Présidentielles : Homo militantus
Moins discipliné, plus exigeant, volontiers blogueur, le militant politique nouveau est arrivé. Mais la pérennité des récentes adhésions dépendra de la capacité des partis à se convertir à la démocratie participative dans leurs pratiques internes, une fois les élections terminées.
Drôle
de paradoxe : alors que les Français n’ont jamais été aussi méfiants
envers le clivage gauche/droite et le système partisan bipolaire, l’UMP
et le PS ont enregistré un flux record d’adhésions : le parti
sarkozyste revendique officiellement 300 000 affiliés (le triple de
2004), quand le camp de Ségolène Royal a doublé son effectif en une
seule année (environ 220 000 personnes). Alors, regain de l’engagement
? Renaissance du militantisme après une longue période de crise ?
Il convient de relativiser cette vague de ralliements, à plusieurs points de vue. Tout d’abord, être simple adhérent, par définition, ce n’est pas militer activement. Ensuite, les nouveaux encartés ne sont pas une génération spontanée qui s’éveille miraculeusement à la politique et va faire baisser l’abstention. Les responsables du recrutement des "nouveaux" à l’UMP ont bien noté que les adhérents de 2006 étaient pour beaucoup d’anciens membres du RPR, ou des sympathisants déjà acquis à la cause. Côté PS, 90 % des nouveaux inscrits avaient déjà adhéré à une structure politique. Enfin, c’est surtout la possibilité de désigner directement son candidat qui a motivé les électeurs à sauter le pas pour s’encarter.
Ce récent "boom" ne doit pas occulter une tendance lourde et
ancienne de crise du militantisme en France. Longtemps, les partis
n’ont pas eu cette tradition et logique de "masse" (hors PC qui
revendiquait un million de membres après-guerre) et ont eu beaucoup de
mal à recruter. Même si les chiffres récents montrent une belle hausse,
les grands appareils de nos voisins anglais, allemands ou espagnols
franchissent allègrement la barre du demi-million d’affiliés. Est-ce à
dire que les Français ne croient plus en l’action collective ? En
réalité, l’engagement politique traditionnel a progressivement évolué
vers un militantisme "moral" ou citoyen, qui prend la forme
d’opérations à court terme, à l’efficacité immédiate, sur une cause
précise (lutte contre CPE, le SIDA, les OGM, le droit au logement,
etc.) Enfin, l’engagement contemporain se définit, selon les
sociologues, moins par l’affiliation que par l’action. Les militants ne
veulent plus aujourd’hui déléguer leur parole à des représentants (cf.
explosion des blogs) et sont réticents aux adhésions de longue durée
("plutôt le post-it que le timbre sur la carte"). Dans cette
perspective, l’idée d’un désintérêt pour la "chose publique" que
d’aucuns ont prédit avec la chute des idéologies, est largement à
remettre en cause...
Plus exigeants
Tracter sur les marchés, encoller les affiches, faire du porte-à-porte, passer des centaines de coups de fil pour chasser les signatures d’élus... Ne
réaliser que ces tâches traditionnelles, plutôt ingrates, les militants
actuels ne s’en contentent plus et veulent avoir leur mot à dire. Même
si contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas forcément les jeunes
qui ont majoritairement adhéré (à titre d’exemple, la moyenne d’âge des
nouveaux encartés PS avoisine les 43 ans), le regain d’engagement des
18-35 ans apparaît incontestable, par rapport aux précédentes
campagnes. Et cet électorat-là représente un public plus exigeant,
moins rompu aux disciplines de vote. Leur arrivée a également coïncidé
avec l’émergence de la netcampagne, encouragée par les appareils
partisans, fournisseurs de "kits militants". Car pour les partis
politiques, Internet présente plusieurs avantages : outre recruter plus
facilement des adhérents, permettre des votes à distance (ça fait des
économies), il offre aux militants, lassés des longues réunions de
sections, l’occasion de contribuer à l’élaboration des programmes, via
les fameux débats participatifs de Ségolène Royal, par exemple. Les
blogs et les listes de diffusion par mail contribuent à constituer des
stratégies de réseaux, professionnels notamment, qui permettront aux
partis de toucher plus facilement le monde de l’entreprise à l’avenir.
Reste à relativiser les effets du regain militant induit par la
"net-campagne". Une grande partie de l’électorat reste écartée de la
blogosphère et des médias en ligne. Car sur les quelque 30 millions
d’internautes que compte l’Hexagone, moins de 10% se sont déjà rendus
sur un site politique institutionnel. Et 30 % des Français seulement
considèrent encore aujourd’hui Internet comme un média crédible...
Enfin, quid de l’engagement politique au sein des partis des internautes une fois passées les échéances électorales et retombée l’effervescence inhérente à l’enjeu ? Pour transformer l’essai, les appareils politiques devront continuer à se servir de l’interactivité qu’offre le Web pour offrir de nouveaux moyens à leurs sympathisants de participer à leurs actions et programmes, au risque de redevenir des clubs d’élus entourés de candidats aux postes et aux investitures. Mais force est de constater que le militantisme électronique, boosté par l’élection présidentielle, a permis à beaucoup de citoyens de se réapproprier le débat public. Et forts de ces échanges, les nouveaux adhérents risquent bien de revendiquer un nouveau pouvoir de contrôle sur leurs leaders, quand hier, simples petites mains ou chair à meeting, ils devaient se contenter d’applaudir ou de faire retentir les cornes de brume...
- Regardez des militants PS slammer avec la vidéo des Campagnards !
- Médias, internet et crédibilité (Commentaire de l’enquête de La Croix)
- L’Observatoire de la présidentielle 2007
- Entretien avec un sociologue sur le site du CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences-Po)
- "Le militantisme en mouvement" (Site du CNRS)
- Témoignages de nouveaux militants (Blog PS)
- "Militantisme et mobilisation en ligne" (Temps réels)
- "Nouveaux militants : la grande inconnue" (Fluctuat)
- Guide pratique de la Netcampagne (Libération)
- Site des cybermilitants (La blogosphère UMP)
- Histoire et évolution du militantisme (article Wikipédia)
- "Supporters cotre e-militants : la partie commence !" (Agoravox)
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON