Point de rupture
De la privatisation des autoroutes en passant par l’insincérité du budget 2006, jusqu’à l’immobilisme de fait, les Français sont confrontés à un État démissionnaire, qui confond voix de ses partisans et voix du peuple. Après le « choc des générations », doit-on parler du « choc du peuple face à ses gouvernants ? »

Bien évidemment, le sens de l’article est polémique.
Il serait vain de croire qu’il puisse en être autrement, alors que l’État (sensé représenter l’intérêt général, le public et donc le peuple souverain) vend les meubles en catimini depuis trois ans pour combler les nombreuses offrandes faites à un électorat toujours plus pressant et toujours plus isolé dans sa tour d’ivoire.
Certains taxeront ma démarche de gauchiste ou de "révolutionnaire". Ceux-là devront admettre qu’entre lucidité et gauchisme, il y a le fait, indiscutable, que quand une politique dessert la nation, elle doit être condamnée.
Mais que faire ?
La majorité est absolue à l’Assemblée nationale. Même l’alliance de l’UDF avec toutes les tendances de gauche ne pourrait contrebalancer un pouvoir hégémonique qui a démontré, depuis 1995, qu’il était pleinement incapable de gérer le pays.
Non seulement les erreurs vers un libéralisme aveugle et désincarné ont été commises, mais en plus aucune action pour remédier aux erreurs de l’État-providence n’a été réalisée. Il advient nécessairement, une fois que tous les mauvais choix ont été appliqués, qu’il ne faut pas trop se faire d’illusions sur l’avenir.
Certains me diront alors : « Expatrie-toi, tente quelquechose… » On ne peut pas toujours demander aux gens de risquer le tout pour le tout, surtout lorsqu’ils ont cru dans la République, tout du moins dans celle qu’entendaient fonder nos aïeux. On ne peut pas non plus se cacher sous une couverture et attendre.
Il faut donc agir, se faire entendre et proposer des choses.
Mais comment lancer des préconisations face à un État vérrouillé par des préfets tous de la même tendance, face à un État dual ne répondant même plus aux sollicitations des collectivités, face à une justice sans moyens qui juge selon les porte-monnaie des accusés, face à une génération senior qui ne vit pas sur la même planète de "problèmes" que celles des jeunes et des actifs, face à des syndicats que la division et les modes d’adhésion rendent chaque jour un peu plus faible, etc.
Cet article n’est qu’un des nombreux échos du moment, que ce soit sur le non paiement de la taxe "avions" par les élus, ou bien sur le dernier prix des livres d’économie et de sciences sociales attribué par des lycéens à Pays de Malheur.
La tendance est morose parce que rien n’est fait pour qu’il en soit autrement. Cela permet de faire passer l’indécent en toute discrétion, et je dirais même, en toute "normalité".
Il suffit de voir le mouvement pour les stagiaires pour comprendre la façon d’agir du gouvernement : On désamorce le mouvement par une charte, on confie la lourde mission aux ministres de l’emploi et de l’éducation (M.Larcher et M.de Robien) de ne rien faire, puisqu’ils ont été nommés pour cela (attendre 2007), et enfin on attend.
Et aujourd’hui, ce que le peuple demande, ce sont des choix, des décisions, des changements, et non de l’attente. Voilà simplement 10 pistes, car c’est aussi et surtout pour cela qu’un ministre est payé : faire des choix.
1. Peut-on encore laisser croire à une réussite de 80% au Bac., alors que 60% des ces "bacheliers" quitteront le cycle supérieur ou bien seront au chômage ? N’est-il pas temps, au sein de l’Éducation nationale, de lancer une réforme sur le fond, et de mettre en place des enseignements plus professionnalisants, et aussi d’organiser de meilleures orientations ?
2. Peut-on encore voter des budgets qui sacralisent la dette, lèvent la pression fiscale sur les plus riches (bouclier), acceptent les superpositions institutionnelles et leur coût pharaonique sans se poser de question sur le fond ? N’est-il pas temps de mettre en place un budget amibitieux, qui non seulement diminue les dépenses sur ce qui coûte cher (ministères, relations internationales, hauts fonctionnaires dissimulés, organismes vestiges comme le Commissariat au plan, etc.) mais aussi génère des recettes plus équitables (taxe sur les 4X4, taxe pour le recyclage, proportionnalité évolutive de l’impôt sur le revenu, taxe sur les plus-values boursières et immobilières, calcul de l’ISF lors de la plus-value, élargissement des poursuites des fraudeurs (milliardaires) sous peine de perte de la nationalité, etc.) ?
3. Peut-on encore délivrer aveuglément des aides ou des rémunérations sans contreparties réelles (droits et devoirs) ? Il semble nécessaire -et d’une utilité incontestable, de créer un fichier source pour les individus, afin de recroiser les informations, de diminuer les doublons de démarche (et donc de faire des économies pour tout le monde). Il semble également nécessaire de fusionner clairement ANPE et ASSEDIC en une seule et même institution qui délivrerait un minima social sous conditions, tout en garantissant que ce minima conserverait son caractère de "plancher". Il n’est plus possible de donner 420€ aveuglément, alors que certains travaillent 35-39H pour en gagner seulement le double (1000€ - frais occasionnés par le travail). Il est donc nécessaire, et c’est une évidence, de revaloriser au plus vite les bas salaires, SMIC à SMIC +50%, pour soutenir l’emploi. Parallèlement, il faut faire la course au contrôle, et réduire drastiquement, non seulement les excès, mais aussi la pléthore d’effectifs publics qui "gèrent" l’emploi sans pour autant en produire... (Un inspecteur du travail est-il compétent pour faire de la "politique de l’emploi" ?)
4. Parrallèlement, et c’est une obligation, il faut que la classe dirigeante montre l’exemple, en cessant de tout s’accorder, tout en demandant aux autres de se serrer la ceinture. Cette remarque fait évidemment allusion à la nécessité de contrôler, voire supprimer, les "parachutes dorés", de limiter les primes, surprimes, repas et autres festivités gratuites payées par le contribuable, que ce soit dans le public comme dans le privé. GDF peut-il demander une hausse de 20% de ses tarifs, alors que l’entreprise pourrait très bien limiter les salaires des cadres en générant le même effet ? Qu’on ne nous sorte pas du chapeau le coût du pétrole, alors que l’entreprise rentre en bourse avec une hausse de cours à moyen terme...
5. Peut-on laisser croupir des populations dans des habitats laids, mal desservis, sans emploi et sans avenir, sans se soucier un seul instant du malaise que cela peut occasionner ? Les récents événements ne sont qu’un soubresaut du malaise porté comme un fardeau par des générations sans illusions, et dont le seul avenir passe soit par un job précaire, soit par le monde souterrain des réseaux, parce qu’ils n’ont pas d’autre source de valorisation que celles-ci. Il suffit de se déplacer dans ces lieux pour comprendre qu’il n’est plus possible de fermer les yeux sans proposer de solutions, dans l’éducation, pour la reconnaissance par l’emploi et l’évolution sociale par le travail, pour l’envie et l’initiative.
6. Peut-on vendre les biens de l’État, qui plus est les biens productifs, au détriment de l’intérêt général, à des entreprises privées qui génèreront encore plus de bénéfices pour une minorité, alors que l’État devra se priver de la seule source de revenu viable qui assure non seulement la cohésion territoriale, mais aussi l’équité de service ? Alors qu’on parle de renouvellement urbain, de manque de foncier, l’État vend ses bâtiments par incompétence, tout simplement parce qu’il ne planifie pas ses besoins de locaux. Ainsi il n’est pas rare de voir des hôtels particuliers acquis à moitié de leur prix par des bailleurs privés, ceux-là même qui vendent au plus cher des terrains en périphérie pour installer de nouveaux locaux de l’État (ou des collectivités)... Cela s’appelle mal gérer les finances de l’État.
7. Peut-on encore attribuer aveuglément des aides à la personne (rentrée scolaire, aide pour le logment...) sans se poser la question de l’affectation de ces aides ? Le fait de laisser aux gens les plus modestes le choix d’affectation des fonds engendre nécessairement des excès. Ainsi, il n’est pas rare de voir une prime de rentrée devenir un complément de rémunération pour les parents, alors que les enfants tournent avec le plancher de gamme Lidl... sur 15 ans ! Les aides doivent être maîtrisées par des organismes qui affecteront directement l’argent à son but. Le transfert de l’aide à la pierre à l’aide à la personne a donné un coup d’arrêt à la construction de logements sociaux. Il serait intéressant pour les aides de rentrée de les transférer aux écoles, ou sous forme de bons d’achat en grande surface/papéteries pour "contenir" les abus...
8. Peut-on prôner le développement durable dans un pays hyper centralisé qui ne sait pas déléguer le pouvoir et occasionne en permanence des déplacements sur longue distance ? Il suffit d’avoir une revendication, même simple, pour devoir nécessairement s’en prendre au ministre. Les Régions sont-elles si faibles qu’elles ne peuvent prendre aucune décision en direct ? La décentralisation est inachevée, et par conséquent coûteuse. La tutelle de l’État ne desserre pas son emprise, tout en générant un échelon supplémentaire de concertation (temps, coûts, délais...) Il faut apprendre à déléguer à des pouvoirs locaux, et à juger sur les actes et non sur la manière (même si cela compte toujours).
9. Peut-on laisser le droit, à des syndicats ou à des organisations représentant moins de 5% d’une fraction de la population, de parler au nom du peuple ? Que représente la CFTC ? Que représente le Medef ? Les règles du jeu de la représentation syndicale doivent changer, afin de donner du poids à deux ou trois syndicats, et non à une pléiade d’interlocuteurs qui ne pèsent rien, et par conséquent, ne changent rien. Des syndicats forts, c’est aussi un contrepouvoir qui apporte des bases de travail et du changement.
10. L’État peut-il encore rester dans une bulle pilotée par un chef hors du jeu et un conseil des ministres déconnecté du Parlement, le tout cautionné par un Sénat attentiste qui ne veut rien changer ? Il faut changer, et laisser des idées de terrain émerger et remonter. Les plus grands spécialistes d’un problème sont souvent ceux qui le vivent, et non ceux qui le voient de très loin et cherchent à le comprendre. Par conséquent, un très bon ministre est un ministre de terrain, dont le parcours professionnel est lié à son ministère. Aucun ministre, aucun député ne devrait pouvoir être installé sans avoir accompli au moins cinq ans d’expérience professionnelle hors des organes publics d’administration. Déjà, cela permettrait à certains de se rappeller d’où ils viennent, et ce qui se passe "dehors".
Ces dix thèmes ne sont qu’un aperçu d’une action globale nécessaire sur le fond. Réformer l’éducation à la base, puis agir sur les domaines de l’emploi, de la santé, de la justice et de l’environnement. Je pense que c’est en agissant de la sorte, et non en fuyant en permanence ses responsabilités (et non son salaire), qu’il sera possible de changer le pays favorablement.
L’indécence vient du fait que ceux qui demandent plus de rentabilité et de souplesse, sont ceux-là même qui sont le plus figés et le moins rentables (outils d’évaluation d’une politique ? non cumul des mandats ? modifications des statuts et "primes de fonction" comme dans les pays nordiques ?...).
Ne sommes-nous pas au point de rupture ?
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