Pourquoi Bruno Retailleau s’oppose-t-il à la privatisation d’ADP ?
La loi PACTE, présentée par Bruno Le Maire et adoptée à l’automne par l’Assemblée sans difficulté, doit permettre le transfert au secteur privé de la majorité du capital d’Aéroports de Paris (ADP) détenue par l’Etat (50,6%). Son examen au Sénat a surpris laissant apparaître une coalition d’opposition aussi inattendue qu’infondée puisque Les Républicains au Sénat, par la voix de Bruno Retailleau, ont contesté la proposition dans les media.
Longtemps Villiériste, Bruno Retailleau avait jusqu’alors davantage incarné une droite libérale et traditionnelle. En s’opposant à la privatisation d’ADP, il a pourtant allié une partie de son groupe au PS et aux Communistes rappelant les combinaisons partisanes et jeux d’alliance aussi opportuns que peu constructifs de la IVème République.
La plupart des aéroports déjà privatisés dans la plus grande indifférence
Il pourrait s’agir d’une opposition systématique à la politique du gouvernement sans autre conséquence. En réalité, ce pari hasardeux interdit, de fait, aux Sénateurs LR toute possibilité ultérieure d’amender les autres volets de la loi PACTE, notamment la négociation sur les seuils de salariés.
A regarder de plus près, le paradoxe va grandissant. La carrière locale de Bruno Retailleau vient nous interroger. En 2010, déjà Sénateur de Vendée et futur Président de la Région Pays de Loire, il soutient le gouvernement Fillon quand il accorde à Vinci une concession de 55 ans pour l’exploitation de Nantes-Atlantique, « son » aéroport régional. M. Retailleau mobilisera, par la suite, toutes ses forces pour défendre son transfert à Notre Dame des Landes, condition sine qua none du contrat de concession. Neuf ans après, sa veste s’est retournée… Difficile de comprendre.
Et Nantes-Atlantique n’est pas un cas isolé. Chambéry, Clermont- Ferrand, Grenoble, Lyon-Bron et Saint Exupéry, Nice, Rennes, Toulon, Toulouse… La réforme aéroportuaire de 2004-2005 a ouvert la porte aux acteurs privés. Dès 2007, des concessions allant de 7 à 55 ans ont été mises en place, pour la plupart des aéroports régionaux hexagonaux. Hormis Toulouse-Blagnac – situation particulière d’un investisseur non-Européen – aucune personnalité politique ne s’est alors opposée à cette réforme.
Renier le passé pour envisager l’avenir ?
En douze ans, ces concessions privées ont permis d’améliorer, de pair, trafic et satisfaction des voyageurs sans remettre en cause les lignes d’Air France. Difficile de comprendre, dès lors, comment la privatisation d’ADP – ce que soutiennent ses opposants – pourrait menacer le hub de l’ancienne compagnie nationale à Roissy.
Les mandats locaux et responsabilités territoriales se sont succédé. C’est cependant la présidentielle 2017 qui a révélé Bruno Retailleau au grand public. La coordination de la campagne de François Fillon l’a mis sur le devant de la scène politique nationale. Partant, il ne pouvait qu’approuver l’ancien Premier Ministre quand il disait vouloir « reprendre les privatisations, que l'Etat sorte des entreprises du secteur commercial où il n'est pas absolument nécessaire. L'Etat [pouvant] avoir vocation à venir de manière ponctuelle dans une entreprise, sans avoir vocation à rester indéfiniment ».
A Matignon, M. Fillon se considérait déjà « à la tête d’un Etat en faillite, depuis 15 ans en déficit chronique ». Depuis, la dette de l’Etat n’a cessé de s’aggraver. Et la position des Républicains, n’a pas dévié sur ce point. Difficile de comprendre, les motifs qui poussent l’un de ses plus fidèles à renoncer à une privatisation qui rapporterait près de 10 milliards d’euros et permettrait la constitution d’un fonds stratégique d’investissement aux dividendes supérieurs de 25 % à ceux d’ADP (200 millions d’€ par an contre les 160 actuels pour l’Etat).
Une campagne peut en cacher une autre
Malgré tout, une vraisemblance ressort. Samedi après samedi, les « gilets jaunes » s’essoufflent mais n’ont pas encore abandonné. Dès le départ, les péages autoroutiers ont focalisé une part du mécontentement. Les concessionnaires, horribles acteurs privés, se nourriraient grassement en tondant la laine sur le dos des pauvres usagers des autoroutes. On le sait - les tarifs autoroutiers peuvent sembler élevés - rien n’est plus infondé. Ainsi s’opposer à la privatisation d’ADP en considérant que celle des autoroutes fut une « erreur », ressemble surtout à une appropriation à peine déguisée des protestations des « gilets jaunes ». Depuis 2017, l’échiquier politique s’est bien redessiné. Le positionnement libéral, traditionnellement défendu par la droite, a, il faut bien le reconnaître, été confisqué par le gouvernement. A l’approche des Européennes, ce-dernier ne laisse aux Républicains d’autre choix que l’adoption d’un discours plus démagogique que libéral. L’élu vendéen fait même figure de favori pour faire suite à Laurent Wauquiez en cas d’échec des Républicains le 26 mai. Comme une double détente, le coup de Bruno Retailleau sert tant son parti que lui-même.
Occupé qu’il est dans sa double campagne, Bruno Retailleau, en s’opposant si vigoureusement à la privatisation d’Aéroports de Paris, a mêlé aux contre-vérités argumentaires ses propres incohérences. Cette politique politicienne de court-terme lui retire en même temps l’opportunité de prendre sa part à la modernisation de l’économie française.
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