Qui peut encore croire que l’Europe est faite pour les européens ?
Commencée il y a plus de soixante ans, où en est-on de la soi-disant "construction européenne" ?
Après quelques essais infructueux du type CECA ou CED, qui consistaient essentiellement dans la mise en commun de certaines ressources ou activités, ce qui leur constituait indéniablement un caractère fédéraliste. Il faut noter que la première coopération européenne viable a été le programme Airbus, et qu’elle ne concernait au début que la France et L’Allemagne.
Historiquement, il trouve sa source dans le programme "Transall" lancé en 1961, lui-même héritier du Nord 2501, avion de transport militaire français dont les Allemands s’étaient rendus acquéreurs. De Gaulle avait une vision de l’Europe dans laquelle elle devait absolument affirmer son indépendance vis-à-vis des deux blocs (Union soviétique et Etats-Unis d’Amérique). Il était partisan d’une union des états européens (limitée à six) telle que décrite par le plan Fouchet (1961). Afin de concrétiser les choses et en illustration du traité d’amitié Franco-Allemand (janvier 1963) le programme Transall arrivait à point nommé car il devait préfigurer ces coopérations entre états , antipode du fédéralisme et dans lesquelles les états coopérants conservaient leur totale souveraineté.
Mais le plan Fouchet achoppe car les autres car « les autres pays tiennent à ce que l’OTAN et la fidélité à l’Alliance Atlantique soient clairement mentionnées » (Le déclin de l’empire européen , JF Susbielle op cit Ed First avril 2009)
Ainsi vidé de sa substance, le Traité d’Amitié devenait caduque et de Gaulle se détourne quelque peu d’une Europe inféodée de toute évidence aux Etats-Unis.
De fait, l’entrée dans le marché commun de la Grande Bretagne en 1971 a définitivement soumis l’Europe à la volonté de l’oligarchie américaine. La parenthèse ouverte depuis 1962 par de Gaulle s’est donc refermée. Il convient de noter que c’est à partir de ce moment que les vrais ennuis ont commencé. 1973 fut l’année du premier choc pétrolier dont les économies européennes furent les premières victimes. La fin des années 70 a été marquée aux Etats-Unis par l’avènement de la dérèglementation, directement inspirée par la doctrine néolibérale de Freidrich Hayek. Né sous l’administration Carter, amplifiée sous Reagan, elle s’est propagée en Angleterre grâce à Margaret Thatcher. Qui se souvient aujourd’hui que la première offensive en matière de déréglementation du transport aérien est due à Freddy Laker en 1975 sur la liaison Londres NewYork et que Jimmy Carter s’est appuyé sur elle pour faire adopter en 1978 l’Air Transport Dérégulation Act.
La propagation de cette doctrine libérale fut quasi immédiate dans l’Europe continentale, et on se rendit compte trop tard (du moins pour ceux qui n’étaient pas acquis à ce courant) que les articles 85 et 86 du Traité de Rome contenaient déjà cet objectif économique en filigrane. Cela n’avait rien d’étonnant car la doctrine néolibérale avait été théorisée par Milton Friedman et l’Ecole de Chicago dès 1946. Il est surprenant de constater la similitude entre certains articles du traité de Rome et ceux du GATT de 1947. Maurice Allais, Prix Nobel d’économie en 1988, soulignait lui-même « la totale incohérence entre les objectifs de ce traité et les moyens à employer pour y parvenir »
Une fois l’Angleterre intégrée au marché commun, l’influence américaine devint encore plus prééminente. La vieille idée de la monnaie unique pour l’Europe occidentale refit son apparition, poussée par les lobbies financiers. Cette idée ne faisait que reprendre celle que l’AMGOT voulait imposer aux états d’Europe occidentale libérés par l’avance des troupes alliées. De Gaulle avait réussi à prendre Roosevelt de vitesse en reprenant le contrôle du territoire national à partir du 14 juin 1944 et cette monnaie (un dollar barré par un tampon AMGOT) n’avait pas réussi à s’implanter.
On arrive là au cœur du sujet. En juillet 1944, les accords dits de « Bretton-Woods » (http://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Bretton_Woods) avait posé le principe d’une monnaie internationale (on ne disait pas encore mondiale) pour tous les échanges commerciaux internationaux. Le dollar, avec une parité or, fut finalement retenu.
En 1971, la décision de Nixon de renoncer à la parité or du dollar, rendue impossible en raison d’un déficit public abyssal lié, entre autres, (certains s’interrogeaient déjà sur la quantité d’or réellement entreposée à Fort Knox) à la guerre du Viet Nam, aurait dû remettre en question les accords de Bretton-Woods. Pour conserver son rôle de monnaie internationale au dollar, les Etats-Unis ont imposé aux pays producteurs de pétrole que les transactions soient faites en dollars d’une part, et que ces dollars soient conservés par les états qui les recevaient, d’autre part. Si tel n’avait pas été le cas, le dollar, monnaie scripturale basée uniquement sur la confiance dans l’économie américaine, aurait perdu toute valeur. On comprend mieux ainsi la genèse du choc pétrolier de 1973.
On peut dire que c’est à partir de ce moment que l’Europe, étant la première zone économique mondiale, est devenue la vassale monétaire des Etats-Unis. Remarquons que les trois dates du 15 aout 1971, du 03 janvier 1973 (pour ce qui concerne la France) et du 16 octobre 1973 (réunion de Koweit-city) répondent à un calendrier précis destiné à lancer une offensive en 3 temps ;
Premier temps : abandon de l’étalon or du dollar au risque de fragiliser complètement cette monnaie. L’imposition du dollar comme monnaie d’échange pour le pétrole écarte momentanément ce risque.
Deuxième temps : On impose aux états européens qui n’avaient pas encore adopté cette règle de financer leurs déficits via les banques privées.
Troisième temps, on multiplie par 4 la facture pétrolière de ces pays, ce qui les oblige à s’endetter en raison de balances de commerce extérieur très déficitaire.
Bien sûr, on peut toujours dire que cela n’est dû qu’au hasard, ou à la « guerre du Kippour » mais je constate que la guerre a duré 6 jours et que le prix du pétrole n’est jamais redescendu.
Je ne vais pas refaire dans le détail de la chronologie tous les évènements qui montrent clairement la vassalisation de l’Europe par les Etats-Unis mais il me parait difficile de comprendre les différentes étapes de la « construction » européenne si on ne les regarde pas au travers de ce prisme. Les Etats-Unis n’ont jamais voulu d’une Europe puissance politique qui aurait pu à terme leur poser un problème de leadership. Ils ont donc toujours agi dans ce sens. On ne peut pas comprendre cette imbécillité qui a fait que l’Union Economique s’est doté d’une monnaie unique sans avoir préalablement installé un Etat et une zone monétaire optimale si on ne tient pas compte de cet élément.
Ceux qui vous disent que l’essentiel était de faire l’Euro avant tout vous mentent. Quant à un état fédéral européen qui viendrait coiffer la zone euro, c’est une pure fiction. Indépendamment de toute autre considération, l’économiste Jacques Sapir en a estimé le coût, notamment pour l’Allemagne, et il est dissuasif.
Venons-en à la situation actuelle de l’Europe :
27 états, dont 17 appartenant à l’UEM (Union Economique et Monétaire) avec des disparités évidentes sur les plans économiques, fiscaux, politiques, linguistiques et culturelles. Autant une « Europe des six » comme celle du Traité de Rome aurait pu, avec du temps, déboucher sur une structure partiellement fédérale, après être passée par le stade intermédiaire d’une confédération d’états souverains, autant à 27 et bientôt à 32, cela semble totalement exclu.
Sans revenir dans le détail sur les différentes adhésions de ces nouveaux états, comment ne pas y reconnaître la « main américaine » qui a guidée pas à pas ces élargissements successifs depuis celui de la Grande Bretagne en 1971. En y regardant d’un plus près, on retrouve sensiblement la même méthode, qui consiste à faire entrer chaque postulant dans l’OTAN, qui devient ainsi l’antichambre d’accès à l’Union Européenne. Notons également que, depuis plus de 50 ans, nous n’avons jamais pu définir avec précision quel serait le périmètre définitif de l’Europe. Cela démontre à l’évidence que l’Europe a pour seule vocation de rester ce qu’elle depuis 1957, c'est-à-dire une simple zone économique de libre échange et ce n’est pas les « ersatz d’institutions » dont on l’a doté (Présidence et Diplomatie) qui apporteront un démenti à cet état de fait.
Alors, quel avenir pour l’Europe ?
Inexistante comme puissance politique, cet ensemble hétéroclite d’états, de peuples de culture et d’histoire différentes, façonnée au gré des intérêts économiques et financiers anglo-saxons ne semble pas voué à un bel avenir dans le Monde de demain. La convergence entre la zone européenne et la zone américaine est pratiquement actée dans ce qu’il convient d’appeler le « bloc euro-atlantique » destiné à fondre ensemble ces deux zones économiques et on distingue mal aujourd’hui qui aurait la volonté de s’y opposer. Il y a fort à parier que, dès lors que ce projet sera en voie de réalisation, la Grande Bretagne quittera l’UE.
La seule question qui se pose encore concerne le rôle que l’Allemagne va jouer dans cet ensemble. Sera-t-elle, de par sa volonté et avec le consentement américain, leur seul interlocuteur convié autour de la table des discussions ou bien partagera-t-elle ce privilège avec quelques autres admis parcimonieusement ? Verra-t-on alors réapparaître, au niveau de notre Europe occidentale, le Saint Empire Romain Germanique, c'est-à-dire une mosaïque de petits pays, voire de provinces dont la seule vocation sera de commercer entre eux ?
Ou bien aurons-nous assez discernement et de force de conviction pour faire évoluer les choses vers ce qui semblait de pur bon sens en 1960, c'est-à-dire une confédération d’Etats-nations souverains, à l’intérieur d’un périmètre adapté permettant la mise en commun d’un certain nombre de choses pour le bien de tous et dont le destin ne sera plus soumis à des volontés extérieures ?
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