Paradoxalement, l’éclatement de la famille centriste actuel intervient alors que ses différentes composantes ont rarement été autant en accord sur le projet de société qu’elles défendent. Pour ne prendre que cet exemple d’actualité, aussi bien le Mouvement Démocrate que le Nouveau Centre ou l’Alliance Centriste proposent le même projet de réforme des retraites, basé sur un système « à points » similaire au modèle suédois. Et l’on retrouvera de telles similarités sur l’Europe, la politique fiscale, la maitrise des déficits publics, la réforme de la justice, l’autonomie des territoires ou même le développement durable par exemple. Ainsi, contrairement à l’ancienne UDF qui voyait se côtoyer des tenants d’un libéralisme économique avancés avec ceux d’un rôle de l’État beaucoup plus protecteur, les divergences actuelles qui séparent les centristes sont quasi exclusivement de l’ordre de la stratégie politique. Mais, peut-être en raison de ces divisions, ces différentes stratégies ont toutes échouées.
La galaxie centriste
Si l’on omet les radicaux de gauche, réduits à leur plus simple expression depuis l’avènement de François Mitterrand, trois stratégies principales ont été utilisées par les centristes ces dernières années :
- La fusion avec la droite. Réalisée en 2002, cela devait être le grand parti de la droite ET du centre, l’UMP. Huit ans après cette fusion qui avait vu le départ de la majorité des parlementaires UDF de l’époque vers l’UMP, il faut constater son échec : l’UMP est quasi-exclusivement gouvernée par des personnalités de droite, propose une politique de droite, et n’est plus considérée par l’électorat que comme un parti de droite. Aucun leader centriste n’a d’influence mesurable dans l’UMP, et les récentes élections intermédiaires ont démontré l’absence de réservoir de voix que constituait pour la droite un parti centriste, dont l’électorat ne se reconnaît pas dans ce parti et ses valeurs.
- L’alignement dans une semi-autonomie. Que l’on parle du Parti Radical, ayant le statut de « parti associé » à l’UMP depuis 2002, ou du Nouveau Centre, juridiquement autonome depuis sa création en 2007, le principe est le même : maintient d’une étiquette différente de celle du grand parti frère mais alignement systématique in fine sur sa politique, participation (à la mesure de leur influence) au gouvernement en échange d’une solidarité sans faille, absence de listes ou candidatures autonomes aux différentes élections. Là aussi, en raison de leur taille limitée et de leur absence de position autonome, ces partis n’ont pas d’influence réelle sur la politique définie par la majorité, et sont principalement perçus par l’électorat comme des appendices de l’UMP destinés à préserver les postes de quelques élus.
- La totale indépendance, et la création d’une « troisième voie ». C’est la solution qu’a tenté le Mouvement Démocrate, en misant à la fois sur une radicalisation de la droite et sur l’éclatement de la gauche et du Parti Socialiste. Sans doute l’option initialement la plus soutenue par l’électorat centriste, cette solution s’est avérée particulièrement ardue : en raison du système électoral français, la nécessité de trouver des alliés, couplée avec certaines erreurs tactiques, ont rapidement diminué les espoirs du MoDem d’incarner une voie alternative crédible. L’émergence inattendue d’Europe Ecologie, la réorganisation du Parti Socialiste, et l’apparition d’une opposition au sein même de l’UMP ont achevé de réduire l’espace politique nécessaire à l’émergence d’un MoDem indépendant suffisamment crédible.
Conscient du danger lié à cet éclatement et soucieux de préserver un positionnement plus indépendant, une quatrième voie a été proposée par Jean Arthuis et son Alliance Centriste. Autour d’un noyau de sénateurs et de quelques députés, ce projet a été conçu sur la base d’une appartenance plus critique à la majorité actuelle, et sur la présence éventuelle de listes ou candidatures autonomes de premier tour aux différentes élections. Cependant, il conserve un mécanisme d’alliance quasi-automatique avec la droite au second tour. C’est sur cette base que se profile une éventuelle fusion avec le Nouveau Centre, devenu après les élections régionales conscient de sa propre faiblesse ainsi que de celle de l’UMP dans une élection à deux tours. Le positionnement de cette fusion semble encore flou, dans la mesure où si une candidature du chef du Nouveau Centre est ouvertement discutée pour le premier tour de l’élection présidentielle, la participation au gouvernement actuel de ce parti ne semble pas remise en question, ni le vote par solidarité majoritaire des textes de lois proposés par le gouvernement, même en contradiction avec les valeurs « centristes » traditionnelles.
Néanmoins, profitant de l’affaiblissement du Président de la République et de l’apparition de divisions internes à l’UMP, les composantes centristes de l’actuelle majorité semblent vouloir profiter de cette opportunité pour se rapprocher, en appelant y compris au rassemblement des cadres du MoDem. La base des différentes composantes centristes souhaite en effet peser de façon plus importante sur les décisions politiques et reconquérir ainsi un électorat modéré en désarroi. Reste que si le moment semble effectivement bien choisi, deux obstacles se dressent devant cette volonté de rassemblement : quel leader pour le mener, et avec quelle autonomie par rapport à l’UMP, les deux éléments étant bien entendu liés.
Les leaders potentiels
Si l’on exclue d’emblée l’hypothèse Dominique de Villepin, qui bien qu’utilisant un vocabulaire inspiré de celui de François Bayrou en 2007 et invitant au rassemblement des déçus de Nicolas Sarkozy de la majorité, demeure néanmoins trop ancré dans la famille gaulliste, on peut considérer des personnalités des trois stratégies politiques précitées :
1. A l’UMP, les anciens centristes issus de l’UDF d’avant 2002 ne comptent plus vraiment de leaders crédibles. Les Jean-Pierre Raffarin, Pierre Méhaignerie ou Philippe Douste-Blazy semblent maintenant trop immergés et liés au destin de l’UMP pour que l’on imagine l’un d’entre-eux avoir la capacité de rassembler des centristes sur la base d’une réelle autonomie vis-à-vis de la politique du Président de la République, ce qui serait nécessairement perçu comme une menace par leur parti actuel.
2. Hervé Morin, l’actuel patron du Nouveau Centre, et éventuellement Jean-Louis Borloo, qui préside le Parti Radical et possède lui une côte de popularité favorable, semblent réfléchir sérieusement à une telle hypothèse, en envisageant de se présenter au premier tour de l’élection présidentielle. Mais comme le soulignait récemment le respecté centriste Jean-Louis Bourlanges, tous deux souffrent d’un inconvénient majeur : membres du gouvernement actuel, ils en ont défendus toutes les décisions, et se retrouvent donc mal placés pour incarner une autonomie nouvelle, même située dans la majorité. Or, une telle autonomie, semble être la condition minimale pour réussir une fusion des différentes composantes centristes qui désirent relever un peu la tête, faute de quoi l’opération apparaitrait comme téléguidée par l’Elysée et peu susceptible de convaincre.
3. François Bayrou, le président du MoDem, possède l’avantage d’une réelle reconnaissance dans l’opinion publique et incarne un projet indépendant déjà construit. Mais sa longue quête présidentielle et ses prises de position très tranchées font de lui à l’heure actuelle un épouvantail vis-à-vis des centristes de la majorité, et non l’homme d’un consensus acceptable.
Enfin, le leader de l’Alliance Centriste Jean Arthuis se situe sans doute dans le positionnement le plus consensuel, mais ne semble pas disposer des forces ni de l’aura nécessaire pour s’imposer à la tête d’une fusion infiniment délicate.
Reste une dernière possibilité : Faute de l’émergence de personnalités nouvelles et charismatiques ces dernières années dans la famille centriste, on peut envisager l’hypothèse d’un responsable respecté par l’ensemble des courants et responsables centristes, mais ayant été suffisamment en retrait des querelles politiques récentes pour être en capacité de rassembler. Suivant ces critères, deux possibilités seulement semblent crédibles :
- François Léotard. Ancien président de l’UDF, issue de sa branche libérale, il s’est progressivement distancé de la politique au point de prendre sa « retraite » en 2001 mais conserve une réputation solide auprès de nombreux centristes. Autre élément appréciable, il son livre réquisitoire écrit en 2008 contre Nicolas Sarkozy, « Ça va mal finir », qu’il avait pourtant soutenu en 2007. Néanmoins, ses ennuis divers à la fin des années 90 semblent l’avoir définitivement convaincu de se retirer de la politique.
- Bernard Bosson. Moins connu du grand public, il fut néanmoins une figure très importante de l’UDF tendance démocratie sociale et n’a que 62 ans. Son retrait de la vie publique ne date que de 2007, lorsqu’il décida de passer la main à son premier adjoint pour sa mairie d’Annecy et fut battu par un candidat soutenu par l’UMP aux législatives qui suivirent l’élection de Nicolas Sarkozy. Bien que soutien du Nouveau Centre à sa création, il n’en a pas moins conservé des relations cordiales avec l’ensemble des responsables centristes de toutes tendances et toujours défendu une position très autonome du centre. Son combat en faveur de l’environnement contre les élus UMP de la région pour défendre le lac d’Annecy, sa défense de la Municipalité d’Annecy contre les ambitions de l’UMP, mais aussi son soutien à Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle en font un trait d’union possible entre les différentes chapelles centristes. Cependant, il n’a jusqu’ici jamais exprimé le souhait de revenir à la vie publique depuis son départ.
On le voit, s’il existe certainement une attente de l’électorat modéré pour une offre politique alternative et progressiste entre une UMP sarkozyste et une gauche assez radicale, les divisions de la famille centriste (ou démocrate) la pénalise considérablement. Cette évidence est certainement à l’origine des tentatives de rapprochement esquissées entre certaines de ses composantes, mais l’absence de leader consensuel rend ces efforts compliqués. Néanmoins, le paysage politique a horreur du vide : s’il ne reste que peu de temps pour voir une fusion des différentes composantes centristes aboutir d’ici la prochaine élection présidentielle, il y a fort à parier que celles-ci devraient trouver plus facilement un accord après 2012 dans un contexte politique clarifié. Trouver d’ici là une personnalité capable de réaliser ce rassemblement sera un pas en avant déterminant dans ce processus.