Politique française : Le règne du Sur-Je.
De la virilité et de l’excitation souvent amalgamée au dynamisme, au-delà d’un véritablement changement institutionnel et social, voilà l’essentiel de l’action de cet Empereur dont la brutalité témoignait plus de son incapacité à négocier, à faire évoluer par la concertation que de son impatience infantile et son mépris inné pour les plus faibles, un comportement assez paradoxal quand l’on connaît ses origines modestes.
La foule en délire acclamant son champion. Des artistes légendaires et ephemeres entassés autour de l’Elu, des mécènes face au peuple triomphant, des oligarques buvant du petit lait dans un de ces restaurants où la France d’en bas n’a pas droit d’entrer faute de moyens, le Messie tant attendu est arrivé pour sauver le pays de son déclin programmé. La place de la Concorde, bondée, prise dans le tourbillon infernal de l’euphorie populaire, jusqu’au bout ils y ont cru, ils l’ont espéré, la rupture est désormais possible, inéluctable.
Fatigué par les excès de plus d’une décennie d’ « immobilisme », de magouilles en tout genre, de népotisme, le peuple venait de choisir un héritier du système pour reformer un univers fortement opaque et conservateur. Par quelques artifices merveilleusement utilisés, on fit croire que le preux chevalier, bien qu’illustre membre du gouvernement sortant, était un homme neuf, digne d’aller en croisade contre les non-sens politiques que lui-même en son temps avait participé à instaurer. De l’unicolore grisâtre du vieux régime chiraquien, on passa rapidement à la brillance maximale pour mieux aveugler les peuplades dans l’attente désespérée du miracle. Il y eut donc à cette fin, la mise en place d’un concept fort ancien, subtilement flou que l’on nomma « ouverture », une sorte de débauchage des frustrés, cupides et avides qui se terraient chez les adversaires, ils reçurent des postes plus ou moins prestigieux sans réel pouvoir, car comme durant toute sa carrière politique l’Elu jouait avec virtuosité sur l’apparence et l’illusion. L’ouverture ne consistant pas uniquement à mettre dans sa gibecière gouvernementale les hommes d’en face mais de s’ouvrir également idéologiquement aux idées d’autrui et d’incorporer ses différences dans l’élaboration d’un programme commun et élargie. C’est peut-être dans cette perspective qu’il fallait comprendre le slogan « Ensemble tout devient possible » qui fut son leitmotiv dans sa marche vers le trône présidentiel.
Mais tout le monde le savait le nouveau Prince ne comptait pas négocier sur le fond, la foule délirante qui l’avait consacrée Roi pour qu’il redore le blason d’un pays qu’il avait contribué à ternir, attendait de lui autre chose que les sempiternels tergiversations politiques de l’ancien régime. De la virilité et de l’excitation souvent amalgamée au dynamisme, au-delà d’un véritablement changement institutionnel et social, voilà l’essentiel de l’action de cet Empereur dont la brutalité témoignait plus de son incapacité à négocier, à faire évoluer par la concertation que de son impatience infantile et son mépris inné pour les plus faibles, un comportement assez paradoxal quand l’on connaît ses origines modestes. Peut-être a-t’il toujours cru que discuter sans humilier était l’apanage des hommes médiocres, alors qu’il l’aurait valu mieux écouter les autres que de s’écouter soi-même en longueur de temps. Il est vrai comme le souligne souvent Alain Minc, l’homme qui murmure à l’oreille du Prince, que Zeus n’est pas idiot. Peut-on être idiot et rendre publique son divorce le même jour où le pays entier est paralysé par un mouvement social d’une grande ampleur afin de détourner cyniquement l’attention sur ce qui se passe dans le lit impérial ? L’intelligence du Prince égale celle de Dieu lui-même. Qui pourrait faire croire au monde que seule l’intervention de l’Impératrice, l’arme au poing, a permis de sauver de la barbarie du berbère libyen les pauvres innocentes bulgares, en faisant passer en silence les efforts titanesques des diplomates européens et internationaux qui durant des mois ont mené avec un certain succès des négociations discrètes ? Qui pourrait laisser entendre que la libération d’Ingrid Betancourt est due uniquement à la mobilisation permanente d’un Président à peine installer dans le fauteuil présidentiel ? L’intelligence du Prince est comme sa mission, divine.
Et comme toute vocation divine, toute forme de contestation ou de protestation est systématiquement taxée de blapsheme haineux, le « sarkozysme primaire », injure suprême aussi puissante que celle de se taire face à un certain extrémisme israélien de peur d’être « antisémite ». Dans le nouveau royaume, la critique est un luxe qu’un nombre restreint de privilégiés peut encore se payer, mais pour combien de temps ? Même les dinosaures disait-on indéboulonnables et inaltérables, ont finalement été réduit au silence. Dans les conférences de rédaction de cette presse au garde- à-vous, l’angoisse est présente dans les esprits et la hantise d’être le prochain sur la liste est palpable. Les medias, naguère contre-pouvoir, se soumettent à l’autocensure et évite trop souvent d’aborder les questions de fond, préférant se concentrer sur les faits divers moins risqués. Depuis son accession, le Prince a fait de la communication un véritable acteur de l’action politique. De plus en plus, l’égocentricité du surjeu portée par l’invasion du « Je » à la place du « nous » collectif, et sublimée par les « spotlights », a transformé le sens du politique en une personnalisation étouffante. Grâce à cette nouvelle gouvernance basée sur sa propre personne, sur l’omniprésence et l’omnipotence, on centralise le débat sur soi en dictant l’actualité à ceux dont le rôle premier consiste à s’arrêter un moment pour dégager le vrai de l’ivraie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette personnalisation de la politique n’entraîne pas forcement une responsabilité directe et accrue, lorsque les nuages s’amorcellent à l’horizon, on trouve rapidement d’autres coupables, la crise financière, les caisses vidées par les prédécesseurs, la conjoncture internationale défavorable etc. Un exemple de cette escroquerie intellectuelle, il y a quelques mois, Nadine Morano, ce pitbull avec un rouge à lèvre, mettait la réduction du chômage sur le compte de l’activisme présidentiel, alors que ce résultat était la conséquence des efforts constants des gouvernements précédents que l’on accusait aujourd’hui de paresse et de laxisme. Des semaines plus tard, la hausse du chômage était par un tour de passe-passe le signe de la profondeur de la crise économique mondiale.
Il arrive parfois que le Prince s’amuse à faire du « stand up » avec des blagues pas très inspirées provoquant le fou rire mécanique des courtisans qui ont tout intérêt à rigoler et à le trouver drôle. C’est avec un étonnement terrible que l’on apprend au détour d’une de ces interventions que « lorsqu’il y a grève en France, personne désormais ne s’en aperçoit », et quelques mois après les lycéens en colère font plier le gouvernement.
Le dictat de l’image à entraîner la classe politique française vers une sorte de damnation idéologique. Des grandes messes d’évangélisation où l’on appelle à la FRA-TER-NI-TE aux ministres devenus des égéries des marques du chic, la mutation est inquiétante. Il ne faut pas attendre de l’opposition émiettée en clans qui se détestent farouchement, qu’elle puisse être une force de proposition, une alternative intéressante. Les intérêts personnels priment sur les urgences sociales et les préoccupations citoyennes. Et le rare qui parvient à se faire entendre, à cristalliser une certaine espérance, appelle à la mort du capitalisme cannibale, un remake moderne de la lutte des classes. Le reste se fond dans le paysage ou presque. Le démocrate chrétien de droite devenu par opportunisme centriste, c’est-à-dire assis politiquement le « cul entre deux chaises », dont le programme électoral ressemble à la virgule près à celui du parti impérial comme l’a justement souligné le très ambitieux et brillant François Copé au cours d’un échange télévisé mémorable qui a mis à nu l’absurdité d’un mouvement sans âme mais surtout sans capitaine. De l’autre coté on assiste volontiers à l’agonie de l’extrême droite qui espère que l’aggravation de la situation économique finira par provoquer un apocalypse social dont les boucs émissaires idéaux seront ces « sauvages » d’étrangers, voleurs d’emploi et ingrats. Avec une politique d’immigration dite choisie puisque la France ne peut « accueillir tout la misère du monde », misère dont elle est la cause en pillant sans scrupule les ressources naturelles des pays du Tiers-monde et en maintenant par tous les moyens leurs tyrans au pouvoir, le parti impérial a su siphonner un flanc de la doctrine frontiste remettant du coup en cause l’existence de l’extrême droite sur l’échiquier politique nationale. Quand au parti à la rose, c’est l’excellence du ridicule qui a prévalu depuis des mois. Entre tripatouillages électoraux digne des républiques bananières et déchirements viscéraux, le problème fondamental pouvait se résumer à une folle opposition frontale et concentrée sur le prince et moins sur son action, son agitation excessive, superficielle. En désignant une représentante de la « gauche de la Gauche », le parti socialiste veut désormais se donner les moyens de ne pas être une simple force d’obstruction parlementaire mais d’incarner une autre « idée » de la France. Mais avec une Ségolène, royale Diva, en embuscade, un Bill Clinton français au Fond Monétaire International qui patiemment attend son heure, les questions de leadership risquent de plomber durablement une renaissance mal préparée. Tant que les mammouths de ce parti ne permettront pas l’éclosion d’une nouvelle génération de jeunes dirigeants incarnant la diversité de la société, qui permettent sa reforme, l’on peut considérer cette formation politique comme morte et enterrée.
La nomination populaire du Prince a suscité bien des espoirs. Nombreux sont ceux qui ont été déçus, nombreux sont ceux qui ont été satisfaits, à commencer par les heureux bénéficiaires du paquet fiscal. Jamais en cette fin d’année la détresse n’aura été si puissante et la colère si intense. Malgré le satisfecit général sur le volontarisme du Prince dans le Caucase comme lors des tribulations financières, le constat froid et implacable s’impose, trop de bruit pour pas grand-chose. Il aura fallu l’intervention américaine pour arrêter le géant russe dont la Tsar Medvedev ironisera sur le manque de sereinité du leader français. De même, l’organisation dans la précipitation d’une conférence sur la crise financière n’a pas résolu les problèmes de fond, et les engagements pris n’ont eu aucune portée à court mais aussi à long terme sur la restructuration d’un système malsain. Si tout le monde convient avec la catastrophe actuelle que reformer le capitalisme, le moraliser est une exigence impossible à ignorer, il faudrait du temps et de la concertation pour y parvenir tant les enjeux sont énormes et les intérêts divergents. Ce qui est frappant dans cette histoire très étrange, c’est que depuis l’éclatement de ce scandale financier mondial aucun de ces fossoyeurs économiques n’a été poursuivis ni incriminés pour avoir plonger le monde dans le chaos et faire perdre à des millions de personnes leur sous. Comment moraliser le capitalisme si l’on n’a même pas le courage de mettre en prison ces gangsters à col blanc ? Il est plus aisé de traiter de racailles de petits banlieusards et de se faire petit en profitant des largesses des nantis, de la générosité de ses amis richissimes, on attend aussi que l’on nettoie au karcher la finance internationale.
L’essentiel n’a plus aucun sens dans ce royaume où la saturation qu’elle soit médiatique ou politique a imposé de nouvelles considérations. Chaque fait divers appelle une nouvelle loi répressive. On se soucie très peu de comprendre le pourquoi du comment, trop lent, trop compliqué, il faut aller vite et provoquer la polémique pour mieux écraser et stigmatiser autrui. Sans le savoir, en quelques mois il s’est instauré dans la monarchie républicaine française une gouvernance parasite et toxique, le règne du Sur-Je.
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