Réforme des retraites 2023 : le projet du gouvernement est-il amendable ?
« Nous devons veiller à l’avenir de notre système de retraite. C’est pourquoi nous demandons à celles et ceux qui le peuvent de travailler progressivement plus longtemps, y compris aux femmes qui ont eu des carrières complètes. Cependant, les femmes continueront à partir plus tôt que les hommes. J’ajoute qu’elles bénéficieront de meilleures pensions. De fait, la réforme contribuera à réduire l’écart de pension entre les hommes et les femmes. » (Élisabeth Borne, le 24 janvier 2023 dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale).
Les grandes lignes de la réforme des retraites ont été présentées par la Première Ministre Élisabeth Borne le 10 janvier 2023. En réaction, les syndicats, dans une unité nouvelle, ont appelé à faire la grève et à manifester pour le jeudi 19 janvier 2023. Dans les rues, 1,1 million de personnes ont manifesté, dont 400 000 à Paris, ce qui est une performance notable. Une nouvelle journée de manifestation est prévue le mardi 31 janvier 2023. Parmi les manifestants, on pouvait voir beaucoup de jeunes, ce qui est symptomatique de la société ; c'est compréhensible de voir des jeunes manifester pour leur pouvoir d'achat, pour avoir un emploi, pour avoir une bonne formation, pour avoir un logement, pour des causes internationales, etc. mais les voir manifester pour leur retraite, alors qu'ils n'ont pas encore, ou à peine, commencé leur vie active, n'avoir comme projet que de prendre sa retraite, ne traduit pas un grand enthousiasme dans la vie.
La démocratie ne doit pas se faire dans la rue, mais dans les urnes. Que sont ce 1,1 million de manifestants face aux 18,8 millions de Français qui ont voté pour Emmanuel Macron au second tour de l'élection présidentielle de 2022, et même face au 9,8 millions qui ont voté au premier tour dans un choix entre douze candidats (le plus diversifié en dehors de 2002), alors que le programme du candidat Emmanuel Macron spécifiait sans ambiguïté qu'il souhaitait faire la réforme des retraites (en reculant l'âge jusqu'à 65 ans) ?
Déjà, le gouvernement avait reculé en proposant 64 ans au lieu de 65 ans comme âge légal. En revanche, le ministre en charge de cette réforme, Olivier Dussopt (ancien député socialiste), a clairement fait comprendre que sur cet âge légal, le gouvernement n'entendait pas reculer et resterait ferme. Or, c'est un peu le chiffon rouge pour les syndicats, en particulier pour la CFDT pourtant favorable à la réforme version 2018-2019 qui n'est pas allée jusqu'au bout, vaincue par la pandémie de covid-19.
La démocratie ne sera pas dans la rue, mais elle sera dans l'hémicycle puisque c'est aux députés de voter la loi (ce sera un projet de loi rectificative de la loi de financement de la sécurité sociale de 2023). Le groupe LR devient le groupe charnière pour faire adopter la réforme. La plupart des responsables LR ont déjà fait savoir qu'ils avaient été écoutés par le gouvernement et qu'ils étaient prêts à voter le texte (néanmoins amendé).
De leur côté, les syndicats ne comptent pas rester passifs face au processus parlementaire. Le 25 janvier 2023, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez souhaitait multiplier les "actions" d'ici au 31 janvier 2023. Il notait également que beaucoup de personnes qui n'avaient pas l'habitude de manifester avaient manifesté le 19 janvier 2023, notamment dans des petites villes. Enfin, il rejetait l'argument du gouvernement sur l'équilibre des comptes : il constatait même un excédent en 2022.
Alors, tout va bien avec notre système de retraite, madame la marquise ? Évidemment, non ! Philippe Martinez a oublié de dire qu'il y a un excédent en prenant en compte la subvention de 30 milliards d'euros de l'État pour rééquilibrer les comptes. De plus, cette situation d'équilibre provient des conséquences positives de la réforme des retraites de 2010. Ce qui la justifierait a posteriori ! Sans la réforme réalisée par le gouvernement de François Fillon, la situation des retraites aurait été une catastrophe financière.
Le problème, en France, c'est qu'il n'y a jamais un bilan des réformes réalisées dix ans auparavant (positif ou négatif). Pourtant, c'est bien Philippe Martinez qui affirme que la réforme de 2010 a sauvé provisoirement le système de retraite. Aurait-il voté pour Nicolas Sarkozy ?!
Et en 2010 déjà, les deux tiers des Français étaient opposées à la réforme, autant qu'en 2023. Elle a pourtant été adoptée et appliquée et c'est maintenant grâce à elle que le patron de la CGT a l'audace de parler d'un excédent pour les retraites.
Seulement, la pyramide des âges est têtue : faute d'avoir su faire assez d'enfants, la génération qui, aujourd'hui, arrive à la retraite et leurs aînés sont en beaucoup trop grand nombre par rapport au nombre de personnes dans la vie active. Le déficit est démographiquement structurel. Si on avait pris le taureau par les cornes dès la fin des années 1990 (le gouvernement de Lionel Jospin a refusé de faire une réforme des retraites entre 1997 et 2002, d'autres gouvernements ont fait des petites réformes qui sauvaient le système seulement provisoirement), la pilule serait moins amère à faire passer.
Et il n'y a pas beaucoup de solutions pérennes pour sauver nos retraites par répartition : ou augmenter les cotisations (charges salariales ou employeur), ou diminuer les pensions, ou enfin rééquilibrer le ratio entre durée moyenne de la vie active et durée moyenne de la retraite. La solution la plus douce, c'est de partir à la retraite plus tard. Cette philosophie paraît la plus raisonnable et elle est opposée aux fausses solutions (particulièrement démagogiques) de mettre le système de retraite sous injection permanente d'autres recettes de l'État (et donc, d'autres impôts, taxes ou cotisations).
C'est donc dommage que le syndicat réformiste qu'était la CFDT n'ait pas adopté cette philosophie de principe (le principe de lucidité et de réalisme) pour apporter à la réforme des améliorations nécessaires pour faire de cette réforme, comme le proclame le gouvernement, une réforme à la fois juste, raisonnable et progressiste. Le raisonnable est l'équilibre financier à long terme : si on ne fait rien, le système s'effondrera de lui-même et les beaux parleurs pourront toujours regretter l'ancien temps. Le progrès, c'est d'augmenter le minimum vieillesse et probablement qu'il faudra l'indexer pour qu'il suive l'inflation. Enfin, la justice sera sans doute l'élément à améliorer si on ne la veut pas seulement de vitrine.
Paradoxalement, le groupe Les Républicains pourrait se retrouver dans cette position d'arbitrage pour amender dans le sens de plus de justice sociale, alors que les oppositions populistes, que ce soient la Nupes ou le RN, n'auront aucun travail constructif pendant l'examen au Parlement.
Parmi les améliorations possibles, la première concerne les carrières longues, que le taux plein soit acquis dès que les annuités nécessaires sont réalisées, même si c'est en dessous de l'âge légal. C'est, à mon avis, le véritable débat que pourraient introduire les syndicats et personne ne leur donnera tort, car les actifs de carrière longue sont en quelque sorte des supercotisants, c'est-à-dire qu'ils auront beaucoup contribué à la répartition pendant leur vie active et ce serait normal qu'ils en soient récompensés.
Une autre piste d'amélioration est le calendrier, la date d'application de la réforme. En la mettant en application dès le 1er septembre 2023, elle va provoquer de profonds problèmes personnels pour les personnes qui avaient prévu de prendre leur retraite à la fin de l'année 2023 et qui devront la repousser de trois mois. Effectivement, ces personnes auraient pu préparer ce changement de vie à l'avance, par la vente ou l'achat d'un bien immobilier, un déménagement dans une autre région, le conjoint encore actif trouvant un emploi dans une autre région, etc. et le retour en arrière pourrait s'avérer, pour elles, très coûteux. Ces situations individuelles très concrètes, même si elles ne sont probablement pas très nombreuses, feraient que ces personnes seraient des victimes collatérales. Retarder son application de trois ou six mois ne paraîtrait pas financièrement déraisonnable.
Bien sûr, le vrai enjeu de cette réforme, c'est de pouvoir travailler en étant plus âgé. L'observation avec la réforme de 2010 a montré que le recul de l'âge légal de la retraite a fait augmenter le taux d'emploi chez les seniors. Il n'y a donc aucune raison que cela ne se poursuive pas avec cette réforme. Comme pour le partage du temps de travail, il n'y a pas un gâteau invariable à partager ; l'activité sécrète de l'activité.
Néanmoins, ce constat reste insuffisant si on ne veut pas remplacer le déficit des caisses de retraite par le déficit des caisses de Pôle Emploi. En d'autres termes, il y a une réflexion à mener pour augmenter l'emploi des seniors, probablement avec un système plus contraignant ou, du moins, plus incitatif que la simple publication d'un index de seniors.
Et de toute façon, cela ne résout pas le problème de pénibilité : des emplois difficiles, physiquement ou psychiquement épuisants, ne peuvent pas durer à des âges trop avancés. Au-delà de la difficulté de définir réellement la pénibilité (que je considère autant associée au métier qu'à la personne qui l'exerce, selon sa résistance physique ou psychique), il est nécessaire de proposer une reconversion pour quitter un emploi trop épuisant à un certain âge. Cette seconde vie professionnelle, qu'on pourrait aborder entre 45 et 55 ans, serait également la possibilité pour tout le monde de changer de vie. Elle nécessite beaucoup de formation et une situation de plein emploi où les tensions sur le marché du travail seraient favorables aux demandeurs d'emploi.
Avant 1981, l'âge légal de la retraite était 65 ans alors que l'espérance de vie était nettement plus basse qu'aujourd'hui et que le taux de personnes retraitées sur la population active beaucoup plus bas qu'aujourd'hui. Mais il y avait une différence de taille : le nombre d'annuités pour obtenir le taux plein était 37,5 ans. Ce qui signifiait qu'un étudiant qui avait fait des études longues ou même une mère de famille (soyons sexiste) qui avait arrêté sa vie professionnelle pour élever ses enfants pendant une dizaine d'années (voire plus) pouvaient quand même espérer une retraite à taux plein à 65 ans. Aujourd'hui, avant même la réforme d'Élisabeth Borne, avec 42 annuités, alors que beaucoup de jeunes arrivent tard sur le marché de l'emploi, soit qu'ils poursuivent des études longues, soit qu'ils peinent à trouver un premier emploi, l'âge de la retraite à taux plein signifiait généralement 66 ou 67 ans.
Au lieu de se focaliser sur l'âge légal de la retraite, les syndicats feraient mieux de se concentrer sur le rythme de la progression du nombre d'annuités et aussi sur les quelques pistes que j'ai exposées ci-dessus. Il y en a bien sûr d'autres et le gouvernement ressortirait donc grandi s'il acceptait quelques aménagements, et sans doute que ce sera le groupe LR qui l'imposera à la majorité présidentielle. Voici pour Éric Ciotti, nouveau président de LR, un bon moyen de rééquilibrer son image et celle de LR avec une composante sociale. Mais le veut-il lui-même ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 janvier 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Réforme des retraites 2023 : le projet du gouvernement est-il amendable ?
Dossier des retraites du gouvernement publié le 10 janvier 2023 (document à télécharger).
Conférence de presse de la Première Ministre Élisabeth Borne le 10 janvier 2023 à Matignon (texte intégral et vidéo).
Comprendre la réforme des retraites présentée par Élisabeth Borne ce mardi 10 janvier 2023.
Le non-totem d'Élisabeth Borne sur les retraites.
Le coronavirus supplante la réforme des retraites de 2019-2020.
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON