Pour Ségolène, Bayrou vaut Delors
« Si Jacques Delors était plus jeune, c’est le type de profil que je choisirais. Quelqu’un qui se complète bien avec moi. » Cette phrase de François Bayrou (de février) n’est pas tombée dans l’oreille pas sourde de madame Royal. Hier, elle s’est empressée de redonner vie à l’ancien présidentiable, quatre-vingt-deux printemps au compteur.
Ségolène Royal fait donc feu de tout bois pour tenter de ramener à elle une grande partie des précieuses voix de François Bayrou, l’homme fort du milieu. Après son appel à un « dialogue utile », elle a invité pour entretien d’une heure l’ancien ministre de Pierre Mauroy, Jacques Delors, ce « type » de profil que semblait rechercher monsieur Bayrou à l’époque où il pensait « être au second tour ». Inviter Delors, ce n’est plus un appel du pied, c’est une invitation à danser. D’un François l’autre, la compagne d’Hollande a vite compris (enfin, moins vite que Kouchner, mais aussi vite que Cohn-Bendit) que le seul moyen pour elle de rassembler « plus d’un Français sur deux », c’était de tout faire pour convaincre le chef de l’UDF d’appeler ses élus et ses électeurs à voter à gauche.
L’appât Delors était dès lors évident pour ce type de pêche. Jacques Delors est le père de Martine Aubry, celle qui voulait « se jeter dans la Seine », si Ségolène était désignée candidate socialiste officielle, mais c’était il y a longtemps. Jacques Delors, l’homme qui avait dit « non » à l’élection présidentielle de 95 alors même qu’il était à l’époque favori des sondages. Il avait reculé parce qu’il craignait de ne pas disposer d’une majorité à l’Assemblée pour gouverner efficacement. Depuis ce temps, il faut avouer que tout le monde avait largement oublié Jacques Delors, invité de ci, de là dans quelques débats sur l’Europe, mais plus vraiment en odeur de sainteté à gauche. Mais ce personnage, ce « type » là, ce « profil » avait séduit Bayrou, qui avait rêvé un temps d’un « Delors jeune » en Premier ministre idéal. Marie-Ségolène, un peu gênée de devoir gratter les voix une par une a donc fait ce qu’elle a pu, hier, en discutant une heure durant avec un Delors vieux, certes, mais un Delors quand même. Une sirène apte, pense-t-elle, à charmer le centriste remonté comme une pendule.
« Il a manifesté tout son soutien sur cette démarche d’ouverture, sur cette volonté, dans l’intérêt de la France, d’essayer de travailler à la convergence des idées qui peuvent servir la France et lui permettre d’avancer » a déclaré la candidate socialiste. Le soutien de Jacques Delors ! Fichtre ! En voilà une belle affaire ! Ségolène est-elle si peu sûre de son projet ou de sa stratégie qu’elle avait expressément besoin de recevoir l’approbation d’un homme politique un peu has been qui s’est contenté au sortir de l’entretien de deux mots laconiques jetés à la volée ? En tout cas, on voit bien qu’elle estime avoir fait là, par ce geste, cette invitation, le maximum, avec son appel au dialogue, de ce qu’elle se sentait capable de faire pour convaincre le centre de s’élargir à gauche. Et maintenant ? « C’est à François Bayrou maintenant de prendre ses responsabilités et de dire comment il voit l’organisation de ce débat. J’ai pour ma part quelques idées, mais j’attends sa réponse pour pouvoir lui proposer ». Voilà, Ségolène a fait le pas, c’est à François de se prononcer. De « prendre ses responsabilités ». La Dame du Poitou n’en rajoutera donc pas, elle s’arrêtera là. Elle attendra le coup de fil salvateur, aussi détendue et légère qu’à la maternelle de Melle, l’autre soir.
Face au rapport de force, très dur (entre bluff et arrogance) imposé par Sarkozy à Bayrou, Royal et sa « strike team » ont donc choisi le rapport de séduction. Même Kouchner, revenu du Rwanda et du Kosovo, s’est fendu d’une larmichette surjouée sur le plateau d’I Télé quand il a appris le pas en avant de sa favorite à l’adresse du candidat Bayrou. Même Cohn-Bendit, revenu de quelques barricades et de Verts aussi troués que la couche d’ozone, y est allé de son couplet gauchisant, d’un « welcome » pataud pour inviter l’UDF à cueillir quelques roses. Même Fabius, qui n’en pouvait plus d’agonir d’injures ceux qui avaient dès le premier tour appelé à l’alliance sacrée, voit bien des points communs entre Bayrou et les socialistes. L’ensemble des socialistes, en fait, plombés par le score trop haut de Sarkozy et par la déculottée trop violente de la gauche de la gauche, n’a plus d’autre choix que de bricoler quelque alliance de la carpe et du lapin et d’espérer que ça suffise.
Le problème, le gros problème pour Ségolène (et pour Sarkozy aussi), c’est que Bayrou, lui, n’a pas d’autre choix, par souci de cohérence, que de poursuivre sa route, sans dévier, sans se dégonfler, en comptant au hasard, de ci, de là, ceux des siens descendus pour attendre l’autobus UMP. Ce n’est pas un Delors trop âgé qui changera quoi que ce soit. C’est trop tard, c’est un peu « gauche ». Ce n’est en aucun cas l’idée que l’on peut se faire d’une « nouvelle façon de faire de la politique. » Rien qui puisse donc faire craquer les Grandes Oreilles.
Ces tractations de boudoir ne suffiront sans doute pas à Ségolène, et aux socialistes, pour gagner le Château. Il faudra tôt ou tard, et au moins le 2 mai, jour de débat, présenter un programme, si possible une équipe, cesser enfin ces circonvolutions, à droite, à gauche, au centre, qui n’entretiennent que la confusion. Et pourraient, en outre, réveiller l’abstention, qui n’a pas dit son dernier mot.
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