Philippe Poutou, candidat du NPA : « notre solution, c’est le plein-emploi »
Philippe Poutou est ouvrier chez Ford à Blanquefort, successeur d'Olivier Besancenot et candidat du NPA à la présidence de la République, il revient largement sur son programme et sa campagne.
Maxence Peigné : Vous n'êtes pas un professionnel de la politique, mais les gens -qui pour la plupart vous ont découvert à l'occasion de cette présidentielle- vous trouvent plutôt sympathique. Vous avez été le seul candidat à être applaudi lors de votre passage sur des Paroles et des Actes sur France 2. Vous sentez cette proximité, comment vivez-vous cette campagne ?
Philippe Poutou : C'est vrai que cette émission a fait un petit effet, ça a fait parler et c'est devenu un peu une référence. Ça fait plaisir de voir qu'on ne passe pas inaperçu. Le rythme est assez intense en ce moment, les espaces médiatiques sont plus importants grâce à l'égalité du temps de parole. L'objectif, c'est de ne pas gaspiller ces opportunités et faire entendre ce que l'on a à dire et nos aspirations. Nous voulons montrer que les gens d'en bas, ceux du camps des opprimés, peuvent exprimer eux-mêmes ce qu'ils pensent et envisager de nouvelles perspectives politiques. Nous ne sommes pas juste là pour gueuler et râler mais aussi pour dire que notre système est injuste et qu'il est temps que ça change. Il faut un programme politique anticapitaliste radical et ambitieux qui permettent à la population de prendre ses affaires en mains. Si on est plus visible le message passe plus facilement.
MP : Malgré tout vous plafonnez à 1%, certains cadres de votre parti ont appelé à voter pour Jean-Luc Mélenchon, est ce que vous arrivez à trouver votre place à la gauche de la gauche avec LO et le FDG ?
PP : C'est vrai qu'il y a une bonne dynamique du côté du Front de Gauche... Tant mieux si ça remobilise les militants du PC et du PG pour les luttes futures. Nous, on est moins nombreux qu'eux, mais on aspire à se retrouver rapidement. Ce serait bien que Mélenchon et le FDG disent ce qu'ils feront si Hollande gagne. Mélenchon n'a aucune chance d'être élu, alors autant discuter de ce que nous ferons après plutôt que de scénarios improbables... Il faut organiser une riposte unitaire à l'image de ce qui s'est passé en 36 et en 68 car ce n'est pas Hollande qui changera notre quotidien...
MP : Qu'est ce qui vous différencie de ces deux formations ?
PP : LO ne parle pas d'annulation de la dette. On n'a pas fini de payer la crise si on ne le fait pas, pour nous, c'est fondamental. Et puis il y a surtout que nous, nous sommes écologistes ! La sortie du nucléaire, les transports en commun gratuits... C'est essentiel ! Pour ce qui est du FDG, je dirais qu'ils ont un peu trop tendance à s'acoquiner avec le PS, notamment dans les régions qui mènent un politique libérale... Nous voulons être complètement indépendants vis-à-vis des socialistes. Si c'est pour se retrouver derrière Hollande qui ne cache pas son libéralisme, ou associés au groupe parlementaire du PS, ça ne peut pas le faire. Le coup de la gauche plurielle, on le connaît !
MP : « Un ouvrier c'est fait pour fermer sa gueule », c'est le titre de votre livre, vous avez été respecté pendant cette campagne ?
PP : Personnellement, je ne vais pas me plaindre. Mais c'est vrai que l'on voit bien qu'un ouvrier dans une élection présidentielle, ça perturbe. Beaucoup pensent que je n'ai rien à faire ici, que c'est un travail de pro. Nous l'avons vu dans certains débats, cette sorte d'assurance de penser que l'ouvrier ne pourrait pas répondre et batailler sur des arguments économiques. J'espère avoir montré que l'on peut être salarié d'en bas et pouvoir discuter de l'avenir des français. C'est tout le sens de notre présence dans cette élection, le monde des opprimés doit avoir la prétention de diriger son propre destin. Il y a une dignité populaire à mettre en avant, nous n'avons pas que des bras pour travailler, se faire exploiter et fermer nos gueules. Nous avons un cerveau pour réfléchir, penser et revendiquer notre légitimité à diriger la société et l'organiser.
MP : Votre programme en appelle à un « socialisme du XXIe siècle », vous n'êtes plus communiste révolutionnaire ?
PP : Bien sûr que si ! Le socialisme est révolutionnaire puisqu'il suppose l'abandon du capitalisme. Il faut bien comprendre que le Parti Socialiste n'est pas socialiste...
MP : L'interdiction totale des licenciements fait partie de vos priorités, c'est une mesure que vous partagez avec LO, les patrons n'auront plus de marges de manœuvre, est-ce que ça n'aura pas pour effet de geler tout simplement les embauches ?
PP : Nous, on a peur de rien si ce n'est du chômage actuel... C'est toujours amusant de voir que quand l'on discute d'une solution radicale, on nous demande toujours ce qu'il y aura derrière... Mais c'est aujourd'hui que l'on a la merde ! Il y a 8 millions de gens qui vivent sous le seuil de pauvreté. Et c'est encore pire en Grèce ou en Espagne ! Nous, ce que nous disons, c'est qu'il y a une logique capitaliste à laquelle il faudra que l'on s'affronte pour obtenir une réelle répartition des richesses. Mais cela n'arrivera jamais sans que l'on instaure un contre-pouvoir puissant qui supprime la domination du patronat et lui interdit les licenciements.
MP : Donc votre solution au chômage, c'est un peu la suppression du chômage ?
PP : (rires) Oui, notre solution c'est le plein emploi ! Nous disons que si une société n'est pas capable d'assurer un travail décent pour tous, elle ne mérite pas d'exister. C'est tout con. Je ne vois pas pourquoi l'humanité ne pourrait pas organiser un système économique où les gens puissent trouver leur place et seraient utiles. Le problème, c'est l'organisation économique actuelle de la société, il est aberrant de voir que l'on puisse produire tant de chômage et de pauvreté. Il est aberrant de voir des gens mourir de maladies que l'on sait soigner ou même crever de faim alors qu'il y a une surproduction à l’échelle de la planète. C'est toutes ces contradictions qui prouvent que notre système économique est profondément injuste et inégalitaire. Il est urgent d'en changer, nous ne sommes pas résignés à dire que l'on ne peut rien. Il faut mettre en place une société qui réponde aux besoins de l'humanité. Il y a des parasites et des voleurs dont la fortune repose sur l'exploitation et l'oppression, il faut que ces gens disparaissent. Nous savons qu'un monde égalitaire peut exister.
QL : Vous voulez aussi un Smic à 1700 euros, la hausse généralisée de 300 euros sur les salaires, et le passage au 32 heures. Vous parlez souvent des grosses entreprises, mais il y en a aussi de plus petites, une PME ou une TPE en difficulté peut-elle supporter que ses salariés soient payés plus pour travailler moins ?
PP : Il y a énormément de PME qui pourront le supporter sans souci, mais c'est une chose dont il faudra discuter au cas par cas. Bien souvent les PME sont en fait des filiales de très grosses boites. Pour les toutes petites entreprises qui ne pourraient pas l'assumer, nous discutons de la mise en place d'une branche de la sécurité sociale financée par les entreprises du CAC 40 et d'autres multinationales qui les financeraient à 100% pour permettre a tous les salariés de conserver leur contrat de travail. Mais tout cela suppose déjà que l'on mette a plat l'ensemble des comptes des entreprises.
QL : Les patrons français, vous en faites quoi ?
PP : Les patrons, ça sert à rien... Enfin, tout dépend ce que l'on entend par patron. S'il s'agit de quelqu'un qui a des compétences techniques pour organiser l'activité, comme un ingénieur, là, c'est utile ! Mais aujourd'hui un patron c'est actionnaire qui ramasse tout le pognon des travailleurs. Même en dormant les sous rentrent ! Des patrons comme ça, nous n'en avons pas besoin pour produire. Ces gens s'enrichissent pendant que d'autres se font chier au boulot, parfois perdent un bras ou meurent de cancer de l’amiante.
QL : Pour vous « l'immigration n'est pas un problème », vous pensez qu'il faut laisser les hommes circuler librement sur terre, la France aurait-elle les moyens actuellement de loger et trouver du travail à des centaines de milliers de personnes en plus ?
PP : Un monde qui doit mettre des frontières et empêcher les gens de se déplacer librement ne doit pas exister. Il y a des droits humains fondamentaux, surtout dans un contexte où ce sont les pays riches qui pillent les richesses et la main d’œuvre des pays pauvres. Le colonialisme existe encore !Total, Bolloré ou Bouygues sont bien placés pour le savoir. Nous revendiquons le droit humain fondamental de la liberté de circulation. Et là où les gens vivent et travaillent, ils doivent avoir les mêmes droits que tout le monde ! Nous ne sommes pas sur une logique de droit du sang mais de la collectivité. Nous espèrons que le monde est capable de l'accepter. Il n'y a pas de raison que ce ne soit que les capitaux qui circulent ! Nous voulons une planète humaine.
QL : La France a 1700 milliards de dette que vous ne comptez pas rembourser, qui nous prêtera de l'argent si on ne rembourse pas aux banques ?
PP : Nous on prend les banques donc après on se démerde ! On pense à tout, on est pas si con que ça (rires) ! Nous récupérons les banques parce qu'il s'agit d'un outil qui devient un moyen d'enrichissement des capitalistes, des spéculateurs et des banquiers quand il devrait être utile à la société pour des investissements stratégiques, dans l'écologie par exemple. L'argent des banques, c'est celui de tout le monde, il faut donc créer un monopole public bancaire sous contrôle de la population.
QL : 1 millions d'emplois dans les services publics, la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité, les dépenses de santé remboursées à 100%, transports en commun gratuits, en plus de tout le reste. Votre programme va coûter très cher, il est chiffré ?
PP : Oui, nous récupérons 200 milliards d'euros par an, ce qui correspond pile poil aux 200 milliards qui ont étés détournés vers les fortunes des plus riches sur ces vingt dernières années. C'est 10% du PIB qui est parti de la poche de la population vers celles des capitalistes. Mais il faut savoir qu'une vraie politique sociale peut aussi rapporter. Augmenter les salaires de 1%, par exemple, c'est 3 milliards qui entrent dans les caisses de la sécu ! 100 000 nouveaux emplois, 1 milliard ! Une politique d'embauche set d'augmentation, c'est des revenus supplémentaires pour les caisses de l’État.
QL : Vous souhaitez supprimer la présidence de la République, c'est un peu paradoxale pour un candidat, elle est comment votre démocratie idéale ?
PP : Nous ne savons pas ce que cela veut dire... Mais nous savons qu'une présidence de la République, c'est antidémocratique. Nous sommes pour l'établissement d'un pouvoir collectif. Il est anachronique qu'une seule personne ait autant de pouvoir. Nous sommes encore à la monarchie ! Quelqu'un qui a des droits particuliers, notamment sur le nucléaire, c'est complètement dingue et irrationnel ! Une personne peut décider à elle seule d'envoyer une bombe nucléaire sur des millions de gens. Ça ne devrait pas pouvoir exister dans une démocratie réelle et directe. La population doit pouvoir décider seule de ce qui la concerne directement. Tout notre système actuel est en crise parce que trop peu de gens décident pour des millions.
QL : Dans votre programme, vous parlez du « retrait de toutes les troupes françaises à l’étranger et la dissolution de l'armée permanente ». La France n'a pas besoin de son armée ? Même dans le cadre d'action de l'ONU ?
PP : On essaye de nous faire croire le contraire, mais cela fait 60 ans que l'on n'a plus besoin d'armée en France. Cela sert juste à vendre des armes et envoyer des jeunes soldats se faire massacrer et massacrer des populations civiles. Il y a des gens qui meurent depuis dix ans en Afghanistan pour une situation qui ne progresse pas. En Irak, la pression militaire n'a fait qu'empirer la situation, elle ne défend pas la population et ne sert en rien la démocratie. Nous sommes pour la suppression du budget militaire. Nous ne sommes absolument pas favorables à une politique de guerre fratricide, d'un peuple contre un autre, qui sert les intérêts de capitalistes. On en vient à ce que disait Jean Jaurès il y a un siècle, derrière les marchands de canons, il y a des capitalistes qui s'enrichissent au dépend des peuples...
QL : La sortie du nucléaire, pour vous elle s'effectue en dix ans, c'est encore plus rapide que pour EELV, pourquoi aussi rapidement, ça va coûter une fortune ?
PP : Ce sont les chiffres des associations écologistes radicales comme le réseau Sortir du nucléaire. Leurs scientifiques ont bossé là-dessus et nous leur faisons confiance. Mais de toute façon, il faut savoir que dans dix ans, l'ensemble des réacteurs du parc nucléaire français aura dépassé la limite d'âge de sécurité. Donc rien que pour des raisons de sécurités et de maintenance, il faut en sortir en dix ans. Mais la transition ne pourra pas se faire sans une politique volontaire dans la chasse au gaspillage énergique, notamment dans l'isolation des bâtiments.
QL : Vous en parlez assez peu dans votre programme, elle est comment pour vous l'Europe idéale ?
PP : Il n'y a pas d'Europe idéale. Nous, ce que nous voulons, c'est une Europe sociale. L’Europe actuelle condamne les peuples à souffrir et payer la crise comme en Grèce, en Espagne ou en Italie. Il faut mettre en place une Europe des peuples qui puissent décider de leur propre sort. Nous sommes pour l’harmonisation de la condition sociale par en haut et l'égalité des droits à l'intérieur du continent. Il s'agit d'une Europe à l'opposé de celle que l'on nous impose actuellement.
Propos recueillis par Maxence PEIGNÉ
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