Quatre tares d’un mouvement infantile
Lorsque le Président des Présidents d’Université, Lionel Collet, affirme que « chaque président est assez grand pour prendre ces décisions » de façon autonome en ce qui concerne le rattrapage des cours et que Pascal Binczak, président de l’Université Paris-8, lui répond « Je suis étonné d’entendre le président de la CPU jouer les surveillants de collège », on peut se demander si l’infantilisme irresponsable n’est pas en train d’agiter les mauvaises consciences.
Tout le monde sait que Lionel Collet ne pourra pas mettre en place des mesures satisfaisantes et sérieuses garantissant à tous les étudiants un semestre de qualité normale. D’abord, parce que beaucoup d’étudiants ne reviendront pas. La mobilisation a multiplié ce mouvement de désertion massive et d’échec qui se manifeste habituellement au niveau des Licences et qui n’est rien d’autre que le rejet d’un système pour son nouveau public.
Ensuite, les étudiants mobilisés au service des enseignants pour faire pression sur le gouvernement n’arrêteront pas leurs actions du jour au lendemain. Le sentiment dominant dans les jeunes troupes, et pour le coup bien vrai, est que rien n’a été obtenu et beaucoup a été perdu. L’arrêt du mouvement enseignant démasquerait un peu trop cette situation dont sont l’objet les étudiants les plus fragiles en y ajoutant l’humiliation.
Un premier bilan du mouvement montre, comme le signale Lionel Collet, que les enseignants-chercheurs titulaires ont réussi à faire reculer le gouvernement sur pas mal de points, mais que les étudiants eux, loin d’avoir modifié le système en leur faveur, sont victimes d’une crise qui sera ressentie, au final, comme une forme d’exclusion et de discrimination.
La réponse de Pascal Binczak à Lionel Collet est calculée. Les événements de Rennes et ceux qui vont se produire prochainement, montreront que les appels à la mobilisation de la part des responsables universitaires produisent un déplacement du centre de la contestation des enseignants vers les étudiants. L’objectif pour certains est de faire en sorte que le mouvement enseignant apparaisse débordé, puis remplacé par un mouvement étudiant incontrôlable. Si les événements se compliquent et si les étudiants, qui ont déjà perdu leur semestre, sont poussés au désespoir par des autorités irresponsables, la réalité sera "favorablement" troublée.
Cette réalité ne se réduit pas à la mobilisation autour d’une surenchère de revendications et de paroles de négociation peu fiables. Elles comporte des aspects qui posent aux responsables universitaires et à l’élite du pays en général, des problèmes à la fois très pratiques et fondamentaux.
1) Le premier point est celui de la réalité de la grève enseignante. Comme on le sait, les enseignants qui ont paralysé les cours et voté la reconduction de la mobilisation ainsi que les démissions administratives diverses et variées, ne se sont jamais déclaré en grève. Il apparaît alors une double perversion. D’une part, celle d’une grève payée par l’Etat et couverte par les Présidents. Et d’autre part, l’impossibilité de faire la distinction entre les enseignants qui "font grève" et ceux qui ne la font pas. Ainsi, la grève d’Etat, financée par l’Etat apparaît comme une atteinte au droit de grève populaire.
2) La non-déclaration des grévistes ne pose pas seulement le problème des salaires versés aux titulaires. Les enseignants de l’Université sont, pour la plupart, régis par d’autres statuts, et notamment, par le statut de chargé de cours, payé à l’heure. Dans certaines universités, les chargés de cours ne font plus cours depuis des mois. Ils sont, avec les étudiants, les victimes objectives directes du mouvement. Leur situation est telle que certains mobilisés proposent aujourd’hui la création de caisses de grève et demandent à l’administration le paiement des heures de cours non effectuées par les chargés de cours pour éviter la cassure et continuer de véhiculer l’image d’un monde enseignant uni.
Leur situation pose aussi des problèmes administratifs précis : il faut que les chargés de cours déclarent les jours de cours et les heures exactes pour être payés. Il s’agira donc de fausses déclarations, de déclarations de cours que les étudiants n’ont jamais reçu.
3) Un autre point non négligeable est celui des heures supplémentaires. Comme chacun le sait, et contrairement à ce qui se laisse entendre, un bon nombre d’enseignants titulaires doublent leurs heures de cours à l’aide d’heures complémentaires. Ces heures complémentaires sont payées sur la base d’une déclaration avec des dates précises. Tout semble indiquer que l’on s’achemine aussi vers un paiement d’heures complémentaires non effectuées. Il y a donc, dans cette situation, deux poids et deux mesures : les enseignants au sommet de l’échelle ne subissent aucune conséquence matérielle concrète. Pour eux, tout se passe comme si les cours avaient eu lieu. Pour les étudiants, il n’en est rien.
4) Pour masquer ces aberrations, les mobilisés ont proposé des universités populaires alternatives. Elles ont bien du mal à fonctionner et ont généré très peu d’enthousiasme. Paradoxalement, elles se sont mises en place là où l’université présente déjà une composition populaire très forte. L’échec de l’université populaire tient au fait qu’elle restreint plus qu’elle n’étend. Participer à ces universités-là suppose adhérer au mouvement, en d’autres termes, à la position d’un noyau politique avec un discours unique. Or, la majorité des étudiants refuse l’embrigadement. Ce refus est sain. Il traduit le désir d’une université d’enseignement et de recherche, de science et d’art, qui tourne le dos à la fonction, qu’elle s’arroge, de tremplin vers le pouvoir politique.
On joue donc avec le feu.
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON