Rénovation de la vie politique ou simulacre de modernisation ?
La campagne des présidentielles de 2007 a éte présentée par bon nombre de commentateurs politiques comme une campagne témoignant d’une modernisation et d’une rénovation de la vie politique. Renouvellement des générations, styles politiques nouveaux, rupture avec l’ordre ancien, incarnation plus « moderne » du pouvoir, etc, ont été les leitmotivs des médias. Est-ce si sûr ? S’agit-il d’une réelle modernisation (c’est-à-dire de pratiques politiques innovantes) ou d’un habillage habile d’idées et de pratiques qui n’ont rien de nouveau ? Bref, dit de façon plus prosaïque, n’a-t-on pas fait du neuf avec du vieux et n’assiste-t-on pas à une sorte de mystification sémantique ?
La modernisation est (implicitement) définie comme une indispensable adaptation aux réalités d’une économie ouverte sur le monde et aux contraintes liées à la mondialisation d’un capitalisme transnational, à la prise en compte des demandes de sécurité, des attentes de protection et des aspirations à l’ordre des Français et à l’application des modèles économiques en vigueur dans les pays anglo-saxons ou nordiques censés être plus pragmatiques et en phase avec les réalités économiques du monde actuel. Cette vision adaptative et mimétique de la modernisation me paraît insuffisante pour spécifier ce processus qui, à mon sens, pour mériter ce qualificatif devrait être porteur de valeur de progrès ou du moins d’une conception plus innovante et imaginative des usages du pouvoir, des valeurs sociétales, des pratiques démocratiques et des propositions programmatiques. Précisons ici qu’il ne s’agit pas de remettre en cause la prise en compte de la mondialisation de l’économie ni de l’adaptation au monde présent, mais d’alerter sur la facilité de langage qu’il y a à nommer modernisation des idées, des conceptions et des pratiques qui ne sont pas si nouvelles que ça et à user abusivement de ce substantif pour légitimer le bien-fondé d’une politique avec la force de l’évidence que ce qui est nouveau, donc moderne, est nécessairement bien et bon pour les Français. C’est pourquoi ce syllogisme entre modernité-nouveauté et progrès mérite d’être discuté.
Trois exemples vont illustrer ma réflexion pour tenter de démontrer cette apparente modernisation qui est, à mon avis, davantage une construction médiatique et un camouflage langagier qu’une réalité politique effective : 1/ le renouvellement des générations ; 2/ les conceptions du pouvoir et les valeurs idéologiques afférentes ; 3/ le discours politique.
1/ Le renouvellement des générations
Il en a été beaucoup question au cours de cette campagne. Mais plus qu’à un renouvellememt ce à quoi on a assisté c’est davantage à la fin de l’époque gaulliste et dans une moindre mesure mitterrandienne. Les quinquagénaires accédant au pouvoir ont été présentés comme le signe fort du renouvellememt des générations en politique. N’est-ce pas aller un peu vite en besogne ? N. Sarkozy est élu président à 52 ans (quand T. Blair part à 54 ans après 10 ans passé au pouvoir !) mais Valéry Giscard-d’Estaing l’était à 48 et L. Fabius premier ministre à 38. La « jeunesse » n’est donc pas une première en politique. Les 54 ans de S. Royal et les 55 ans de F. Bayrou ne doivent pas occulter le vieillissement de la classe politique et la difficulté pour les plus jeunes (mis à part quelques cas isolés) à accéder à des postes de responsables politiques au niveau local et a fortiori national (la moyenne d’âge des députés est de 58 ans...). Un véritable renouvellement des générations en politique passe par la création d’un véritable statut de l’élu avec notamment un âge limite d’exercice du pouvoir, une limitation des mandats dans le cumul et dans la durée et par l’ouverture à une représentation politique sociologiquement plus diversifiée (prise en compte de la diversité de la population en termes d’âge, de sexe, d’origine (étrangère) et de couches sociales car on sait bien que les dirigeants se recrutent principalement dans les classes aisées, les grandes écoles ou l’université).
2/ Les conceptions du pouvoir et les valeurs idéologiques
S. Royal et N. Sarkozy ont droitisé leurs systèmes de valeurs respectifs. La restauration conservatrice de Sarkozy (« Je veux remettre les bonnes valeurs au centre de la société ») et son bonapartisme, son obsession à liquider l’héritage des Lumières et de Mai 68 et le socialisme compassionnel et relationnel de Royal peuvent-ils être considérés comme des tentatives de modernisation de la vie politique ? A mon sens non. Sauf à considérer que le conservatisme de N. Sarkozy et le psycho-pouvoir moralisateur de S. Royal (M. Lacub) parcequ’ils sont en phase avec les demandes de retour aux valeurs morales traditionnelles suffiraient pour être qualifiés de modernes.
Les valeurs emblématiques de la droite (effort, ordre, autorité, respect, travail, réussite, mérite, récompense, fierté, risque, transmission etc) font références à ce que D. Eribon appelle la révolution conservatrice. On constate un mouvement similaire à gauche qui sous l’impulsion rétrograde de J.-P. Chevènement a remis au goût du jour les thèmes de la nation, les emblèmes républicains et les valeurs traditionnelles de travail et d’ordre familial. Où est le progrès et la modernité ? Sont-ils à rechercher dans la nostalgie d’un passé idéalisé et dans des valeurs pour le moins passéistes ou dans la construction de valeurs progressistes ? N’y-a-t-il pas une imposture intellectuelle à appeler modernisation une démarche qui convoque les valeurs du passé et fait référence à la France d’hier ? En quoi une référence constante au passé peut-elle être porteur d’avenir et de valeurs émancipatrices ?
N. Sarkozy s’affiche comme un libéral bonapartiste et un conservateur pragmatique et populiste Il souhaite un pouvoir concentré et présidentialisé à « l’américaine » Il s’appuie sur un grand parti conservateur (certes très habilement ouvert au centre) et cherche à débaucher des personnalités de gauche essentiellement par opportunisme tactique et calcul politique. Il s’inspire des valeurs traditionnelles de l’héritage chrétien dans le but de répondre à la soi-disante crise morale de nos contenporains et au non moins soi-disant déclin de la France. Il prône une droite décomplexée, affichant ostensiblement sans scrupules ni honte ses signes extérieurs de richesse, fière de son histoire et de ses valeurs, sans la moindre gêne dans l’appropriation voire la confiscation des figures historiques de la gauche. Son modèle du pouvoir est celui du chef et du mananger de la firme France avec des ministères découpés en holding pour davantage d’efficacité. La fascination pour le mouvement, l’obsession de l’action et de la rapidité (« je pars à fond et j’accélère »), le recours incantatoire et lancinant à l’optimisme volontariste, l’esprit de la gagne, la culture du résultat, la valorisation du talent, de la récompense et de l’argent, l’éloge du risque et de l’audace sont mis au service de la réussite individuelle et de l’enrichissement personnel. La logique est de favoriser la croissance (relance par l’offre) et l’efficacité écononique par une plus grande souplesse dans l’organisation du travail (remise en cause du code du travail et des protections sociales, déductions fiscales pour les classes les plus aisées). Voilà en résumé ce que nous propose notre nouveau président pour les cinq ans à venir. C’est pourquoi j’aimerais que l’on m’explique en quoi se lever tôt, travailler plus (défiscalisation des heures supplémentaires) et plus longtemps (allongement progressif de la durée des cotisations pour une retraite à taux plein) et s’endetter pour être propriétaire constituent réellement un progrès social ?
S. Royal défend un modèle social-démocrate néo-blairiste (quelle nouveauté après 10 ans de T. Blair à la tête du Royaume-Uni !). Si les propositions économiques sont assez représentatives de la gauche réformiste (relance de la croissance par la demande et conciliation de l’efficacité économique et de la justice sociale soit selon J.-C. .Pascal (délégué national du PS) ce qui revient à faire la « synthèse entre le réalisme économique, la crédibilité budgétaire, l’ambition sociale et le volontarisme public »), on doit cependant reconnaître à ce social-libéralisme le mérite et l’ambition de vouloir rénover les pratiques politiques démocratiques : insister sur le dialogue social, rechercher la contractualisation entre les partenaires sociaux, proposer une vision plus coopérative que conflictuelle des rapports sociaux, substituer une logique de la négociation à une logique de l’affrontement, mieux articuler le contrat et la loi. Tous ces éléments ont constitué effectivement des propositions fortes et novatrices pour vivifier la démocratie sociale. La portée du propos est malheureusement affaiblie par une présentation qui fait trop référence au discours naïf et angélique de la psychologie humaniste et relationnelle où la communication, les bonnes intentions, une écoute empathique et attentive et où la qualité et la confiance du dialogue seraient suffisants pour résoudre les difficultés, les antagonismes, les contradictions et les conflits. Proposer une méthodologie politique s’inspirant de la dynamique des groupes et des réunions-discussions est certes intéressant et sympathique (quoique la démarche ait parfois été plutôt confuse) mais ne doit pas exonérer son auteur de construire un projet politique clair, cohérent, lisible et crédible ce qui à la vue des résultats n’a pas été le cas.
3/ Le discours politique
Y-a-t-il une nouveauté dans le discours politique ? Les figures de rhétorique obligées (le discours politique est fait pour convaincre, persuader, il est toujours de nature assertive), les techniques de communication et de training télé, les stratégies issues du marketing publicitaire (études qualitatives, sondages ciblés en direction de populations segmentées selon des critères précis, électeurs considérés comme consommateurs d’un produit politique), les experts et de conseillers sont devenus des invariants de la communication politique moderne. Cela fait maintenant plus de trente ans que l’on parle de la société du spectacle en politique, du rôle de l’image qui prend de plus en plus d’importance dans le monde hypermédiatisé d’aujourd’hui et de la mise en scène du discours et du pouvoir politique ; ce qui est nouveau c’est seulement l’incarnation des figures du pouvoir en liaison avec la psychologie et la personnalité des protagonistes ; bref ce qui est inédit c’est le style des candidats (mais cette remarque vaut pour chaque élection présidentielle) car au fond le discours est toujours le même seul change le porteur du message.
S. Royal a choisi de soulager et de défendre les victimes. Elle a voulu incarner une figure maternelle infantilisante, tendre, protectrice, bienfaisante, faite d’amour, de compréhension et de compassion non exempte de sévérité et d’autorité : « La France a besoin de tendresse, elle en est tellement privée, ce qui est important c’est la manière dont nous nous aimons les uns les autres avec nos différences (...) Je serai une présidente protectrice, attentive, je vais bien m’occuper de vous. » (Brest le 4/05/07). Le message se veut messianique et évangélique (« dressez-vous dans la lumière ») et l’incarnation de la figure de l’immaculée dans le but de transfigurer la candidate en quasi-icône. Malheureusement pour S. Royal cette posture sacrificielle à la « Jeanne-d’Arc » a servi de repoussoir à l’identification entre la candidate et les électeurs et n’a pas permis la mise en place des phénomènes transférentiels positifs, conditions psychologiques indispensables pour déclancher le désir et l’envie et susciter l’adhésion à la personne. A trop jouer le rôle de la femme providentielle sans en avoir l’étoffe, l’éloquence et le charisme, à sursaturer sa campagne d’images pieuses (style vierge à l’agneau) et de bondieuseries en tous genres, à se vouloir le modèle jusqu’à la caricature de l’écoute bienveillante et de la participation empathique, à trop mettre en avant son image de femme, de mère et à se revendiquer d’une gauche nationale-familiale dans une vision spiritualiste et moralisatrice de la société la candidate socialiste à fini par donner une image peu attractive, « muséifiée » d’elle-même d’où sa fin de campagne calamiteuse et l’enclanchement d’une dynnamique dépressogène accentuée par les erreurs de son positionnement psychologique à contre-emploi lors de son débat face à Sarkozy (ton péremptoire voire comminatoire, arrogance et suffisance, maîtrise approximative des dossiers techniques etc). On connaît la suite...
Contrairement à S. Royal qui a misé sur les affects et les émotions, N. Sarkozy a tablé sur la raison, un langage transgressif briseur de tabous. Il a mis en scène avec un cynisme désarmant son propre modèle de réussite individuelle auquel chacun est convié à s’identifier positivement. Devant les maladresses, l’amateurisme et le flou programmatique de S. Royal, à l’inverse, N. Sarkozy a eu l’intelligence politique d’opter pour la figure du chef certes autoritaire et castrateur mais rassurant et intellectuellement clair et compréhensible (malgré des zig-zag idéologiques pour le moins audacieux et inattendus tant dans les références historiques- Blum, Guy Môquet, Jaurès, Gramsci que dans les symboles de la France choisis - Le Mont Saint-Michel, Colombey les Deux-Eglises, Verdun et le plateau des Glières). Volontarisme, activisme, optimisme inconditionnel professionalisme dans la communication, qualité des discours et de l’art oratoire, extrème habilité dans le maniement des figures de rhétorique du discours politique (cf. sur cette question les pertinentes analyses du linguiste J. Véronis sur Avox) ont conduit au résultat que l’on sait...
Alors, époque nouvelle ou pas ? Rappelons-nous J. Chaban-Delmas et sa « nouvelle société » en1969, Valéry Giscard-d’Estaing et son ambition de modernisation : « On rentre aujourd’hui dans une ère nouvelle » en1974, de F. Mitterrand qui affichait comme slogan « le changement » en1981, le « parler vrai » de M. Rocard en 1988 et la liste pourrait être déclinée à chaque cycle politique. C’est fou comme la volonté de modernité est de tous les temps politiques !
Patrick Allonneau. Rouen.
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