Riposte Laïque : la grande dérive des laïcards
On dit souvent que les hommes politiques commencent leur carrière à l’extrême-gauche et la finissent , disons, nettement plus à droite. C’est aussi souvent le cas des organisations et des idéologies. Tous ceux qui se sont penché sur les dérives nationalistes du national-bolchevisme russe, ou, plus près de nous, sur la course à l’abîme « antisionniste » d’un Alain Soral ou d’un Dieudonné ne peuvent qu’en convenir. Les dérives droitières ne sont, cependant pas l’apanage des soldats perdus du stalinisme. Elles font aussi des ravages dans ce qui avait été autrefois une forteresse progressiste : le mouvement laïque.
A la fin du XIXème sicle et au début du Xxème, le mouvement laïque, dans toutes ses composantes, a joué un rôle fondamental dans la construction de la société de liberté, certes éminemment perfectible, où nous vivons aujourd’hui. Ses membres, qui d’ailleurs étaient d’horizons fort variés, ont pu avoir des positions que nous jugerions aujourd’hui réactionnaires mais celles-ci ne peuvent se juger que dans le contexte de l’époque. Si le refus du mariage homosexuel et l’opposition farouche à toute forme de diversité culturelle étaient aussi détestables en 1905 qu’ils le sont aujourd’hui, ils étaient à ce point répandus que, sauf à brûler tous les livres publiés avant les années 70, nous devons apprendre à en faire abstraction et, tout en les rejetant, ne pas les laisser nous éloigner du véritable héritage, humaniste et tolérant, de Jaures et Ferry.
Le problème c’est que le mouvement laïque a gagné. Non seulement il a obtenu la séparation des églises et de l’État, mais il a fait perdre à l’Église sa position centrale dans la société. Des prélats catholiques peuvent continuer à enseigner en Alsace ou dans l’une ou l’autre de ces colonies dons nous ferions d’ailleurs bien de nous débarrasser, mais même les plus obtus des intégristes ne croient plus au retour du monde catholique et royal qui prévalait avant la Révolution. La réaction et l’obscurantisme fleurissent toujours au Vatican – la dernière encyclique papale où on nous explique fort benoîtement qu’il n’y a ni moralité ni salut en dehors de l’Église nous le rappelle fort opportunément – mais il prêche dans des églises vides à des ouailles qui l’écoutent à peine.
Le catholicisme européen ressemble beaucoup au paganisme des dernières heures de l’Empire Romain, nourri d’habitudes et de pesanteurs culturelles plus que de foi, et son chef fait plus penser à un Julien l’Apostat acharné à défendre un ordre qui n’existe déjà plus qu’à un Saint-Paul ou un Saint-Martin.
Le mouvement laïque aurait dû se fondre dans une société qu’il a très largement façonné et disparaître en tant que tel, comme l’a fait le mouvement anti-esclavagiste et celui pour le droit de vote des femmes. Ses membres auraient alors pu consacrer leur énergie à combattre des ennemis vraiment menaçant et à faire avancer des causes qui en avaient encore besoin. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait pour la plupart. Un noyau dur est resté, cependant, à combattre un cléricalisme de plus en plus évanescent... et à dériver de manière de plus en plus affirmée vers un "républicanisme" autoritaire et intolérant.
Les fantômes de la Libre-Pensée
Longtemps le rôle de poste avancé de l’arrière-garde laïcarde fut tenu par la Fédération Nationale de la Libre Pensée. La Vieille Maison avait été, jusqu’en 1905 à la pointe du combat pour les libertés. Une fois celui-ci gagné, cependant, elle s’est laissé enfermer dans un discours volontairement provocateur et blasphématoire qui, s’il n’a rien de condamnable en démocratie, n’en traduisait pas moins un manque criant de perspectives et de projet. Ce discours a d’ailleurs parfois fait plus que franchir les limites du bon goût. Lorsque, par exemple André Lorulot écrit en 1911 "Il n’est pas superflu en nous reportant dix ans en arrière de nous rappeler l’attitude et les paroles de certaines fractions très avancées des partis politiques de l’époque. Avec quelles tirades enflammées, avec quels programmes chambardeurs n’est-on pas parvenu à embrigader la masse ouvrière et à la pousser en avant ; pour sortir du bagne un grand capitaine, juif et millionnaire" (fusilleurs et fusillés) ou en 1934 "Et il resta 12 paniers de morceaux de pain dont personne ne voulut, ce qui est peu vraisemblable.
Ces 5 000 Juifs n’auraient pas manqué de remplir leurs poches avec le supplément" (La Vie de Jésus Illustrée) le lecteur d’aujourd’hui est en droit de ressentir un certain malaise.
La Seconde Guerre Mondiale, à l’approche de laquelle la Libre Pensée avait publié un tract appelant à la "Paix Immédiate", a heureusement mis un terme à ces dérives. Ce qu’elle n’a pas enrayé cependant, c’est le lent déclin d’une organisation qui a largement perdu sa raison d’être.
Appelant à voter "non" au référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel et s’opposant au compromis finalement adopté en 1959 entre la nécessaire liberté de l’enseignement et la tout aussi nécessaire neutralité de l’État en matière religieuse, l’organisation poursuit une existence de plus en plus diminuée jusqu’à sa prise de contrôle par le courant lambertiste dans les années 90.
La Fédération Nationale de la Libre Pensée donne aujourd’hui l’impression d’une organisation terne et poussiéreuse, luttant contre la suppression de la mention "République Française" sur les timbres en généralisant des "banquets du Vendredi Saint" où l’on mangera gras pour rappeler aux jeunes générations qu’il y avait un temps ou les musulmans n’étaient pas les seuls à jeuner. Son idéologie est celle de la Troisième République, avec son mélange de patriotisme, d’autoritarisme et de tradition radicale-socialiste. Ses références, ce sont Gambetta et Clémenceau, avec parfois Lénine en invité d’honneur, histoire de se rappeler que c’est au siège du POI que les décisions se prennent.
Reste que malgré son provincialisme la Libre-Pensée a rejeté les tentations antisémites d’avant-guerre et n’a jamais succombé aux sirènes islamophobe. Elle mérite sans doute que nous la laissions s’éteindre en paix... et regretter que tout le monde n’ai pas suivi son exemple.
Riposte Laïque
C’est alors qu’entre en scène Riposte Laïque. Ce journal en ligne n’est évidement pas sorti du néant. Il trouve son origine dans l’échec de l’ultime tentative d’un mouvement laïque replié sur son noyau dur de remettre en cause l’existence de l’école privée. Après le retrait des Lois Savary en 1984, nombre de militants quitteront un Parti Socialiste où ils ne se retrouvent plus. Il créeront un certain nombre de groupuscules plus ou moins éphémères qui finiront par se fondre dans la Coordination Nationale de la Gauche Républicaine et de retourner, pour une partie d’entre eux, au PS après l’échec du MRC.
Parmi ces groupes on trouve Initiative Républicaine, animée par Bernard Teper qui créera le journal en ligne Respublica. L’idéologie de ce journal était – et est toujours – assez représentative de ce que l’on appelle généralement la Gauche Républicaine, combinant une dénonciation virulente du "turbo-capitalisme" avec un nationalisme ombrageux, hostile à tout ce qui pourrait "diviser" le "peuple" – comprenez tous ceux qui n’ont pas la même culture ou les mêmes moeurs que la majorité de la population – mais sans véritable xénophobie.
Respublica a eu un certain succès, mais, comme souvent avec le républicanisme, ce succès était bâti sur ambiguïté, son audience mêlant des laïcs traditionnels, autoritaires mais peu suspects de complaisance vis-à-vis de l’extrême-droite et des xénophobes qui voyaient dans la laïcité un paravent commode pour leur haine de tout ce qui est différent.
Cela ne pouvait tenir et cela ne tint pas.
En 2006 éclata l’affaire Fanny Truchelut, du nom de cette habitante des Vosges qui a refusé l’entrée des partie communes de son gite à une femme voilée. La discrimination était manifeste et elle a été justement condamnée par la justice comme par la plupart des laïcs. Certains cependant ont décidé de joindre leur voix à celle de l’extrême-droite villieriste et de la soutenir dans son combat.
La polèmique a vite provoqué un schisme dans la rédaction de Respublica – schisme dont le journal en ligne ne s’est d’ailleurs jamais vraiment remis – dont une partie a fait scission pour créer un autre journal Riposte Laïque, dont l’audience est vite monté en flèche, atteignant en 2009 environ 30.000 abonnés. L’objectif était officiellement de "créer un nouveau média plus spécifiquement ancré dans la priorité du combat laïque." Il est vite apparu que ce combat laïque était très orienté, puisque l’écrasante majorité des articles de Riposte Laïque sont consacrée à l’Islam.
Que l’islamisme doive être combattu, c’est une évidence, comme doivent être combattus tous les fondamentalismes qui veulent imposer leur loi à la société. Le problème c’est que Riposte Laïque n’est pas sur cette ligne-là. Ce qu’elle refuse c’est la présence visible de l’Islam sur le territoire français. Ainsi le 27 avril 2009, un certain Maurice Vidal s’indigne-t-il de ce que "La France est devenu le pays de la course aux mosquées. On dirait que les maires se bousculent pour être les chevaliers servants de l’islam ! " avant d’ajouter "L’inconvénient, c’est que lorsque tout est possible, les scénarios catastrophes le sont aussi, et, n’en déplaise à quiconque, la France des mosquées en est un !"
Évidemment on pourrait se demander si la France des Mosquée serait moins détestable que la France des Églises. La réponse est simple et vient un peu plus loin dans le texte
"nous continuons à ancrer l’Europe dans l’islam en en matérialisant la présence par la construction de mosquées. Mais ne comprendrons-nous jamais qu’il y a dans cette exigence musulmane de constructions de mosquées la volonté affichée de notre éradication culturelle ? Quand les mosquées seront la Charte de la nouvelle Europe, que sera donc l’Europe ?
Les minarets ne sont-ils pas déjà les marqueurs idéologiques d’une Europe revue et corrigée par les musulmans ? Quelle autre religion exige sans cesse la construction de lieux de culte ? Quelle autre religion se pense en termes d’implantation territoriale ?"
Un wiccan pourrait faire remarquer que tous les villages de Bretagne ont une église, et qu’elles aussi sont des marqueurs idéologiques qu’il faudrait supprimer... sauf que les wiccans sont tolérants. Le fond du problème est ailleurs, cependant. Ce que dit Maurice Vidal, et il est représentatif de l’idéologie Riposte Laïque, c’est que l’Islam est, par nature, étrangère à l’Europe et qu’elle doit en être chassée. C’est de l’islamophobie à l’état pur, en même temps qu’un déni de la liberté des européens à suivre la religion de leur choix, et donc également l’Islam (ou la Wicca, le Shintoisme ou le Bouddhisme Theravada).
On peut ne pas être d’accord avec les principes de l’Islam – c’est d’ailleurs mon cas. Dénier à cette religion, ou à toute autre religion, le droit d’exister sur le sol français, relève, cependant d’une toute autre logique, et cette logique n’a rien à voir avec la gauche, ni même avec la démocratie.
Il n’est donc pas étonnant que les textes de Riposte Laïque se retrouvent régulièrement à la une de tout ce que la Toile compte de brûlot d’extrême droite, ni qu’elle soutienne le populiste hollandais Geert Wilders. Ce dernier s’est surtout fait connaître pour son film islamophobe Fitna, mais c’est aussi un ultra-libéral, admirateur de Margaret Tatcher, référence qui en dit long sur l’attachement de Riposte Laïque à ce qui devrait être la pierre de touche du progressisme : la question sociale.
A cette pierre de touche s’en ajoute une autre : l’immigration. Riposte Laïque est en effet opposée à l’immigration avec des arguments qui rappellent non pas ceux du Front National, mais bien ceux des Identitaires. On peut, sans sortir du monde démocratique, être favorable à une gestion raisonnée des flux migratoires, mais lorsque l’on qualifie, comme Guylain Chevrier, les sans-papiers de "Cheval de Troie de la Mondialisation" avant d’ajouter :
On connait déjà les effets d’une immigration continue dans notre pays dans un contexte économique de crise, avec une intégration dont les conditions ne sont pas réunie et les problèmes que cela pose à notre vivre ensemble qui se dégrade, incluant le développement de ghettos. L’immigration d’origine sub-saharienne n’a cessé de se développer depuis trente ans, dont quatre vingt pour cent vient du Mali, marqué par la polygamie, les mariages arrangés (forcés au pays), sans aucune contraception interdite par leur religion, poussant à la multiplication des enfants dans ces familles. Nous sommes dans bien des quartiers populaires à la limite de l’explosion en raison des déséquilibres ainsi créés, et on voudrait encourager à un nouvel appel d’air de l’immigration clandestine par des régularisations massives de sans-papiers qui verraient-là une voie royale ?
C’est qu’on se situe fort loin du progressisme et que l’on navigue déjà dans les eaux troubles de l’extrême droite. Il suffit d’ailleurs pour cela de comparer deux textes, l’un de Riposte Laïque, l’autre de Jeune Bretagne, un groupuscule d’extrême droite lié aux Identitaires. Je laisse au lecteur le soin de déterminer qui est qui.
Ceux qui, sous couvert de compassion larmoyante à la façon du crocodile ou d’humanisme affiché d’autant plus haut qu’il est hypocrite, font tout pour faire s’installer en France ces illégaux ne sont, en fait, que les alliés objectifs des potentats qui gèrent l’économie libérale, à l’échelle de notre pays, de l’Europe, du Monde, qui veulent maintenir le taux de profit maximum pour leurs investissements, qui organisent la libre circulation des biens, des capitaux, des services, de la main d’œuvre, qui préparent l’Europe politique « communautarisée » et gèrent la mondialisation « libérale »…
A l’heure de la crise globale que nous connaissons, beaucoup de chômeurs (...) souhaiteraient également pouvoir travailler dans les abattoirs de Montfort, et faire vivre leurs familles. Ils sont, au grand bonheur du patronnat, mis en concurrence avec une main d’oeuvre surexploitée, et peu coûteuse, qui évidemment, leur passe devant
Loin de la propagande sentimentaliste instrumentalisée par les associations de gauche, toujours excellentes dans leur rôle de pleurnicheuses patentées, nous exigeons de la justice d’être rationnelle, et , comme son nom l’indique, juste, et cela surtout envers nos enfants, et nos petits enfants, qui paieront il est certain, la politique laxiste de ces dernières années en matière d’immigration.
La conclusion s’impose d’elle-même. Riposte Laïque écrit effectivement une nouvelle page dans l’histoire du mouvement laïc, mais ce n’est pas une page glorieuse. Elle ne parle pas de lutte pour la liberté, mais de réaction, d’intolérance et de repli identitaire. Il a déjà plus ou moins soutenu le très droitier Dupont-Aignan. Gageons qu’il ira un jours plus loins. Les dérives ne peuvent se terminer que de deux manières : sur les récifs ou dans la fange.
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