Pour François Bayrou, même s’il va « manger chaud » dans les jours et les semaines qui viennent, rien n’est perdu pour 2012. On l’a déjà vu, un homme du passé, un homme blessé, un homme isolé, un homme oublié peut apparaître tout neuf quelques mois avant l’échéance présidentielle et rafler la mise. 6 mois seulement avant le 1er tour de 1995, Jacques Chirac était au fond des sondages, loin derrière son rival Balladur. Un peu plus tôt dans cette même campagne, les sondages plébiscitaient Jacques Delors, un homme à l’écart du débat national ordinaire et des grosses machines politiciennes. Et que dire de Sarkozy, lui qui parlait un moment de tout abandonner tellement les électeurs semblaient le désavouer après un pari calamiteux en 1995 puis une déculottée européenne en 1999. Aussi, malgré deux échecs successifs à Pau et aux européennes, le scrutin présidentiel de 2012 reste ouvert pour Bayrou, d’autant plus ouvert que la synthèse du PS entre la dissidence mélenchiste et le néolibéralisme de DSK semble de plus en plus périlleuse et que la politique tout feu tout flamme de Sarkozy aura d’ici là consumé un peu plus nos fondations.
Donc oui Bayrou conserve toutes ses chances pour l’avenir, mais le MoDem ? Au passage, il serait bien plus confortable pour l’éventuel futur Président de la République – et pour la France ! – qu’il puisse s’appuyer sur une majorité cohérente au parlement… Et bien concernant le Mouvement Démocrate la réponse est simple : il sera un parti du XXIème siècle ou il ne sera pas.
De nombreux électeurs viennent de l’exprimer : il faut à la fois faire vite et faire fort pour éviter à la planète – France comprise, Europe comprise – d’être frappée de plus en plus durement par des violences écologiques, économiques et sociales générées par un système qui se révèle apocalyptique pour les générations futures, le système occidental du XXème siècle. Et si le MoDem ne propose rien d’autre qu’un prolongement du XXème siècle, alors il ne sert à rien. Tout le monde sait bien que les écologistes, à eux seuls, n’ont pas une grande crédibilité en matière économique et sociale, mais quand toutes nos ressources naturelles s’épuiseront au cours du siècle, quel système économique et social sera crédible ? L’UMP se maintient car l’appât du gain à court terme efface ces préoccupations, la logique des électeurs UMP c’est de s’adapter à la nouvelle concurrence globalisée pour ne pas décliner, or c’est l’avenir du monde entier qui décline à mesure que les pays émergents se gavent en usant de nos méthodes du XXème siècle, désastreuses pour le climat, la biodiversité, etc… Chez les plus âgés de nos concitoyens (un électorat important pour l’UMP), les paradigmes inédits du XXIème siècle sont d’ailleurs certainement difficiles à intégrer, pourtant la frénésie de croissance par la production va tarir à ce rythme la source de nos économies et des systèmes sociaux qui en dépendent, dont les retraites... Quant aux partis de gauche, dont le PS, l’obsolescence est encore plus flagrante : nous n’en sommes plus au partage des richesses créées par une poignée de pays occidentaux exploitant les ressources du reste du monde, nous en sommes au partage desdites ressources pour garantir sur la planète un minimum de confort à chacun sans ruiner l’avenir des générations futures, comme notre modèle du XXème siècle nous y conduit assurément. En l’état, les électeurs n’ont que le vote vert ou l’abstention pour tirer le signal d’alarme, ils n’ont que ce recours pour secouer les partis, pour que le terme « responsable politique » prenne tout son sens tant notre responsabilité est grande envers les générations futures. Ils demandent un grand parti présentant un projet économique et social adapté aux limites de l’environnement, un projet solide de transition pour les décennies à venir, qui garantisse à la fois un bien-être individuel raisonnable (économie, emploi), l’harmonie entre les hommes (système social, sécurité) et l’harmonie des hommes avec la planète (écologie).
Dans ce contexte, la feuille de route pour le MoDem pourrait donc être la suivante :
. Bâtir un grand projet de société pour le XXIème siècle ; un projet clair, précis, complet ; un projet pour les décennies à venir et déclinables à toutes les échéances : régionales, présidentielle, législatives, municipales, européennes, …
Des idées plus ou moins abouties existent déjà au MoDem, des orientations thématiques commencent à émerger mais c’est encore beaucoup trop flou pour que les électeurs comprennent où veut en venir le MoDem. Un projet politique crédible c’est la proposition d’un parcours et d’une destination identifiable. Et pour être utile ce projet doit garantir un avenir sécurisé à chacun de nos concitoyens.
. Se rassembler, s’allier, rejoindre, accueillir tous ceux qui veulent aussi faire une politique du XXIème siècle.
Faire une politique du XXIème siècle, c’est également faire fi des clivages du XXème siècle. Le MoDem ne doit rien s’interdire en matière de partenariat politique. Par exemple, pour une échéance précise, le MoDem ne doit pas s’interdire d’effacer son étiquette comme l’ont fait Cohn-Bendit, Eva Joly et José Bové dans leur alliance pour une cause commune. Et ceux du MoDem qui resteraient bloqués dans une pensée du XXème siècle devront s’adapter très vite ou faire le choix plus cohérent d’un autre parti cultivant l’obsolescence.
. Exister réellement en tant que mouvement, avec une réelle diversité de visages, d’expressions, d’expériences, de compétences.
Un grand parti du XXIème siècle ne peut exister comme l’écurie d’un seul homme, François Bayrou, parce qu’il y a un avenir pour le monde d’ici 2012 et surtout après 2017 ou 2022. Le MoDem présentait près de 150 candidats aux européennes dont certaines personnalités comme Corinne Lepage, Jean-François Kahn, Jean-Luc Bennahmias, … pourtant il n’a été question que d’un homme, même pas candidat : Bayrou, Bayrou, Bayrou. Certes la sortie très attendue de son livre a focalisé l’attention des médias mais lorsqu’au soir du scrutin du 7 juin, dans son allocution, le président du MoDem use à répétition du « je », il illustre bien la problématique d’une ultra-personnalisation très réductrice pour ceux qui l’accompagnent. Aussi François Bayrou devra nécessairement s’effacer dans les semaines à venir, se faire oublier provisoirement pour mieux faire exister le MoDem en tant que grand parti d’avenir, au-delà du simple mandat présidentiel de 2012 à 2017 ou 2022.
Enfin il est évident que le MoDem, et en particulier son président, doit s’inscrire dans une démarche constructive et se concentrer sur l’essentiel : son projet. Tous les antagonismes réels ou supposés – les médias, les sondeurs, les attaques politiciennes – doivent être traités avec une classieuse indifférence et non avec une obsession agressive. Ce qui compte c’est l’avenir de nos contemporains et des générations futures, c’est le parcours et la destination qu’attendent des millions d’électeurs. Il nous faut ce grand parti innovant et vigoureux dans sa proposition d’un grand projet nouveau de société, un projet à la hauteur des enjeux colossaux de ce siècle, et les électeurs seront de plus en plus nombreux à l’exprimer. Le Mouvement Démocrate aura de l’avenir si, et seulement si, il devient ce grand parti là.