Plus de décentralisation pour résoudre la crise ?
C’est la petite musique que l’on entend actuellement tant de la part des commentateurs que du gouvernement dans le cadre de la sortie du grand débat.
Plus de décentralisation ? Fort bien, mais pourquoi faire ?
Petit rappel
On a commencé à entendre parler de décentralisation dans les années 80, lorsque Mitterrand et Deferre avaient transféré aux collectivités locales, toute une série de compétences que l’Etat exerçait (mal) jusqu’alors.
Routes, collèges, lycées, transports, action sociale, ports,… furent alors transférées notamment aux Départements et Régions, qui, affranchis de la tutelle préfectorale, purent mettre en œuvre leur savoir-faire pour se lancer dans la réhabilitation des bâtiments scolaires, le réseau routier (avec les ronds-points…), adopter des règles pour les transports scolaires et interurbains ou bien encore adapter l’action sociale au terrain.
Tout allait bien dans le meilleur des mondes d’autant que l’Etat avait transféré les crédits nécessaires et ne lésinait pas sur les indexations annuelles. La croissance économique encore significative, donnait aux collectivités des marges de manœuvre supplémentaires en fiscalité locale.
Quand la bise fut venue, c’est-à-dire la crise, l’Etat fort généreux jusqu’alors, commença à serrer la vis financière des dotations aux collectivités. Pour autant, n’étaient-ce les critiques sur le principe même de décentralisation qui mettait fin à l’égalité des citoyens en fonction de la richesse de leurs territoires, notamment en matière de social, cette première phase a pu être considérée comme un succès en rendant les centres de décision plus proches des citoyens, ce qui est actuellement la problématique posée par les citoyens lors du grand débat, ce qui signifie que la machine s’est grippée au fil du temps.
La seconde vague de décentralisation, dite « Raffarin » a surtout consisté à refiler aux départements et aux Régions la gestion de personnels de l’Etat (personnels TOS des collèges et lycées et personnels d’entretien du réseau routier). Aucune plus-value dans cette nouvelle vague, simplement un transfert de charges et un surcoût nécessité par des remises à niveau.
Derrière la décentralisation, il y a des élus
Un peu plus de 4000 conseillers départementaux et un peu plus de 2000 conseillers régionaux ont pris en mains ces nouvelles compétences et se sont également saisis de la « clause de compétence générale » qui permet d’intervenir au-delà des compétences dévolues pour favoriser l’économie locale par exemple ou bien encore construire des ouvrages de prestige (hôtels départementaux ou régionaux), financer des campus privés, verser des subventions à des associations diverses et variées… le tout étant destiné à faire rayonner le prestige d’un territoire et de ses élus en favorisant leur réélection.
Les frais de structure de ces collectivités ont bien évidemment explosé : frais de communication avec ses personnels dédiés chantant la gloire des élus, personnels de cabinets, de groupe, contractuels de haute volée payés cher) et autres réceptions ou voyages d’études, travaux hors compétences obligatoires ainsi que frais d’études et expertises privées divers et variés, ont « distrait » une part non négligeable du budget qui aurait dû être affecté aux compétences obligatoires, et au final augmentation de la fiscalité locale.
Un peu d’ordre a été mis dans tout cela par la suppression récente de la clause de compétence générale des départements ce qui fait désormais de cette collectivité une structure « croupion », qui gère principalement, pour le compte de l’Etat les aides sociales, les personnels TOS des collèges et les personnels techniques des routes.
Si on veut diminuer le mille-feuille, on sait donc quelle branche couper.
Décentralisation, piège à c..s ?
Le projet actuel du gouvernement découle des souhaits exprimés au cours du grand débat, d’avoir plus de proximité, ce qui pour Macron se traduit par « favoriser les synergies, supprimer les doublons et accélérer les démarches pour les élus, les entreprises et les citoyens ». C’est beau comme du Verlaine, surtout de la part d’un Président qui n’a découvert que tout récemment, au cours de son marathon, l’existence des élus locaux qu’il avait snobés jusque-là.
Par ailleurs, le projet prévoit le retour du « Conseiller territorial », cher à Sarkozy, à la fois conseiller départemental et conseiller régional, avec une nuance toutefois : 3500 conseillers territoriaux succéderaient aux 6000 conseillers départementaux actuels, d’où une économie non négligeable. Sur le papier seulement, car, on l’a vu lors de la réforme Hollande, le redécoupage des Régions a généré des surcoûts de fonctionnent (déplacements, locaux, hébergements, frais de personnel,…).
Alors à part les modifications de structures, quelles nouvelles compétences seraient transférées aux collectivités locales ?
Selon Darmanin, incité par Macron (le Canard Enchaîné du 13 mars), « Si on va vers une nouvelle étape de la décentralisation, il faut y aller franchement, transférer les compétences et les financements qui vont avec. Si les collectivités veulent construire plus d’infrastructures, il faut qu’elles l’assument et qu’elles puissent lever un impôt pour les financer ».
Sauf que, la construction de nouvelles infrastructures a quand même du plomb dans l’aile depuis que des dangereux manifestants soucieux de la planète, s’y opposent…
Sauf que les nouvelles infrastructures créées sont parfois gérées par des « partenaires privés » dans le cadre de délégations de service public ou de concessions et que les coûts sont répercutés sur l’usager…
Sauf que, depuis quelques années, l’Etat diminue les dotations versées aux collectivités locales…
Sauf que, au final, ce sont les contribuables qui payent tout ça, ce qui n’est pas franchement une demande des gilets jaunes…
Alors, maîtriser l’impôt national et augmenter l’impôt local ressemble fort à une arnaque.
Au-delà du cosmétique, quelles nouvelles compétences transférer aux collectivités ?
On trouvera bien quelques élus en manque de reconnaissance accepter les bras ouverts les propositions gouvernementales. Ce sont les mêmes qui, deux ou trois ans après, viendront hurler devant les caméras qu’ils ont été grugés et qu’ils demandent à l’Etat une rallonge financière, qu’ils n’obtiendront pas. Un simple jeu de rôle, ultra dépassé…
On a donc le choix avec tout ce qui n’est pas régalien (police, justice, armée, en particulier), c’est-à-dire qu’à priori tout le reste serait susceptible d’être transféré en tout ou partie aux collectivités : enseignement, travail et emploi, concurrence et consommation, agriculture, environnement,… bref, un transfert explosif de tous les emmerdements au niveau local avec des élus en tenue de campagne pour expliquer qu’il faut augmenter les impôts pour remettre à niveau les services transférés.
L’entourloupe n’est pas loin…
Macron, débarrassé de tout ce qui l’irrite actuellement dans la gestion du quotidien, pourrait se consacrer à son œuvre européenne, se faire le chantre de la paix au Sahel, continuer de brader notre outil industriel et donner des leçons aux autres pays en matière d’environnement et à certains autres (pas tous) des leçons en matière de démocratie et de droits de l’homme.
Eh bien non, il faut refuser ce schéma, et si les petites astuces autour du conseiller territorial peuvent avoir un certain crédit (à condition que l’on diminue le nombre de conseillers et que l’on supprime les coûts de fonctionnement des conseils départementaux), la proximité n’est pas et ne sera jamais la solution, dès lors que l’Etat se désengage des territoires en fermant des services publics de proximité.
Alors, oui pour le conseiller territorial gérant à la fois les affaires départementales et régionales, sauf pour l’ensemble du volet « action sociale » qui, comme chacun sait, coûte un « pognon de dingue » et qui devrait être recentralisé à l’Etat. Au moins, Macron, prendrait ses responsabilités auprès des bénéficiaires et ne les ferait plus assumer par des élus locaux démunis ou bien soucieux de trouver des « contreparties au versement des aides sociales ». Il faut mettre fin à cette course à l’échalote entre élus locaux, qui en fonction de leur étiquette, s’amusent à stigmatiser les bénéficiaires de minimas sociaux.
Cette recentralisation du social à l’Etat (via les CAF) aurait également le mérite de l’égalité de traitement sur tout le territoire.
Pour le reste, il faut que l’Etat arrête de fermer des services publics de proximité et mette en commun des moyens avec les collectivités locales au sein de « Maisons départementales » destinées à favoriser les démarches des élus locaux, des entreprises et des citoyens.
Il faut également une assemblée citoyenne par département destinée à suivre ces évolutions et proposer des schémas d’organisation, des renforcements ou des correctifs.
En conclusion, une nouvelle vague de décentralisation n’est surtout pas la solution et l’arnaque se profile. Il faut sortir des vieux schémas, ce qui n’est pas donné aux énarques ou aux futurs énarques, dont les examinateurs au concours d’entrée nous disent « qu’ils sont timorés et frileux dans leurs réponses, ce qui empêche une réflexion personnelle du sujet, et dont l’originalité est une denrée rare ».
Mieux vaut faire sans…
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