La réforme des retraites promettait d’être un moment difficile pour cette majorité arc-boutée sur son bloc élitaire, sourde aux classes populaires, arrogante et donneuse de leçons, surtout après la fronde des Gilets Jaunes qui a révélé que son profond rejet est majoritaire. Mais à tout cela, les marcheurs ont ajouté amateurisme et communication effarante, comme le montre la démission de Delevoye.

Les sous-doués oligo-libéraux charcutent nos retraites
Bien sûr, l’Elysée espère probablement que le mouvement de grêve s’éteindra de lui-même,
peut-être après avoir conclu un accord avec la CFDT, et il est vrai que les grévistes n’auront pas forcément les moyens de poursuivre leur mouvement longtemps. Mais le rejet tellement viscéral que la macronie provoque représente aussi un terreau fertile pour une contestation plus dure et longue qu’attendue. Le corps social est hautement inflammable et
les intimidations contre des élus marcheurs, ou leur famille, aussi critiquables soient-elles, sont révélatrices d’un climat explosif. Pire, on ne peut pas dire que la majorité le gère bien, même ses soutiens médiatiques habituels relevant sa mauvaise gestion.
La présentation du projet était assez extravagante. Pour le coup, certains humoristes ont vu juste, notant le ton social du Premier ministre, combiné à un discours sur la responsabilité, dans un « en même temps » très macronien. Mais cette équipe n’a aucune crédibilité sociale. Les 1000 euros de retraite minimum sont un progrès limité,
qui avait déjà été voté en 2003 mais non appliqué, et les conditions prévues en limiteraient largement l’impact. Les régimes spéciaux représentent un bouc émissaire commode, mais on peut aussi contester le principe même d’un régime taille unique pour des emplois très différents. En outre, cela ne bouleversera pas les équilibres, et surtout cela permet aussi d’habiller un recul global des prestations d’un discours de « justice » néolibérale, d’alignement par le bas…
Car comme le note bien Henri Sterdyniak, cette réforme consiste d’abord à une réduction des droits par un allongement de la durée de cotisation. Cela pourrait éventuellement se défendre, mais l’habillage et la complexité du système rendent le tout suspect. En outre, le gouvernement semble prêt à réinstaurer des régimes spéciaux quand une population clé s’oppose,
comme nous l’avons vu avec les policiers, pour qui ce gouvernement, qui en a tant besoin, a rapidement cédé. Et
dans le cas d’une profession comme celle des professeurs, cela provoque une très juste révolte, étant donné que cette profession est déjà particulièrement mal traitée, comme le montrent toutes les études internationales. Enfin,
il faut noter, comme Piketty, que cette réforme sort du cadre commun les revenus au-delà de 10 000 euros par mois, probablement pour faire de la place aux régimes de retraite par capitalisation…
Plus globalement,
le discours financier est battu en brèche par certains économistes, Henri Sterdyniak ayant souligné que les hypothèses du COR sont contestables : baisse du nombre de fonctionnaires (alors qu’il en manque dans bien des domaines), non compensation de certaines exonérations de cotisations, allant jusqu’à parler de «
déficit imaginaire et fabriqué »… En outre,
il faut noter qu’à partir de 2024, la dette de la Sécurité Sociale, financée à hauteur de 24 milliards par an par la CRDS, sera remboursée, ce qui libèrera ces sommes dont une partie pourrait être utilisée pour le financement de la Sécurité Sociale. En outre, il y a des moyens de sortir de la logique de baisse des prestations, que ce soit par la réduction de notre déficit commercial ou la refonte des moyens de financement (TVA sociale).
Au global, cette réforme porte trop de stigmates pour calmer la contestation. Comme avec les gilets jaunes, le président voudra tourner la page avec quelques concessions, en pariant sur l’épuisement du mouvement. Mais ce pari pourrait être optimiste.
En n’appliquant la réforme que pour les générations nées à partir de 1985 pour les conducteurs, elle n’en concerne que 22%, (contre 39% des agents, ceux nés à partir de 1980) et malgré tout, la mobilisation dépasse largement le cadre de ceux qui sont concernés car les manifestants et grévistes se mobilisent pour les autres. En somme,
Macron fait le pari de l’égoïsme, mais des personnes qui n’ont rien à perdre sacrifient leur salaire pour protester contre la réforme. Ce faisant, contrairement aux dires des éditorialistes en marche, ceux qui se mobilisent aujourd’hui le font souvent pour défendre les intérêts des autres, l’intérêt général en somme, malmené par Macron.
Merci donc à vous tous qui vous mobilisez aujourd’hui contre cette mauvaise réforme, décalque paresseux de la grande régression sociale produite par la globalisation et qui sévit dans les pays pourtant dits développés, qui ne se rendent même pas compte que cela déconstruit leur développement. Macron compte sur l’usure pour gagner mais son comportement et celui de son équipe est tellement détestable qu’il aurait tort de sous-estimer la mobilisation qu’il peut susciter contre lui.
Comme le dit Natacha Polony dans Marianne, le problème dans cette crise, c’est Macron.