Pour battre le Front National, il faut le combattre, pas le diaboliser
Le Parti Socialiste, l’UMP et l’UDI rivalisent de fermeté et de sévérité dans leur condamnation du Front National. Parce que ce parti ne serait « pas républicain », parce qu’il n’adhérerait pas « aux valeurs de la République », parce qu’il prône des politiques « démagogiques », « irréalistes », « inacceptables », voire « nauséabondes », le Front National ne doit pas être traité comme les autres partis. Il faut non seulement le combattre, mais l’ostraciser, le condamner, ne pas lui parler, le traiter comme ce qu’il est – une sorte de diable – et bâtir autour de lui un « cordon sanitaire républicain ». A défaut, la France risquerait de se « fracasser contre le Front National » selon Manuel Valls.

A ces considérations institutionnelles ou idéologiques s’ajoutent souvent des critiques personnelles sur Marine Le Pen. Soit pour la dénigrer. « Avec Marine Le Pen, c’est physique ! Je la déteste… Elle est épaisse… Et puis cette voix éraillée… On dirait un soudard ! Pour le coup, je revendique le délit de sale gueule. Avec le père, c’était différent. Marine Le Pen, c’est son père, la culture en moins ! » pour Nicolas Sarkozy. Soit pour l’excuser « Par rapport à son père, elle est moins agressive. Elle est plus jeune. Et surtout, c’est une femme. Mais quand même, son parti reste le Front National et elle reste une Le Pen. » d’après d’innombrables commentateurs.
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Cette attitude vis-à-vis du Front National est choquante, stupide et cynique.
Choquante ? D’abord vis-à-vis des Français et Françaises qui ont choisi librement de voter Front National. Il y a, sous-jacente, une arrogance des bien-pensants, qui décident – au nom de quoi ? – quel parti est républicain et quel parti ne l’est pas. C’est vraiment la France d’en haut qui dit à celle d’en bas comment elle devrait voter et qui se pince le nez quand ses directives ne sont pas suivies. Choquante aussi vis-à-vis des principes démocratiques, des principes de la République. Les partis établis n’aiment pas voir arriver de nouveaux partis, surtout quand ceux-ci réussissent à attirer les électeurs. Alors, attaquer les nouveaux en délégitimé, c’est tentant. Mais la démocratie, c’est précisément la compétition, les élections, le pouvoir ultime donné aux électeurs.
Stupide ? Les comparaisons avec la France de Pétain ou à l’Allemagne hitlérienne abondent. Elles ont pu être encouragées par des propos – inacceptables – de Jean-Marie Le Pen. Elles le sont encore par des affinités avec des régimes – comme la Russie de Poutine – qui ne brillent pas par leur sensibilité démocratique. Pour autant, le Front National de Marine Le Pen ne conteste pas les fondements de notre République. Il n’est pas le seul parti à réclamer un changement de la loi électorale. C’est son droit. Soyons clair. Il n’y a pas dans le programme du Front National d’intention ou de volonté qui justifient qu’il soit mis au ban de la République. Rien à voir avec la vision odieuse et monstrueuse du parti national socialiste d’Adolf Hitler – déjà annoncée dans Mein Kampf – ou sa version édulcorée d’un maréchal français sénile. Ces comparaisons historiques ne sont donc pas justifiées. Mais la stupidité n’est pas qu’historique. Diaboliser un parti qui réunit autant de suffrages permet à sa patronne, Marine Le Pen, de se draper dans le statut de victime – et d’être incitée à se cabrer – et à ses électeurs, de se sentir insultés et méprisés – et d’être incités à se mobiliser contre les tenants du statu quo. Bref, diaboliser le Front National, c’est mettre du charbon dans sa locomotive, c’est l’aider à se développer.
Cynique ? Chaque parti joue un jeu trouble. Pour le Parti Socialiste, diaboliser le Front National, c’est le faire monter et ainsi affaiblir la droite modérée. Et c’est attirer les électeurs du Centre, effarouchés à l’idée que leur partenaire de la droite modérée puissent souper avec le diable. L’extrême Gauche, effrayée de voir ses électeurs partir à l’extrême Droite, croit judicieux de contraster sa vertu supposée à la forfaiture de son nouvel adversaire. La Droite modérée, celle de l’UMP, affolée par les progrès du bloc Bleu Marine, préfère en dire du mal que discuter honnêtement de son programme. Le Centre est trop heureux de trouver cette ligne de clivage : les bons qui refusent tout compromis avec le Front et les autres dont l’attitude est plus ambiguë. Bref, chaque parti joue cyniquement un rôle, que chacun a pu longtemps croire gagnant. Les succès électoraux du Front National font exploser ce théâtre d’ombres. Le roi est nu, la vérité ne peut plus être cachée.
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Alors que faire ? Il y a deux impératifs.
D’une part, combattre non les dirigeants du Front National mais son programme. Dénoncer sa xénophobie est indispensable, mais conserver ce seul angle d’attaque est grossièrement insuffisant. Il faut aussi démontrer et expliquer que le programme économique du Front National est une mascarade qui aggraverait lourdement la situation de l’économie et de l’emploi en France. Et non seulement le dire mais en débattre, clairement et fermement, avec le Front National, devant les Français.
D’autre part, démontrer aux Français que les vieux partis – qui ont tellement déçu – changent et sont prêts à faire autrement, à être plus honnêtes, plus hardis, plus courageux. Et ainsi les convaincre que voter Front National n’est pas le seul moyen de faire du neuf et de faire, enfin, reculer le chômage en France.
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Dans le grec ancien, le diable, c’est ce qui détruit et fragmente. Pour les partis modérés, l’arrivée et la montée du Front National, c’est le désordre et la destruction. Puissent-ils admettre que les succès du Front National traduisent à la fois la déception qu’eux – les partis modérés – suscitent et la capacité du Front à mettre l’accent sur des sujets qui hantent les Français et que les pouvoirs publics, de droite ou de gauche, traitent mal ou peu.
Le Front National, il faut le vaincre : en acceptant le défi ; en débattant avec lui ; et en faisant mieux que lui. Le vaincre, pas le craindre. Le regarder au fond des yeux, pas l’ignorer. Le battre, pas le diaboliser.
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