Pourquoi j’ai voté carrefour
S'abstenir ou s'y tenir, telle est la question.
Pourquoi j’ai voté carrefour.
Comme j’ai la chance d’être né, d’avoir grandi, et de vivre en démocratie, un matin j’ai assumé mon droit, j’ai profité de mon devoir et en l’honneur du rouge sang de mon drapeau, j’ai enfilé mon trois-pièces bleu pour glisser noblement mon enveloppe dans l’urne transparente.
Au premier tour, j’étais venu en guenilles voter blanc parmi les non-votants et les nuls, tendre le majeur de cette majorité formée de mineurs et de démineurs, répondant d’un pouce aux index de mes amis qui défendaient le vote utile pour éviter Totall. Au final, ils avaient raison : grâce au taux d’abstinence et celui de l’audience, c’est bien Carfour et Totall qui sont passés, l’attendu Proxy s’étant étonnamment fait écraser.
Votez Carfour ! disait-on à gauche, disait-on à droite, sous peine d’un demi-tour continuons tout droit ! C’était une évidence et je n’ai pas réfléchi longtemps. Voter blanc une deuxième fois, c’était laisser le champ libre à Totall. Alors j’ai troqué les balles à blanc pour les balles en métal, car désormais, c’était la bataille, c’était plus qu’utile, c’était essentiel, n’importe quelle pompe à fric valait mieux qu’une pompe à essence insensée. D’où le trois-pièces bleu pétrole et la fierté qui m’encensait quand j’ai glissé l’enveloppe. J’en ai frémi, j’en ai râlé j’en ai vomi j’en ai chialé, j’en chiale toujours d’avoir voté Carfour. D’autant qu’il en a tant grossi qu’il est devenu lourd, rond comme un point, vil comme un centre, et d’un aplomb sans fin depuis 95.
Le matin d’après, sans crier gare je me suis garé ; tu t’égares, se gardaient de me dire mes amis qui me regardaient hagards. Allergique à la laine et son égo royal, même si en face c’était des uzis, c’était trop pour moi. En marge donc, tirant d’abord en l’air, puis non, même pas, déjà je ne marchais plus au pas.
J’ai pris la marche des karshers pour me laver un peu les mains avec des mots, et là même assis sur des marches, je fus crémé de lacrymo. Tout démontrait que montrer mon treillis ouvertement ne marchait pas, que la démarche, bien que de bon aloi n’avait pas fait crasher la loi, rien fait contre la loi du marché et pire : le marchand de rêves osa le dire : il s’en foutait complètement, j’avais pas vu sa montre.
Mais par magie ou par hasard, une tournée plus tard au premier tour puis au second, Proxy est passé. Plus proche peut-être qu’un Carfour aux longs rayons, assurément moins loin que les extrêmes de ce petit cercle, oui, le nouveau tire-au-flanc de Proxy est passé devant Carfour et le vent de son petit horloger.
Car le changement part d’un élan et l’élan-même du changement est de tenir en main les rênes, changement seul ne veut rien dire, et maintenant, cela veut dire maintenir… D'ailleurs c’est toujours maintenant. Maintenant c’est toujours. "Le changement c'est maintenant" C’était plus fort qu’Orwell, mieux que le père Noël. C’était une évidence et je n’ai pas réfléchi longtemps. Maintenant le changement, non, l’on te ment, lentement j’ai changé, je n’y crois plus et ca fait du bien. Allez, ca va être au tour de Carfour, surtout maintenant que je sais que Proxy lui appartient et que l’on tourne autour sans fin à l’essence de Totall, car on en hait l’odeur, c‘est à ses pompes qu’on lèche. On est plein à le voir, à le savoir dans nos coins, à s’en rendre compte sur nos bouts de trottoirs. Je reviens au carrefour pour qu’on se rencontre. Pas pour dormir debout, ni pour conter des rêves. Pas pour des petits bouts, ou pour une autre grève. Mais pour qu’on se motive et pour que l’on cultive encore en nos coeurs une vive et furtive alternative à la rancœur. Un fin moyen de mettre fin au culte occulte de la loi des moyens justifiant la faim de nos frères qui donne au pain ce goût amer. Non, l’abstention ne suffit pas. Vive l’abstention !
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