Prêt à la scission ?
Le Parti socialiste s’est floridé cette nuit du 21 au 22 novembre 2008. C’est la confusion la plus totale.
Quelques dizaines de voix (42 ?) sépareraient Martine Aubry et Ségolène Royal parmi plus d’une centaine de milliers de voix. Martine Aubry revendique la victoire, mais Ségolène Royal la conteste et demande un nouveau vote…
Deux choses sont cependant démontrées :
1. L’arithmétique électorale n’a rien de rationnelle.
L’ancien directeur de campagne de Ségolène Royal, Patrick Menucci, venait, entre les deux tours, de poser son désormais fameux théorème : 25 + 25 = 35. On pourra également rajouter depuis cette nuit celui-ci : 35 + 22 = 50.
Martine Aubry est loin d’avoir fait le plein des voix des hamonistes. Même s’il lui manque quelques voix pour gagner (ce qui reste à confirmer), Ségolène Royal a encore une fois renforcé son assise au sein de la base socialiste.
2. Le Parti socialiste est clairement divisé en deux.
L’éclatement du Parti socialiste est désormais patent : une coupure étrangement en deux partis égaux.
Beaucoup de militants "anti-royalistes" estiment que la faible avance (mais quand même avance) de Martine Aubry suffirait à faire le rassemblement qu’ils ont été incapables de faire à Reims ou avant, en faisant par exemple une direction collégiale incluant Martine Aubry, Vincent Peillon et Benoît Hamon.
Dans un tel cas, on se poserait forcément la question de la cohérence politique alors que quelques jours avant, tout les séparait : ligne idéologique, stratégie d’alliance et vision de l’avenir de leur parti…
Un net clivage
La question reste toujours la même : quel a été le clivage réel qui a motivé le choix quasi-quantique des militants socialistes, incapable de clairement lever l’indétermination socialiste ?
Je l’ai déjà écrit par ailleurs, le clivage était le même que celui opposant François Mitterrand à Michel Rocard au congrès de Metz en 1979, à savoir, la gauche archaïque face à la gauche moderne. Le malheur, c’est que tout corps a besoin à la fois de ses racines (qui ressourcent) et d’une vision d’avenir (qui grandit).
Ségolène Royal, c’est une vision moderne qui fait fi de toutes les traditions. En ce sens, comme pour Nicolas Sarkozy, rien n’est tabou pour Ségolène Royal. Elle a compris que la France "se prenait" par la droite comme seul a su le faire François Mitterrand (en 1988, c’était moins le cas en 1981). Elle a compris aussi que les statuts du PS sont dépassés et qu’il faut absolument les réformer pour l’adapter aux enjeux politiques actuels. L’UMP, le MoDem et même le FN l’ont compris depuis longtemps : leur direction partisane est sans doute "monovocale" mais a le mérite d’être efficace et compréhensible aux yeux de l’opinion publique. Son "populisme", même s’il a effrayé, a permis de redonner de l’audience parmi les classes moyennes ou peu aisées à un parti devenu essentiellement attractif pour une classe "bobo".
Martine Aubry, c’est la vieille tradition du Parti socialiste actuel. Un conglomérat d’éléphants à peine éduqués qui peinent à cacher leur impatience d’être candidats. Ses partisans donnaient notamment comme argument qu’elle avait réussi à rassembler des courants bien hétéroclites : fabiusiens, strauss-kahniens puis delanoïstes, hollandais, rocardiens etc. Certes, mais justement, ces courants n’ont pas disparu. Aubry servait à mettre en attente les ambitions présidentielles des éléphants (Strauss-Kahn, Fabius, Hollande, Delanoë etc.). Mais maintenant ? Le pire, c’est que la direction nationale étant représentée à la proportionnelle (l’archaïsme le plus létal), la prochaine première secrétaire aura bien dû mal à conduire le Parti socialiste de façon non chaotique.
Reims comme de l’acharnement jospinien
Pourtant, si on reprend le précédent de 1995, Ségolène Royal aurait dû devenir dès l’automne 2007 première secrétaire du Parti socialiste. Le premier secrétaire sortant Henri Emmanuelli s’était effacé sans broncher pour laisser Lionel Jospin reprendre le contrôle du PS en raison de son score honorable à l’élection présidentielle de 1995. Ségolène Royal avait, en 2007, réussi une meilleure performance que Jospin en 1995 (et qu’en 2002 évidemment !). Le PS aurait dû en toute logique lui laisser les clefs… sauf que de nombreuses raisons dont la rancœur des éléphants de s’être fait démunir de la candidature à l’élection présidentielle ne serait pas la moindre.
Et maintenant ?
Le camp royaliste semble très remonté pour contester fermement les résultats. Dans tous les cas, à quelques voix près, les deux camps sont de même audience.
Je doute qu’un quatrième vote soit organisé dans les jours qui viennent. En revanche, un recomptage des bulletins ne devraient pas non plus calmer le jeu : même si le recomptage favorisait Ségolène Royal, ce serait également de quelques voix d’avance et cela ne dissiperait pas la contestation… de l’autre camp.
En analysant la situation, je me dis que la seule solution possible pour en finir avec cette crise qui décompose en direct le Parti socialiste, c’est la "séparation".
En effet, quels sont les constats ?
1. Le Parti socialiste est coupé en deux. Une partie qui veut continuer comme avant avec un fonctionnement qui le détruit. Une partie qui ne veut plus de ça.
2. Les rancœurs sont désormais très fortes, d’autant plus que se superposent, au-delà de la candidature à la prochaine élection présidentielle, des enjeux locaux ou européens importants pour la carrière des élus socialistes : européennes en juin 2009, régionales en mars 2010, sénatoriales en septembre 2011 et aussi législatives en juin 2012. Or, à chaque investiture, les luttes internes vont être torrides… (On l’a déjà remarqué pour l’élection des premiers secrétaires fédéraux).
3. Indépendamment de la carrière des élus locaux, il y a les ambitions nationales des seconds couteaux. Manuel Valls, Pierre Moscovici, Vincent Peillon, entre autres, ont considérablement perdu du terrain dans leur objectif de devenir un jour eux-mêmes des éléphants. Moscovici pourra se rattraper à des branches (il a zigzagué sans arrêt depuis trois mois), Vincent Peillon représenter l’aile royaliste au sein d’une direction aubryiste, mais Manuel Valls dont plus personne ne voudrait, que fera-t-il ?…
La logique ?
La logique, étrangement, c’est Jean-Luc Mélenchon qui l’a comprise, mais un peu trop tôt. Il a démissionné du PS bien avant la véritable bataille interne. Il s’est chevènementisé ou pasqualisé. Il ne représentera plus qu’un groupuscule inaudible. Benoît Hamon et Henri Emmanuelli, en restant dans le jeu au sein du PS, l’avaient bien compris.
Si Martine Aubry était déclarée première secrétaire officiellement (ce qui est fort probable), alors Ségolène Royal aurait à faire un choix simple mais crucial : resterait -elle ou pas au sein du Parti socialiste ?
Les arguments pour rester sont évidemment nombreux :
1. Elle a dit qu’elle resterait. En se reniant, elle perdrait en crédibilité (mais elle en avait de même pour le SMIC à 1 500 euros et d’autres mesures).
2. Elle perdrait une bonne partie de ses partisans très attachés à leur parti.
3. On lui reprocherait d’être mauvaise joueuse.
4. Elle n’est pas une femme d’appareil et ne saurait pas créer et administrer un parti (comme l’a fait récemment François Bayrou).
Mais qu’aurait-elle à perdre en quittant avec armes et bagages un parti qui l’a toujours rejetée et dont les éléphants ont montré que pour eux, la direction de leur parti comptait plus que la candidature à l’élection présidentielle ?
1. Contrairement à ses adversaires internes, Ségolène Royal n’a aucun patriotisme de parti. Elle n’agit pas pour préserver un parti, mais pour défendre soit sa personne (son ambition) soit des idées (son projet, si elle en a un). Un état d’esprit qu’ont toujours eu les leaders de la droite et du centre (il suffit de voir comment la fusion du RPR et d’une partie de l’UDF en UMP s’est réalisé sans heurt, à part quelques nostalgiques ultra-minoritaires qui tenaient à "leur" parti gaulliste ; la disparition de l’UDF a fait plus de dégâts avec le MoDem et le Nouveau Centre). De plus, Ségolène Royal militait pour changer la dénomination archaïque du Parti socialiste (Dominique Strauss-Kahn aussi d’ailleurs, lui qui prônait en 2006 la sociale-démocratie).
2. Ségolène Royal jouit d’une véritable originalité dans le paysage politique qui sera effacée inéluctablement en restant au sein d’un parti dirigé systématiquement pour l’empêcher de se présenter une nouvelle fois en 2012.
3. Ségolène Royal n’a pas besoin du Parti socialiste : elle a son club de fans avec "Désir d’Avenir" et en terme de marketing électoral, la marque Royal est plus redoutable que la marque PS.
4. Enfin, politiquement, elle s’est adaptée à notre époque et pourrait nouer des alliances avec les centristes sans rester dans l’ambiguïté d’une alliance avec les communistes et la gauche altermondialiste.
Quelles seraient les conséquences d’une scission du PS ?
1. Localement, peut-être aucune si, au lieu d’être internes (dans les courants), les rivalités s’exprimaient en externe tout en préservant un accord électoral local avec le PS restant (d’autant plus que les fédérations sont aujourd’hui très royalistes ou très anti-royalistes).
2. Nationalement, une possibilité pour Ségolène Royal de proposer explicitement une alliance et un contrat de gouvernement au MoDem de François Bayrou (qui, à mon sens, aurait tort d’accepter).
3. Au sein du PS restant, la poursuite des querelles d’éléphants, puisque finalement, tous les éléphants du cirque de Rennes en 1990 seraient toujours en place en 2008 : Fabius, Jospin, Mauroy, Rocard, et leurs enfants Strauss-Kahn, Delanoë, Aubry etc.
4. Le pays y gagnerait en clarification. Naturellement, le PS résiduel se concentrerait sur sa gauche (ce que voulaient d’ailleurs les militants aubryistes) et, quoi qu’en diraient les dirigeants du PS, serait forcément en concurrence avec Olivier Besancenot (qui, d’un point de vue marketing politique, aurait une longueur d’avance).
5. Nicolas Sarkozy, dans tous les cas, n’aurait pas trop à s’en faire : séparé ou pas, le PS a sombré dans un égocentrisme qui doit écœurer les Français.
6. François Bayrou aurait tout intérêt à une scission du Parti socialiste et pourrait espérer "récupérer" quelques royalistes déçus par leur parti.
7. Le Parti radical de gauche aurait aussi un choix à faire entre sa réunification avec les radicaux valoisiens de Jean-Louis Borloo, la fidélité au PS historique et une union avec des royalistes séparatistes…
Avenir, désir et envie
Ségolène Royal semble avoir néanmoins perdu la partie de Reims (et perdu le parti). Son attitude dans les prochains jours scellera son avenir présidentiel : contestation des résultats et volonté réaffirmée de diriger le PS, acceptation d’une direction Aubry ou encore, démission du PS et transformation de "Désir d’Avenir" en véritable parti politique.
Et vous vous étonnez que les socialistes ne soient pas au pouvoir depuis longtemps ?
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