Xavier Bertrand et, pour la Fonction publique, Éric Wœrth et André Santini, respectivement ministre du Budget et de la Fonction publique et secrétaire d’État chargé de la Fonction publique, recevront prochainement les partenaires sociaux en vue d’une concertation. Un projet de loi sur les retraites sera élaboré et déposé au Parlement à la fin du premier semestre.
Sans attendre le déroulement de cette négociation, Nicolas Sarkozy a annoncé qu’une prime de 200 € serait accordée à chacun des 634 000 bénéficiaires du minimum vieillesse. Cette prime sera à valoir sur les revalorisations à venir, versée au début du second semestre 2008 et financée par le fonds de solidarité vieillesse (FSV).
Un coup de pouce, mais qui ne résoudra pas le problème de l’indexation du minimum vieillesse et des pensions en général sur l’indice des prix (augmentation minimale de 1,1 % des retraites alors que l’inflation a été de 2,6 % en 2007...). Une nouvelle annonce médiatique qui a la particularité, comme d’habitude, de laisser dans l’ombre le problème du financement et de la question du « qui paiera », car on peut considérer à juste titre que ce n’est pas aux régimes de retraite d’assumer une dépense de l’ordre de 120 millions d’euros. L’Etat doit prendre sa part de responsabilité et sans recettes nouvelles, cela voudra dire qu’on va se contenter d’allonger la durée de cotisations et comme la situation des seniors ne s’améliore pas, cela signifie à coup sûr que les retraites vont à nouveau baisser...
Et cette mesure, annoncée à la veille des municipales, ne s’applique évidemment pas aux 13 millions de retraités et pas davantage aux 3,5 millions de titulaires de petites retraites ni à d’autres prestations associées directement au minimum vieillesse (allocation supplémentaire invalidité, allocation adulte handicapé, rentes accidents du travail).
L’âge de la retraite et le niveau des pensions
Le rapport transmis par le ministre du Travail, Xavier Bertrand, au Parlement et aux partenaires sociaux, reste dans la parfaite tradition française. Il rappelle à nouveau la situation telle qu’on la connaît depuis de très nombreuses années, renvoie à l’examen ou le réexamen ultérieur de tel ou tel problème, fait référence à tel ou tel autre rapport précédent, etc.
Ce document indique que le rendez-vous de 2008 doit permettre notamment d’examiner l’ensemble des verrous qui font obstacle « au mouvement d’allongement des carrières », mais ne se prononce pas explicitement sur la question de la durée de cotisation. Il renvoie à la dernière projection du Conseil d’orientation des retraites (COR), selon laquelle « la durée d’assurance atteindra 164 trimestres en 2012 et 166 en 2020, compte tenu des dernières prévisions démographiques de l’Insee », soit 41 ans en 2012 et 41,5 ans en 2020. Quant aux mesures intéressant le niveau des pensions adoptées en 1993 et 2003 (calcul sur les 25 meilleures années de salaire, indexation sur les prix, objectif d’un taux de remplacement minimum de 85 % du Smic, etc.) elles devront faire l’objet d’un bilan...
Sur de nombreux points, ce rapport prête à sourire car le bilan est pourtant facile à faire pour qui veut analyser objectivement la situation.
A l’été 1993, la réforme « Balladur », passée complètement inaperçue des organisations syndicales, a modifié profondément le mode de calcul de la retraite :
- Les règles de calcul du salaire annuel moyen (SAM), anciennement calculé sur les 10 meilleures années de salaire, est calculé maintenant sur les 25 meilleures années. Le passage des 10 meilleures années aux 25 meilleures s’est déroulé progressivement sur les quinze années, de 1993 à 2008.
- L’indexation automatique des pensions, qui était basée sur l’indice d’augmentation du salaire moyen, est calculée maintenant sur l’indice Insee, datant de 1946 et ne reflétant pas la réalité de l’évolution des prix.
Ces deux points figurent parmi les causes principales de la baisse du montant des pensions mais les rapporteurs préfèrent les ignorer et indiquent simplement que cette situation fera l’objet d’un bilan ultérieur...
Quant à la réforme Fillon du 21 août 2003, avalisée par trois organisations syndicales faisant preuve, pour le moins, d’une très grande naïveté politique (CFDT, CFTC et CFE-CGC), elle avait fixé l’objectif d’assurer l’équilibre financier des régimes de retraite à l’horizon 2020, mais elle n’a pas produit les effets escomptés et a même aggravé la situation :
- Allongement progressif de la durée d’assurance pour obtenir une pension à taux plein de 50 % à 60 ans (41 ans en 2012, si nécessaire 42 ans en 2020)
- Réduction progressive à 5 % par année manquante d’ici 2013 de la décote en cas de liquidation avant 65 ans sans réunir les conditions du taux plein.
En théorie, le montant des retraites était censé ne pas diminuer, mais, en pratique, la réalité sociale est bien différente car la durée moyenne d’une carrière d’un salarié du secteur privé excède rarement 37 années. Au cours des dernières années avant la retraite, de nombreux salariés sont en effet au chômage, en préretraite ou en invalidité et n’arrivent donc pas à 40, 41 ou 42 annuités de carrière réelle.
Si la majorité des salariés n’arrivent pas à la durée de cotisation qui sera nécessaire (160, 164 puis 168 trimestres), pour obtenir une pension à taux plein, le niveau des pensions baissera alors dans des proportions considérables entre 2010 et 2040.
Avec ces deux réformes et celle des régimes complémentaires Arrco et Agirc de 1995 et 1996, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a estimé à 14 points la baisse du taux de remplacement du salaire net par la retraite nette entre 2000 et 2030, soit une diminution de 78 % à 64 %. Et encore, s’agit-il là du pourcentage pour les seuls salariés qui pourront travailler jusqu’à la date où ils auront le nombre de trimestres nécessaires au versement d’une retraite à taux plein !
Quand on sait que la France compte 2,9 millions de personnes considérées comme en difficulté sur le marché du travail, selon les normes du Bureau international du travail (BIT), plus de 7 millions de personnes pauvres, au sens des critères retenus par l’Union européenne (60 % du revenu médian, soit environ 817 € par mois), 3 350 000 personnes payées au Smic (1 280 € bruts), 4 500 000 personnes qui touchent un salaire inférieur à 1,3 Smic (1 664 € bruts), c’est avec frayeur qu’on imagine ce que représentera 64 % de telles ressources pour vivre !
Le redéploiement des ressources
Le rapport rappelle que le gouvernement souhaite aussi un réexamen des paramètres de financement de la branche vieillesse dans le cadre des travaux en cours sur l’assiette du financement de la protection sociale. Cette formule assez vague, déjà utilisée lors de la réforme de 2003, ne laisse en rien présager qu’un réexamen complet des paramètres de financement de la branche vieillesse sera au centre des négociations en 2008.
Car la cohérence voudrait qu’on aborde clairement le problème du mode de financement de la branche vieillesse, mais aussi celui de toutes les branches du régime général de la Sécurité sociale et des autres régimes spéciaux ou particuliers (agricole, non-salariés non agricole, artisans, commerçants, fonctionnaires, etc.).
Et les solutions existent pour en finir avec les sempiternels problèmes de financement, à condition de remettre à plat complètement l’assiette actuelle des cotisations, basée presque exclusivement sur les salaires.
Cette assiette est profondément injuste car les salaires servant de base aux cotisations de Sécurité sociale ne reflètent pas forcément la réalité des revenus déclarés à l’administration fiscale. Ces cotisations sont contestables également sur le plan de l’équité car le taux de 6,65 % est proportionnel et unique pour tous à la différence de l’impôt sur le revenu dont le taux est progressif. Et à cotisation égale, un point de cotisation assis sur le revenu fiscal rapporte beaucoup plus qu’un point basé sur le seul salaire.
Pour les cotisations des entreprises, le taux de cotisation de 8,30 % s’applique là aussi sur les seuls salaires et les sociétés de main-d’œuvre notamment, ayant une forte masse salariale, mais une faible valeur ajoutée, sont pénalisées par rapport à celles ayant une faible masse salariale et une haute valeur ajoutée. Les cotisations patronales pourraient donc être remplacées par une sorte de CSG entreprise basée sur la valeur ajoutée. Cette contribution existe déjà en germe dans l’actuelle contribution sociale de solidarité sur les sociétés (C3S), mais avec un taux très faible. Il suffirait simplement de substituer aux cotisations patronales sur salaires une C3S dont le taux serait à peu près multiplié par 40 par rapport à son taux actuel.
Ce financement nouveau pourrait servir enfin à payer des retraites minimales décentes qui ne devraient pas être inférieures au Smic. Il serait même possible de revenir à une retraite calculée sur les dix meilleures années comme cela existait avant la réforme Balladur de 1993 et de supprimer les cotisations instituées sur les retraites (CSG imposable, CSG non imposable, CRDS)
Il présenterait ainsi de nombreux avantages :
- le règlement définitif du problème du déficit de la branche vieillesse, voire celui des autres branches si ce système était généralisé, grâce à des rentrées financières plus importantes.
- un financement plus juste pour les salariés comme pour les entreprises.
- une déclaration fiscale obligatoire pour tous les Français qui participeraient ainsi, même modestement, à la solidarité nationale en faveur de la Protection sociale, y compris les personnes non imposables.
- un arrêt de la hausse régulière des taux de cotisations sur les salaires.
- un traitement identique pour tous : salariés du secteur privé, fonctionnaires, artisans, commerçants, professions libérales, chefs d’entreprises, etc.
A la différence de la France, dans d’autres pays, le revenu des retraités n’est pas considéré comme un revenu au rabais. Ainsi en Israël, par exemple, à l’âge de la retraite, les salariés israéliens touchent une pension équivalente au montant du dernier salaire. La France en est loin !
Mais une telle réforme du mode de financement est avant tout un « choix de société », encore faut-il en avoir la volonté politique en faisant appel dorénavant à la solidarité nationale. Le COR a même calculé que le retour à la durée moyenne réelle de 37,5 annuités de cotisation pour les salariés du secteur privé ne représenterait que 0,3 point du PIB annuel en 2040.
Et la situation financière du régime général est d’autant plus préoccupante que la part des salaires dans la richesse produite chaque année a baissé de 10 % en trente ans, ce qui accentue encore un peu plus les problèmes de financement.
Après avoir accordé un cadeau fiscal de plusieurs milliards d’euros aux personnes les plus aisées en 2007 et envisagé des pistes nouvelles de financement comme la TVA sociale, Nicolas Sarkozy et sa majorité présidentielle UMP-Nouveau Centre sont à des années-lumière d’un recours à l’impôt progressif républicain en lieu et place de cotisations sur les seuls salaires, voire d’un retour éventuel aux dix meilleures années pour calculer le niveau des retraites.
De plus, les travaux autour de la négociation 2008 sur les retraites seront coordonnés par le Premier ministre et le risque est grand de voir les propositions du gouvernement s’inscrire dans la continuité de la réforme Fillon
de 2003 : les salariés devront travailler plus longtemps, et si ce
n’est pas suffisant, les cotisations sur salaires seront augmentées, le
montant des pensions diminuant déjà de façon régulière depuis la réforme Balladur de 1993.
Le risque est grand également de voir les syndicats dits « réformistes », au premier rang desquels se trouve la CFDT et son secrétaire général François Chérèque, entériner un nouveau recul des droits des salariés, une baisse des pensions et/ou une hausse des cotisations.
Anticipation sans doute de la réforme à venir : de nombreux salariés ne se font plus guère d’illusion sur les effets d’une nouvelle réforme et ont tendance à partir dès qu’ils le peuvent par crainte d’un durcissement à venir de la législation de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) après la fin 2008...