Propositions de Jacques Attali sur le logement : entre bonnes idées et mauvaises propositions
Puisque 3,5 millions de Français sont « mal logés » , puisque « la construction crée des emplois » , puisque le logement est un clé économique majeure, puisque le logement pèse plus du tiers du budget mensuel des ménages (premier poste), Jacques Attali ne pouvait pas manquer d’évoquer ce sujet pour relancer la « croissance » et le pouvoir d’achat. Dans cet article, je ne me tiendrais qu’à analyser ce volet, uniquement ce volet : il y a déjà tant à dire !
Chantier majeur, la politique du territoire au sens large constitue un défi monumental pour un Etat sclérosé et des collectivités et établissements émiettés, tous compétents mais tous incapables, seuls, de mener à bien des actions rationnelles et raisonnées.
Ce « chantier » évoqué par Jacques Attali mérite de figurer en tête de gondole d’une politique environnementale d’avenir. Faut-il encore déblayer tous les sujets et ne pas avoir peur de regarder la réalité en face : le pays a changé et ses structures se sont sédimentées jusqu’à l’encroûtement.
Les idées de M. Attali, loin d’être fondamentalement « révolutionnaires », ont le mérite de toucher à plusieurs leviers dans un sens commun : faire des politiques de l’aménagement et du logement un vecteur fort au service de la croissance.
Si l’on devait résumer la « batterie » de dispositions, les leviers principaux sont ceux du foncier, de l’acteur compétent, de la réduction des « frais en tous genres », de la répartition des droits et devoirs entre propriétaires et locataires, de l’amélioration de la qualité de l’habitat, de la mobilité résidentielle et du développement de l’offre de logement disponible.
Ambitieux programme avec lequel on ne peut être que d’accord sur les finalités : reste à définir les moyens.
Ces moyens, j’en partage certains, mais j’en crains nettement d’autres. Il est clair qu’il y a du bon dans ce rapport - ce qui change des dernières horreurs - mais qu’il y a aussi énormément d’idées « vieille école » et une transpiration d’un « âge de réflexion dépassé ».
500 000 logements par an : construire plus pour... ?
Je le lisais encore il y a deux jours dans Le Moniteur que les besoins annuels de logement jusqu’à 2010 étaient évalués à environ 500 000 logements nouveaux par an d’ici à 2010 par la profession immobilière, c’est-à-dire avec une croissance démographique d’1,5 %/an (environ + 900 000 habitants/an) qu’il faudrait construire 1 logement neuf pour 2 habitants nouveaux, c’est-à-dire le maximum potentiel.
Certes les ménages se desserrent, certes la France manque de logement.
Mais de là à convenir d’un chiffre aussi « conséquent », il faut aussi distinguer de quel type de logement on parle, dans quels secteurs et avec quelle pérennité : certaines villes ont voulu juxtaposer des « tartines » de logement et de grandes surfaces plus que de raison et commencent d’ores et déjà à ralentir le mouvement... 2006 n’a vu la réalisation « que » de 420 000 logements alors que le secteur reste pied au plancher.
Le chiffrage est toujours un exercice difficile qu’il faut manier avec grande précaution : produire du logement pour produire du logement n’a de sens que si la vie peut s’organiser autour/avec ceux-ci.
Ainsi l’angle d’attaque de la production de logement « neuf » me semble un peu rapide tant il existe déjà un parc qui nécessite d’être rénové et remis à niveau (soit environ 2/3 des 30 millions de logements anciens construits avant les normes thermiques de 1974) : il ne s’agit pas tant de construire QUE du nouveau (quantitatif), mais aussi de faire mieux et si possible avec de l’existant : le qualitatif a son rôle à jouer.
Pour réaliser cet objectif de « construction », la commission Attali focalise sur le levier foncier, ce qui est à la fois tout à fait juste, mais aussi très risqué du point de vue du message à faire passer en ces temps de « Grenelle de l’environnement » : la politique du logement/urbanisme ne doit pas en rester à la vision extensive et par « zones » qui a fait tant de mal depuis les années 60.
Toujours pas d’autorité Organisatrice de l’aménagement, du logement et de l’urbanisme identifiée ?
Avant d’agir sur le foncier, il est nécessaire de déterminer une autorité compétente, un « échelon » qui soit en mesure de faire de l’acquisition, du portage, de la vente et de la gestion foncière. Certains sont allés vers des EPF, d’autres s’appuient sur des SEM ou des sociétés d’aménagements. Dans tous les cas, il n’y aura de politique publique foncière rationnelle en France que si l’on détermine un et un seul acteur compétent, si possible sous la forme d’une « autorité Organisatrice de l’aménagement, du logement et de l’urbanisme ».
Au lieu de créer encore un nouvel acteur (les foncières de démembrement), mutualisons les forces de l’existant et appuyons-nous sur les dispositions actuelles pour mettre en place des outils opérationnels identifiés et compétents !
Cette autorité organisatrice serait le pendant « public », bras droit des collectivités compétentes en matière d’urbanisme (communauté d’agglomération/communes) pour dialoguer avec les acteurs/promoteurs privés afin de faire émerger des projets, non seulement de construction, mais aussi de « recomposition urbaine » sur des tissus déjà urbanisés.
Ce bras droit pourrait parfaitement disposer des trois compétences stratégiques définies par M. Attali à savoir une branche dédiée au portage foncier, une autre à la « gestion/exploitation » des logements et enfin une 3e (non évoquée) liée à la planification stratégique (politique d’aménagement).
Cette logique pourrait prévaloir dans le sens de la commission Attali du regroupement des acteurs et de définition de l’échelon-clé « communauté d’agglomération », mais aussi servir de logique au regroupement stratégique et opérationnel des acteurs du « logement », publics comme privés, dans le sens d’un objectif clair d’encouragement des collectivités locales à construire et à rénover.
Une fois cet outil acquis, en plus de certains outils type « base de données référentielles », il serait possible non seulement de définir une stratégie à moyen terme d’aménagement, mais aussi de « changer de regard » en ne poursuivant plus aveuglément vers l’étalement urbain qu’alimentent des petites communes périurbaines et les jeux du coût de l’immobilier, en cessant de « consommer » l’espace foncier disponible et en allant plus vers une intensification urbaine, mixant les fonctions et architecturée autour des réseaux de transports (interface urbanisme/transports).
Malheureusement M. Attali s’arrête en chemin et oublie, du haut de son perchoir des années 80, que la création de nouvelles structures doit aussi s’accompagner de la suppression/mutualisation des précédentes...
Je pense par exemple à la création des Régions qui aurait dû s’accompagner de la suppression des départements administratifs en 1982-84...
Des dispositions pour le logement qui vont dans le bon sens
Si la commission Attali focalise avec raison sur le foncier, elle le fait avec une vision sous-jacente encore très axée sur la création ex-nihilo (cf Ecocity/ villes nouvelles) et la construction neuve. Le défi urbain consiste aussi et surtout à améliorer l’existant, à le faire muter, à le faire évoluer techniquement et réglementairement vers les préoccupations d’aujourd’hui dont les économies d’énergies pourraient constituer un vecteur fort (mobilité, eco-construction, etc.).
En ce sens, bon nombre de dispositions vont dans le bon sens (parfois trop loin dans le libéralisme), à la fois de l’urbanisme durable, mais aussi du porte-monnaie de la ménagère :
- faire évoluer les COS raisonnablement vers le haut dans les tissus urbanisés éventuellement sous la forme d’un dispositif contractuel avec les promoteurs ;
- donner aux collectivités locales les moyens financiers d’une politique opérationnelle ;
- impliquer des partenaires privés dans les projets publics ;
- simplifier les mécanismes financiers d’aide à la construction/aquisition sous-jacents (de la TLE à la loi de Robien/Borloo si possible) ;
- favoriser l’accession dans le parc public par de nouveaux mécanismes ;
- louer la mobilité de logement avec des contraintes moins lourdes (bourse du logement social, bail social limité dans le temps), des frais moins prohibitifs (moins de droits de mutation, frais d’agence des « 6 % » à revoir à la baisse) et des changements de rapport entre propriétaires et locataires (changement des modalités de caution contre un assouplissement des modalités « d’exclusion » ( !) : on appréciera la mise à niveau des délais de restitution des cautions par exemple) ;
- permettre aux plus modestes, étudiants ou personnes âgées de bénéficier d’aides à l’aquisition (moins de TVA) ou de garantie d’usufruit du logement.
Tout cet arsenal va dans le bon sens, c’est indéniable.
Certaines modalités seront sans doute à approfondir et d’autres à mettre au goût du jour, mais dans l’ensemble l’optique d’agir sur le fond de la politique du logement est louable : c’est là que réside les plus grandes distorsions entre les plus aisés et les plus modestes. Par ailleurs, il s’agit d’un poste de dépense dimensionnant pour les ménages, juste devant celui des transports, des gardes d’enfants, de la nourriture et autres assurances....
Une idéologie de l’urbanisme à revoir
Dans certains de mes articles précédents (en 2006/2007), j’avais fait le point sur l’absolue nécessité de se doter d’outils, d’échelons et de moyens adaptés à une politique d’aménagement moderne et résolument tournée vers le qualitatif.
Si les dispositions « Attali » sur le logement constituent sans aucun doute une bonne base de réflexion, les propositions sur le « Où » et sur le « Comment » restent bien en deçà des espérances. Ces idées me rappellent du reste le discours d’un certain « DSK », s’appuyant également fortement sur la capacité d’accession des locataires en HLM et sur l’idée de villes nouvelles à l’anglo-saxonne (modèle de Mountain View en Californie ou des futures Ecotowns britanniques à 10-20 000 habitants). Sauf que là on vise 50 000 habitants, donc plus une ville qu’un « grand quartier »...
C’est là que le rapport dérape, entre idéologie du tout nouveau tout beau, et réalités de terrain.
On ressent, malgré la qualité des leviers, beaucoup d’arrières-pensées des années 70-80 dans les propositions Attali, avec un regard très orienté sur le logement social, la « productivité » et l’extensif avec une mise à jour « développement durable » qui redonne du goût à la proposition mais sent néanmoins le réchauffé.
Mais peut-on en rester là ?
Est-ce suffisant ?
Une vision un peu courte pour un tel défi
Il s’agit certes d’un bon début, mais cela risque d’être un peu court pour répondre à l’objectif initial de relance de la croissance et de hausse du pouvoir d’achat.
Soyons clairs, si l’on veut redresser la croissance via la politique d’aménagement et du logement, il faudra calmer l’envolée de l’immobilier tout améliorant le qualitatif du secteur, ce qui revient à dire en clair : réduire les marges des grands promoteurs/constructeurs.
En parallèle, la clarification du maquis public pour la désignation d’acteurs-clés responsables est une absolue nécessité tant l’action du public est nécessaire pour le levier foncier, la gestion du parc social et la détermination des règles d’urbanisme via SCOT et surtout PLU.
Ensuite, il est certain que si l’on souhaite réellement redonner de la « marge » aux Français, il est nécessaire de rééquilibrer les rôles et règles propriétaires/locataires (indiquer des loyers repères, « plafonner les excès »...) tout en freinant les excès d’un milieu immobilier qui perd à la fois en compétence, mais aussi en crédibilité.
Une bonne part de la hausse immobilière est due à des agents qui ont bien compris qu’il valait mieux surestimer un bien et y appliquer 6 % plutôt que de fixer un prix réel raisonné...
Enfin, une action législative forte doit être produite afin de limiter, voire supprimer, les lois déséquilibrantes (type loi De Robien), mais aussi d’inciter à aller vers de meilleures normes environnementales, vers une protection des locataires (visite de contrôle de salubrité avant toute mise en location), une sécurisation des propriétaires (accélération des délais de recours en cas d’impayés) et enfin une gestion rationnelle du territoire avec des leviers incitatifs pour la « reconstruction/amélioration » des tissus urbanisés existants.
Un bilan mitigé
Les propositions de la commission Attali ne sont pas toutes hors de propos, mais elles manquent clairement de tonus, d’imagination et d’ambition raisonnée.
Cela sent un peu « l’intellectuel plat », la proposition bridée et la mise sur table d’idées conservées dans un coin d’un placard il y a trente ans et que l’on ressort parce que l’on a pas pu les dire jusqu’alors. On ressort les villes nouvelles histoire de dire que l’on a des utopies, mais on ne va pas dans le fond des choses pour proposer quelque chose de vraiment « détonnant » comme par exemple le concept de ville "intensifiée", de pôle de proximité en réseaux ou de logements à niveaux identifiés de prestation.
Côté organisationnel, toujours rien : toujours plus de moyens, plus de construction, plus de structures : jamais du mieux.
Côté intellectuel, pas mieux : toujours du consensuel, du classique, du repompé, aucune innovation et/ou prise de risques dans les idées.
Côté opérationnel, ça flotte : les rapports publics-privés sont prônés, mais on ne sait toujours pas avec quelles modalités, pour faire quoi et comment. Les rapports entre acteurs du marché sont certes présentés, mais cela reste un peu court pour réellement casser les excès à l’œuvre.
Au final, ma conclusion serait celle-ci : si l’on doit s’en tenir uniquement à ce type de disposition pour relancer la croissance, il est certain que la France n’est pas prête de se redresser. La commission est à l’image du rugby : une grosse équipe sur le papier, une tactique « petit bras » sans ambition ni courage, une défaite amère à l’arrivée...
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