Politique, la confusion des genres
Les problèmes de nature démocratique sont que les citoyens ne choisissent pas réellement, dans les systèmes particratiques, leurs représentants. Et que, par le jeu de la constitution des listes électorales, par la multiplicité des niveaux de pouvoir dans lesquels il peut siéger, par la non-limitation dans le temps des mandats électifs, l’élu soutenu par son parti ne doit jamais répondre réellement de son bilan.
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Le gouvernement de Mario Monti, ancien commissaire européen à la concurrence et professeur d’économie à la prestigieuse université milanaise Bocconi, devrait donc être investi par le Parlement italien ce mercredi 16 novembre 2011. La mission qui s’annonce à lui - résorber l’immense dette publique, relancer la croissance, apaiser un climat politique particulièrement agité – s’annonce des plus rudes. Suite aux dernières attaques spéculatives des marchés financiers, les remboursements en intérêt liés au financement de la dette publique coûteront aux Italiens quelques dix milliards d’euros supplémentaires. Montant qui vient s’ajouter aux quelques quarante milliards annuels de remboursement, soit plus de 5 % du PIB. De même, selon les dernières estimations de la Banque centrale, l’équilibre budgétaire prévu, par le gouvernement Berlusconi, à l’horizon 2013 ne devrait pas être rencontré. Au contraire, un déficit annuel de l’ordre de 1,8% est présenté comme la perspective la plus réaliste à moyen terme. Avec les conséquences en termes d’emploi et d’activité économiques que l’on peut imaginer.
Bref, d’un point de vue strictement budgétaire – et donc économique, l’économie réelle et la finance étant dépendantes l’une de l’autre – l’Italie s’apprête à vivre des mois particulièrement sombres. C’est d’ailleurs pour cette raison que le choix du Président de la République s’est porté sur la mise en place d’un gouvernement dit technique. Lorsque il s’est avéré que l’exécutif dirigé par Silvio Berlusconi ne jouissait plus d’un appui parlementaire (et, surtout, politique) suffisant pour mener à bien les réformes imposées par la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, Giorgio Napolitano, conformément à ses prérogatives constitutionnelles, avait le choix entre une dissolution des chambres parlementaires (ou uniquement de la Chambre des Représentants, puisque la coalition de centre-droit avait encore une majorité arithmétique au Sénat) ou la recherche, au sein du corps des élus tel qu’il existait, d’une coalition parlementaire alternative appuyant un nouvel exécutif. C’est cette seconde option qui a été privilégiée avec l’intronisation de Mario Monti.
Formellement, il ne s’agit donc nullement d’un déni démocratique. Aucun texte, aucune disposition constitutionnelle n’impose au Président de la République de proposer au Parlement un formateur issu de ses rangs. Rien n’impose non plus à ce même formateur de constituer son équipe en puisant dans le vivier des élus nationaux. Les parlementaires qui devraient accorder leur confiance au Sénateur Monti ce mercredi sont tous issus du suffrage électoral. Démocratiquement élus, ils confient la gestion exécutive de leur mandat à des spécialistes, des magistrats excellents au sens aristotélicien. A tout moment, le parlement pourra retirer son mandat, recaler une mesure ou un projet de loi, proposer ou impulser une politique. Ce seront des considérations d’ordre purement stratégique qui feront que ces prérogatives seront exercées ou pas. Comme ce sont d’ailleurs des considérations d’ordre stratégiques qui ont généré l’exode des troupes berlusconiennes vers le parti de MM. Casini et Fini (eux-mêmes anciennement élus grâce aux moyens financiers de l’ancien premier ministre, ayant eux-mêmes voté, durant près de quinze ans, toutes les lois ad personam pour sauver judiciairement le Cavaliere).
Les problèmes de nature démocratique sont bien ailleurs. Ils trouvent leur origine, en amont du processus électif, dans le fait que le corps électoral, les citoyens, ne choisissent pas réellement, dans les systèmes particratiques, leurs représentants. Les listes de candidats sont composées de manière discrétionnaire par les partis, sur base de considérations le plus souvent exclusivement politiciennes. De sorte que si le candidat X est installé en troisième position sur une liste ou en première suppléance, il est certain d’être élu, quelle que soient ses qualités intrinsèques et sa popularité légitime. C’est de cette manière que le Parlement italien se retrouve englué dans un défilé de présentatrices télévisées, de soubrettes, de call-girls, de sportifs en tous genres dont les mérites sont à rechercher dans d’autres sphères d’activités que le service du bien public. Ce biais démocratique est renforcé par un autres travers, en aval, cette fois, du processus électif : l’absence de sanction électorale. À aucun moment, il n’est possible de sanctionner (ou à de rares exceptions, lorsque le méfait est flagrant) un mandataire si telle n’est pas la volonté du parti. Par le jeu de la constitution des listes telle que nous venons de l’esquisser, par la multiplicité des niveaux de pouvoir dans lesquels il peut siéger, par la non-limitation dans le temps des mandats électifs, l’élu soutenu par son parti ne doit jamais répondre réellement de son bilan. C’est sur la sélection du personnel politique et son immunité élective potentielle que doit notamment se porter, nous semble-t-il, la réflexion démocratique.
Mais, pour en revenir à l’actualité italienne, la problématique est davantage politique. En effet, l’instauration du gouvernement Monti suspend non seulement de facto le système bipolaire tel qu’il est sorti des urnes mais, plus important, plus dangereux, il suspend aussi le débat politique institutionnel pour instaurer une sorte d’unanimisme hautement préjudiciable. Le choix des partis politiques de ne pas mêler ministres techniques et ministres politiques (dicté par des convenances stratégiques, car il s’agit de ne pas endosser en première ligne la responsabilité des mesures drastiques qui vont être imposées aux Italiens) n’atténue que fort peu le sentiment d’extrême confusion qui risque de s’installer dans l’opinion publique lorsque la dramaticité liée à la situation de crise se sera atténuée. La droite, la gauche, le centre partagent donc sans divergences idéologiques toutes les recommandations européennes ? La réforme des pensions, celle du code du travail visant à faciliter les licenciements, la mobilité obligatoire pour les fonctionnaires sous peine de mise au chômage, la privatisation des services publics locaux, etc. - toutes ces mesures hautement politiques, portant sur des choix de société fondamentaux sont perçues de la même manière par la droite et la gauche ? Sans débat parlementaire, sans concertation syndicale ? MM Casini, Fini, Alfano, Bersani, Di Pietro voient tous ces mesures sous le même prisme ?
Que devra donc en déduire le citoyen lorsqu’il lui faudra retourner aux urnes, en 2013 ? Que, d’une part, ses représentants politiques se sont contentés, en temps de crise, de ratifier la mise en place d’une magistrature vertueuse sous l’impulsion des instances supranationales (à cet égard, la déclaration de Herman Van Rompuy, alors que Giorgio Napolitano procédait aux consultations des partis politiques, selon laquelle l’Italie ne pouvait se rendre aux urnes est édifiante), ce qui peut encore être admis au vu de la gravité des circonstances ? Mais que, d’autre part, un projet de société lui été durablement imposé par ces mêmes instances supranationales, également ratifié à l’unanimité par ses représentants politiques de droite, de gauche et du centre ? A long terme, un tel unanimisme, une aussi dommageable absence de projet et d’alternative sociétale risquent d’être hautement préjudiciables si pas pour la forme démocratique en elle-même, en tout cas pour sa substance. Et pourraient, à moyen terme, redessiner un paysage politique italien – à droite comme à gauche – victime de ses contradictions idéologiques et de son absence de perspectives.
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