Quand Méluche dérape, la classe politique s’étouffe

On sait Jean-Luc Mélenchon excellent discoureur qui aime la joute oratoire ; pour autant cela ne fait pas forcément de lui un bon communicant. Sa sortie le dimanche 6 juin sur France Inter ne permet pas de lui attribuer une bonne note en communication. Soit il s’agissait d’un dérapage verbal qui n’est guère acceptable de la part d’un politicien de son envergure, soit c’était une stratégie de communication délibérée dont on ne voit pas l’objectif politique à part se saborder. Le seul but raisonnable qu’on peut envisager pour une phrase de cette nature c’est de créer le buzz.
Là, Mélenchon a réussi. La phrase a tourné en boucle sur les chaînes d’information en continu, la grande presse s’en est emparée aussitôt, et le volcan de stupidité des politiciens s’est enflammé. Quelle belle occasion Mélenchon a donnée à son principal adversaire politique, la macronie, de le ranger dans la case des complotistes après l’avoir mis dans celle des islamo gauchistes et des idéologues de l’extrême gauche. Pourtant à y regarder de près il n’y avait pas là matière à un buzz volcanique. Mais, nous sommes plus dans une ère du commentaire que dans celle du débat argumenté.
Revoyons la phrase : « Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident, ou un meurtre… Ça a été Merah en 2012, ça a été l’attentat la dernière semaine sur les Champs-Élysées, vous vous rappelez de tout ça ? C’était la dernière semaine ! Avant on avait eu Papy Voise, dont plus personne n’a entendu parler après, donc, tout ça c’est écrit d’avance. Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau, nous aurons l’événement gravissime qui va une fois de plus permettre de montrer les musulmans du doigt et d’inventer une guerre civile… voilà, c’est bateau tout ça. » Dans cette phrase il y a des vérités factuelles et historiques comme le cas de Mohammed Merah qui le 11 mars 2012 assassine un militaire à Toulouse, puis le 15 mars deux autres militaires à Montauban pour terminer, le 19 mars, sa sanglante randonnée par l’assassinat horrible de professeurs et d’enfants dans une école juive de Toulouse. Nous étions en année d’élection présidentielle dont le premier tour avait lieu le 22 avril 2012. Comment nier la proximité entre l’attentat terroriste du 20 avril 2017 sur les Champs Élisez avec le premier tour de l’élection présidentielle le 23 avril ? Pareillement l’odieuse attaque contre Paul Voise (dit Papy Voise) a eu lieu 3 jours avant le premier tour de l’élection présidentielle en 2002 ; concernant cette dernière pour laquelle la presse de l’époque était rentrée dans un délire informationnel a été vue par certains comme la cause possible de l’échec de Lionel Jospin et de la réussite surprenante de Jean-Marie Le Pen en raison d’un possible lien entre cette affaire et les politiques de sécurité. Est-ce que Mélenchon si situe dans cette stratégie rhétorique en utilisant « tout ça c’est écrit d’avance » ? Pour sûr faisant ainsi il se livre à une extrapolation dans laquelle (est-ce délibéré ?) corrélation, concomitance et causalité. Dans quel but le remarquable tribun qu’est Jean-Luc Mélenchon use-t-il de cette phraséologie ?
Comment peut‑on avancer que ces crimes odieux auraient un rapport avec l’élection présidentielle ? Il y a un effet de concomitance évidente entre les attentats et les élections présidentielles évoquées en raison des dates ? Y a-t-il corrélation, ce n’est pas assuré ? Quoi qu’il en soit une corrélation n’est pas une relation de cause à effet. Pour autant Jean-Luc Mélenchon n’a pas tout à fait tort dans la mesure où les entités terroristes cherchent à faire parler d’elle et que pour ce faire il vaut mieux que les attentats qu’elles commanditent aient lieu à un moment particulier où la presse est particulièrement mobilisée autour d’une situation sociopolitique particulièrement sensible à la survenue d’évènements. Dans les cas cités par Mélenchon on voit bien la puissance terroriste des actions dans la mesure où elles se sont produites un moment clé du fonctionnement des institutions républicaines et démocratiques de notre pays. À ce stade nous pourrions faire une comparaison avec les éléments du Capitole aux états unis en 2021, si les mêmes individus avaient envahi le Capitole à n’importe quel moment de l’année au milieu d’une année non électorale certes la presse en aurait parlé mais ça n’aurait pas eu l’ampleur à la fois symbolique et médiatique auquel cet envahissement a donné lieu alors que nous étions à la fin du processus électoral et même à la proximité de l’investiture du nouveau président des états unis. Et nous pourrions trouver comme ça de nombreux exemples dans l’histoire de France et d’autres pays ; pour autant est-ce astucieux d’en faire état dans une période déjà troublée par une pandémie et qui annonce une période préélectorale vraisemblablement particulièrement tendue ?
Ce n’est pas astucieux, c’est sans doute une très mauvaise stratégie de communication mais pour autant il n’y a aucune raison raisonnable qui ferait qu’on ne puisse pas en parler. Que penser de la réaction de Latifa Ibn Ziaten, mère du soldat Imad Ibn Ziaten, assassiné par Merah dont les propos sont rapportés par le site Politique : « « Les propos de Jean-Luc Mélenchon sont inadmissibles et ne devraient même pas être tenus », a-t-elle tweeté, demandant « le respect » pour son fils et les autres victimes. » Pareillement comment interpréter l’intervention de l’avocat Patrick Klugman, qui a déclaré sur Twitter avoir « reçu mandat de dénoncer au parquet ses propos indécents pour qualifier l’attentat islamiste et antisémite qui a ôté la vie aux fils et aux petits-enfants de [Samuel] Sandler » (assassiné par Merah) ? Peut-être que le mot « évènements » utilisé par Mélenchon ne porte-t-il pas en lui suffisamment de tragique, donc semblerait amoindrir l’horreur de ces assassinats ? Il n’apparaît pas que Mélenchon ait glorifié les attentats, il ne fait que souligner la proximité de leur survenue avec une élection et que cette date n’est certainement pas choisie par hasard. Il faut avoir l’esprit envahi par un souvenir affectif tragique ou se complaire dans une victimisation pour qu’une pensée voilée à la raison puisse voir dans les propos de Mélenchon une quelconque indignité à l’égard des victimes. Dans cette ligne de pensée, celle de Monsieur Klugman et de Madame Latifa Ibn Ziaten, il faudrait taire l’Histoire, ne plus parler de tous ces actes, grands ou petits, odieux ou imbéciles, qui ont pu ou dont on peut penser qu’ils ont pu changer le cours de l’histoire, le résultat d’une élection. Est-ce que parler des crimes nazis fait injure aux victimes ? Est-ce que rappeler qu’un psychiatre autrichien (Hans Asperger) alimente une controverse, souvent en sa défaveur, quant à ses relations avec « la philosophie nazi de la pureté de la race » fait injure aux victimes ? Cependant il y a une chose dont on peut être assuré c’est que si attentat il y a et qu’il est en lien avec les « terroristes », les « forces » hostiles aux musulmans en feront des choux gras. On comprend que les sbires de Macron veuillent le silence là-dessus comme le veut le Maire de Toulouse, ouvert pourtant à tous les vents politiques et qui « demande » au candidat de la France insoumise de « retirer ses propos ».
En revanche, dans les propos de Jean-Luc Mélenchon, ce qui dépasse l’entendement c’est « Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau. » que tout le monde a interprété, comme Politique, comme étant Emmanuel Macron dont on a tellement raconté, à tort, qu’il était survenu du néant politique. A priori rien dans la phrase citée n’indique que le « petit personnage » serait Emmanuel Macron, mais Politique nous éclaire : « Note de Playbook : par « petit personnage sorti du chapeau », Mélenchon fait référence à Emmanuel Macron, qu’il a comparé dans la même tirade à l’ancien président et homme d’affaires Mauricio Macri, en Argentine, à l’ancien comédien Volodymyr Zelenski, en Ukraine, autant de « types sortis de rien et portés par un système oligarchique » selon ses mots. » Cette phrase fut prononcée au début de l’interview, avant l’allusion aux attentats ; Mélenchon énumérait un certain nombre de politiciens créés, d’après lui par « le système » et qui viendraient de « nulle part », créés hors du champ politique. Politico et la majorité des éditorialistes procèdent là à un raccourci analytique à la seule fin de conforter leur thèse. Abandonnant toute analyse, isolant des mots ils déstructurent le discours et annulent son sens pour lui donner le sens qui leur convient. Pour Mélenchon, ne s’agissait-il pas de rappeler que Macron était survenu sur la scène politique sans qu’il y fût attendu, ou simplement que de tels évènements sont souvent l’occasion de l’émergence d’un inconnu sur la scène politique. Honnêtement, qui attendait de Gaulle en 1940 ? Est-ce dire que Macron pourrait commanditer un « évènement » pour abattre ses adversaires politiques ; qui le croirait ? N’importe lequel d’entre nous qui se souvient de l’affaire du Raimbow Warrior et de la destruction des paillotes exécutées à la demande du pouvoir sous l’ère de François Mitterrand, de l’affaire du Watergate sous Nixon, etc. Le crime politique ne date pas d’aujourd’hui et n’est pas l’apanage des dictateurs. Personne, malheureusement, a besoin de Mélenchon pour faire ce genre de raccourci au vu de la personnalité et de la façon de gouverner de Macron qui s’il n’est pas encore un oligarque se pose bien en autocrate méprisant, arrogant, d’un égotisme et d’un narcissisme exacerbés. Chacun a en mémoire la façon dont il protège ses ministres en délicatesse avec la loi et la Justice, chacun se souvient de la façon dont il a protégé Benalla à propos duquel il semblerait que la Justice soit en panne ou en vacance. Plus simple encore, Mélenchon voulait peut‑être rappeler que de tels évènements ont un effet positif sur la cote de popularité du président de la République au regard de son inévitable action ; souvenons-nous de l’augmentation subite de la cote de popularité de Hollande en 2015.
Il faut protéger le Prince, alors c’est la curée, la dénonciation en complotisme. Il s’agit de discréditer Mélenchon et de faire en sorte que le peuple, celui des imbéciles et des illettrés comme dirait Macron, se laisse aller à de mauvaises pensées. On rameute le ban et l’arrière-ban des politiciens et des éditorialistes pour distribuer une potion à la « bien-pensance » : oyez braves gens, voilà ce qu’il faut penser ! Le ministre, Clément Beaune, utilisant un site officiel du Gouvernement donc s’exprimant au nom de celui-ci, y va d’une déclaration de la plus haute intelligence : « L’insinuation c’est la négation de la démocratie. Triste effondrement moral. » Question immoralité et insinuation les macroniens et beaucoup de politiciens n’ont rien à apprendre et, d’autre part, l’insinuation est un moyen de rhétorique politique aussi vieux que l’humanité. Plus grave, c’est qu’une fois encore faute d’avoir un discours pensé et fort en culture les commentateurs comme les politiciens en appelle à des « gros mots » : complotisme, islamogauchiste, autant de mots à géométrie variable et qui n’ont plus beaucoup de sens tellement ils ont été usés, souvent mal à propos, sur les canapés des plateaux de télévision ou entre les canapés de foie gras et de caviar des pince-fesses mondains.
Cet usage de mots cache‑sexe de l’indigence intellectuelle ne ramènera pas les citoyens vers la politique. D’autant moins que pour une majorité des citoyens les embardées verbales, les envolées lyriques de Mélenchon sont rangées sur le même rayon que les blagues des humoristes, voire des comiques troupiers de jadis. Pour sûr, et cette sortie du 6 juin n’améliorera pas la situation électorale de la France Insoumise, ce n’est pas Mélenchon qui conduira son mouvement à la victoire en mai 2022. Depuis 2017 il perd du terrain à mesure que s’empilent ses sorties souvent extravagantes ; on attend un peu moins de théâtralité et plus de pondération d’un politicien.
L’affaire, tellement stupide, ne vaut pas ce buzz médiaticopolitique qui rabaisse l’orateur et ne grandit même pas les porteurs de savons et de serviettes, les redresseurs de torts cachés derrière leur papier essuie-tout. Les propos de Julien Dray, ancien binôme de M. Mélenchon au sein du courant de la Gauche socialiste, rapportés par £e Monde apportent de l’intelligence et l’espoir d’une analyse et d’une critique constructive : « Pour un être aussi cultivé, les mots ont un sens… grave incident Merah ??? Franchement ce qui est grave, c’est de ne pas dire les choses… La langue française possède tous les mots forts pour cela. »
Le temps des médias n’est pas le temps de la réflexion, aujourd’hui mercredi 9 juin, la gifle assénée hier à Macron a remplacé les mots de Mélenchon prononcés seulement 3 jours plus tôt. Ainsi va la politique dans notre pays, de buzz en buzz...
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