? Un actif potentiel sur 3 travaille au-delà de 50 ans. A cet âge les autres sont chômeurs, préretraités, dispensés de recherches etc…
À l’autre bout de la chaîne, les jeunes n’ont pas, non plus, de travail.
Alors oui, travailler plus vieux serait peut-être une idée crédible… dans une société idéale de plein emploi. Le proposer aujourd’hui, dans une société où le chômage de masse sévit depuis plus de 30 ans, sans reposer la question de la durée du temps de travail tout au long de la vie, ne consistera-t-il pas simplement à transformer des retraités…en chômeurs supplémentaires ?
Des emplois, créés par une meilleure répartition du travail, ne seraient-ils pas préférables comme source de cotisations nouvelles ?
Sans croissance, point de salut ??
Parlons enfin de la croissance. Attention, là on touche aux fondamentaux de toute réflexion politique crédible : « Sans croissance point de salut ! ». Un léger frémissement, comme en ce mois d’août, et, sans rire, certains annoncent la fin de la crise !
Depuis le premier choc pétrolier, dans les années 70, le chômage n’a cessé de faire des ravages dans nos sociétés développées. Cela fait plus de 30 ans que l’ensemble des gouvernants affirme que la croissance va bientôt revenir et nous permettre de sortir du chômage.
Seulement, vu les gains de productivité réalisés chaque année, on sait qu’il faut 2,5 à 3 % de croissance pour que le besoin de travail augmente dans l’économie.
Si l’on ne veut pas créer simplement des petits boulots à 12 ou 15 H par semaine, si l’on compte sur la croissance pour créer de vrais emplois, il faut une croissance qui se maintienne pendant longtemps au dessus de 3 %.
Malheureusement son évolution est la même depuis 40 ans dans toute l’Europe.
Depuis 2001, le taux de croissance moyen, en France, était (et cela avant la crise !!) de 1,6 % …exactement le même que pour l’ensemble de la zone euro…soit le strict minimum admis pour ne pas avoir de …destructions d’emplois ! Et pour la période à venir la plupart des économistes annoncent « une croissance lente à 1% pendant une dizaine d’années ». Pas très encourageant, non ?
Un dernier mot sur ce sujet, parce qu’il est important : de quelle croissance parlons nous ? Il est, par exemple, hautement souhaitable, pour le bien-être de la planète, de diminuer fortement notre consommation d’énergie. Et bien, inéluctablement cela ferait baisser un peu le PIB …Mais serait-ce vraiment un mal ?
Penser à gauche a-t-il encore un sens ?
Et on pourrait continuer comme cela sur bien d’autres « évidences » ! Alors faut-il continuer à accepter docilement et sans esprit critique, ces idées toutes faites ?
Faut-il continuer, par exemple, à attendre l’arlésienne de la croissance magique (qui ne le serait, de toute façon, sans doute pas pour la planète…), où n’est-il pas préférable de proposer, et de tester sans attendre, d’autres solutions comme une nouvelle organisation du temps, qui permettrait de mieux répartir le travail, les salaires, et de soutenir, à long terme, la consommation, les cotisations pour les caisses de retraites….et, au final…….la croissance ?
"Penser à gauche a-t-il encore un sens ?" : la question reste bien semblable à celle que je posais il y a deux ans. Et je réponds toujours "Oui"...mais seulement si nous sommes capable de proposer une vision du monde différente de celle du modèle libéral actuel. Sinon à quoi bon ?
Le tournant est là. L’avenir ne nous appartiendra que si nous ne restons pas englués dans des schémas de réflexions qui nous interdisent d’innover parce que c’est comme ça : « les riches sont riches, les pauvres sont pauvres, le travail ne se partage pas ! »… Tant mieux pour ceux qui en ont, tant pis pour les autres !
Alors, la rupture, n’est ce pas à nous de la provoquer......et notamment dans les esprits pour commencer ?
Un autre monde peut être possible mais seulement si nous ne laissons pas les autres penser pour nous !!!
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