Quand Verhofstadt rêve des « Etats-Unis d’Europe »
Le premier ministre belge sort un livre, fin février, plutôt remarqué, dans lequel il défend sa vision de l’Europe. Nous avons eu le privilège de le découvrir avant sa sortie officielle et l’avons lu pour vous, en avant-première. Critique et décryptage d’un essai pour une Europe fédérale, dans un contexte pour le moins morose...
Dans
la période actuelle, marquée par un pessimisme latent sur l’avenir de
l’Europe, le manque d’ambition et la défense des intérêts nationaux au
détriment d’un avenir européen, le livre de Guy Verhofstadt, Les
Etats-Unis d’Europe est une véritable bouffée d’air frais pour les
fédéralistes.
Les Etats-Unis d’Europe se révèle aussi être une contribution utile et courageuse. Utile, parce que la « période de réflexion » décrétée par les chefs d’Etats après la crise référendaire ne s’est pas - pour l’instant - traduite par un véritable débat. Dans cette optique, les positions prises par le Premier ministre belge, résolument fédéralistes, tranchent avec l’assourdissant silence des hommes politiques européens. Le manifeste - car c’est bien de cela qu’il s’agit - de Guy Verhofstadt est aussi une contribution courageuse de la part d’un chef d’Etat en exercice, appelant ouvertement à la création d’un noyau dur pour faire avancer l’Europe, et qui à ce titre s’expose à la critique des autres leaders européens avec lesquels il discute à échéances régulières.
L’analyse part d’un constat simple : l’Europe n’a plus vraiment le choix. Si elle veut continuer à exister politiquement et économiquement dans le monde de demain, dont les puissances majeures seront les Etats-Unis, le Japon, la Chine et l’Inde, l’Union européenne n’a d’autre alternative que de devenir une véritable entité politique. Ce que l’auteur appelle (un peu naïvement ?) les Etats-Unis d’Europe est donc « la seule option pour le vieux continent ».
Au fil des pages, Verhofstadt dessine donc les contours de sa « nouvelle Europe », qu’il imagine formée autour de cinq missions principales : la création d’un « gouvernement et (d’)une stratégie économique européens », une nouvelle politique européenne de recherche et de développement, un espace de justice et de sécurité, une réelle diplomatie commune, ainsi que la création d’une « armée européenne ». On le voit d’emblée, l’auteur se situe dans le droit fil de cette tradition de penseurs fédéralistes nés après la guerre, et qui cherchent à se détacher des objectifs « traditionnels » de l’intégration européenne (paix et prospérité) pour dessiner une Europe plus ambitieuse. Car c’est bien là, nous dit l’auteur, que se situe le problème : les citoyens ne peuvent plus se contenter d’une Europe molle, simple zone de libre-échange. Ce que montrent au contraire les référendums français et néerlandais, c’est un véritable désir d’Europe, le besoin d’une union qui aille au-delà de la simple zone économique et réponde aux préoccupations actuelles.
Tout en insistant sur des idées déjà connues (après tout, les concepts d’armée et de diplomatie européenne, tout comme le besoin de plus d’investissement en recherche ne sont pas nouveaux), Guy Verhofstadt ouvre de nouvelles voies intéressantes. Citons, par exemple, la création de « largeurs de bandes » entre lesquelles les Etats membres pourraient fluctuer (en matière de flexibilité du travail, protection des travailleurs, pression fiscale, etc.) et qui permettraient à l’Europe de conserver une cohérence économique, tout en laissant aux pays le soin de s’adapter, selon leurs traditions. Dans la même optique, l’auteur propose une refonte totale du budget européen, qui se baserait sur des fonds propres (et non pas sur des contributions nationales) prélevés sur une taxe environnementale ou directement sur la TVA (pour cette dernière, l’auteur suggère que l’étiquetage indique quelle part de la taxe est reversée aux budgets nationaux et européens, de façon à faire disparaître le fantasme d’une Europe baignant dans l’argent).
Plus que sur la description somme toute classique des objectifs politiques de ces Etats-Unis d’Europe, c’est surtout dans la manière de les atteindre que l’ouvrage se montre percutant. Dans la lignée directe de Joshka Fischer, Guy Verhofstadt appelle en effet à la création d’un « noyau dur », composé des Etats souhaitant poursuivre l’intégration politique. Tout en restant ouvert à tous, ce noyau dur se structurerait autour des onze pays membres de la zone euro. Ce qui exclurait donc a priori la Grande-Bretagne, jamais citée en tant que telle (l’auteur la désigne un moment comme « l’allié le plus fidèle des Américains au sein de l’UE »), au même titre que les pays de l’Est.
Autour de ce noyau dur « politique » (les Etats-Unis d’Europe) graviterait une « organisation des Etats européens », composé des Etats-membres qui souhaitent que l’Europe se cantonne aux fonctions qu’elle remplit actuellement (assurer la paix et être une zone de libre-échange). A juste titre l’auteur souligne qu’une telle organisation permettrait de résoudre le dilemme de l’élargissement, qui est continuellement perçu comme un obstacle à un approfondissement politique.
L’ouvrage est donc sans équivoque, ce qui, par les temps qui courent, lui confère un intérêt inestimable. On regrettera cependant que l’auteur ne s’attarde pas plus sur les mesures concrètes pour développer son projet politique (sommet des chefs d’Etats de la zone euro ? Relance à travers le moteur franco-allemand ?). A la différence d’autres écrits fédéralistes, Les Etats-Unis d’Europe propose pourtant des objectifs réalisables (ce qui ne veut pas dire faciles à réaliser). On appréciera d’ailleurs le pragmatisme de l’auteur, qui limite clairement les compétences de l’Union là où son action est utile (respect stricte de la subsidiarité). Dans la même idée, Guy Verhofstadt s’attarde uniquement sur le contenu des politiques européennes, sans tomber dans l’écueil d’un énième remodelage institutionnel allant dans un sens fédéral.
Finalement, sans être éclatant dans l’analyse, Les Etats-Unis d’Europe est un ouvrage salutaire, dont on ne peut que souhaiter qu’il provoque un réel débat. Guy Verhofstadt balise les contours d’un projet convaincant, qui redonne au rêve européen, que Jean Monnet (cité dans le texte) désignait déjà comme « le grand espoir et la chance de notre époque », une certaine fraîcheur porteuse d’espoir.
Auteur : Emmanuel BRUTIN, pour les "Euros du Village"
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