RN : le sacre du chouchou en pleine polémique raciste
« Je ne peux qu’y voir un rabougrissement, et j’espère que le Rassemblement national (…) n’est pas en train de céder au grand "compromis nationaliste", cette stratégie d’union des droites radicales, qui a échoué à la présidentielle, plutôt que de l’ensemble des patriotes de droite comme de gauche. (…) Il n'y a pas que l'immigration et l'identité, il faut parler des problèmes du quotidien et des problèmes sociaux. » (Steve Briois, le 5 novembre 2022).
L'accélération des procédures a été une catastrophe médiatique pour le Rassemblement national qui tenait son 18e congrès ce samedi 5 novembre 2022 à la Mutualité de Paris. En effet, alors que cette journée devait être la consécration de la respectabilité du parti fondé par Jean-Marie Le Pen il y a cinquante ans, l'un des ses plus importants députés Grégoire de Fournas a été très sévèrement sanctionné par le bureau de l'Assemblée Nationale puis par l'ensemble de la représentation nationale la veille, le 4 novembre 2022 (j'y reviendrai).
La respectabilité, c'est juste un vernis sur une idéologie extrémiste qui n'a au fond jamais varié depuis un demi-siècle : le bouc émissaire de tous nos maux sont les étrangers, immigrés, extra-européens, et il n'y a pas loin entre la xénophobie et le racisme (car à ma connaissance, les immigrés suédois n'ont jamais été fustigés par ce parti). Dans le cas de cette polémique parlementaire, celui qui a été lourdement sanctionné Grégoire de Fournas aurait dû être nommé porte-parole du RN de Jordan Bardella, dont la victoire ne faisait aucun doute, dans la nouvelle direction du parti. Pour le RN, c'était donc un soulagement que le député ait fait cette embardée avant d'être nommé, car ainsi, il ne représentait pas ès qualités le RN (même si le groupe RN s'est complètement solidarisé).
Revenons donc à ce congrès très politique. Marine Le Pen, réélue présidente du RN au précédent congrès le 3 juillet 2021 à Perpignan et qui avait succédé à son père le 16 janvier 2011 à Tours (face à Bruno Gollnisch), avait démissionné temporairement de cette présidence le 13 septembre 2021 pour se consacrer pleinement à la campagne présidentielle. En tant que premier vice-président, Jordan Bardella avait assuré l'intérim, et le 21 juin 2022, Marine Le Pen a confirmé qu'elle démissionnait définitivement de la présidence du parti pour se consacrer pleinement à la présidence du groupe des 89 députés RN à l'Assemblée Nationale. Et cela lui permet aussi d'être moins tributaire des petites bricoles partisanes.
Le congrès avait donc un enjeu pas ordinaire : qui sera le successeur de Marine Le Pen, et par conséquent, le successeur de Jean-Marie Le Pen ? Deux candidats se sont présentés : Louis Aliot et Jordan Bardella. L'un proclamait : "Tout commence", tandis que l'autre se réjouissait : "On continue". Pour Louis Aliot, il était évident qu'il fallait laisser la présidence à celui qui, dans ce parti, avait réussi à se faire élire au poste d'exécutif le plus important de l'histoire du parti, la mairie de Perpignan en juin 2021.
Louis Aliot, à 53 ans, a déjà un long passé de militant du FN/RN auquel il a adhéré en 1990 (à l'âge de 21 ans). Son accent du Sud-Ouest le fait présenter comme un représentant de la France provinciale, celle des territoires, en opposition avec la France de Paris et de la région parisienne que Jordan Bardella pourrait symboliser d'autant plus que ce dernier est lisse et le premier rugueux. Il a été secrétaire général du FN de 2005 à 2011, vice-président du FN de 2011 à 2018 et depuis 2021 (premier vice-président dans les années 2010). Conseiller régional de 1998 à 2015, il a été élu député européen de mai 2014 à juillet 2017, puis député national de juin 2017 à août 2020 (à ce titre, il a joué au rugby avec Alexis Corbière), enfin maire de Perpignan depuis juillet 2020. Par ailleurs, ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen en 1999 et 2000, ancien collaborateur parlementaire de Marine Le Pen en 2011, il fut également son compagnon entre 2009 et 2019 selon Wikipédia.
Jordan Bardella est beaucoup plus jeune que Louis Aliot, il est carrément de la génération d'en dessous (il pourrait être son fils). À 27 ans, il a également déjà une longue vie de militant, adhérant à 17 ans au FN. Conseiller régional d'Île-de-France depuis décembre 2015, il a mené la liste nationale du RN aux élections européennes de mai 2019, qui a obtenu la première place avec 23,3% juste devant celle de Renaissance, et est ainsi élu député européen. Tête de liste aux élections régionales de juin 2021 en Île-de-France, il a fait un score médiocre (10,8% au second tour). Battu aux élections départementales à Tremblay-en-France en mars 2015, il a par ailleurs été candidat aux élections législatives en juin 2017 en Seine-Saint-Denis et a été éliminé dès le premier tour. Au sein du FN/RN, il a rapidement gravi les marches : collaborateur parlementaire de Jean-François Jalkh en 2015, il a été nommé porte-parole du FN en septembre 2017, puis directeur national du mouvement des jeunes FN entre mars 2018 et juillet 2021. Après avoir été choisi par Marine Le Pen pour mener la campagne des européennes en 2019, il a été bombardé vice-président du RN en juillet 2019, premier vice-président en juillet 2021 et président par intérim à partir de septembre 2021.
Marine Le Pen a annoncé les résultats du vote qui a été clos le 3 novembre 2022. Sur 36 673 adhérents inscrits, 26 218 ont participé au vote, soit 71,5%. Sans surprise, Jordan Bardella a gagné, avec 22 130 voix, soit 84,8% contre 3 955 voix (15,2%) à Louis Aliot. Marine Le Pen a donc accueilli son successeur comme président du RN, Jordan Bardella. Est-ce à dire qu'il n'y a plus de Le Pen à la tête du RN ? C'est un peu rapide en conclusion, car c'est bien encore le clan Le Pen qui est à la tête du RN même si c'est une génération plus jeune. En effet, après avoir fréquenté la fille de Frédéric Chatillon, ancien président du GUD (mouvement d'extrême droite) et très proche de Marine Le Pen, il est depuis 2020, toujours selon Wikipédia, le compagnon de la nièce de Marine Le Pen, à savoir, la fille de Marie-Caroline Le Pen (la sœur aîné, qui avait suivi Bruno Mégret lors de la sécession en 1998) et de son ancien conjoint Philippe Olivier qui est député européen depuis 2019 et tenant de la ligne identitaire du parti, comme du reste Jordan Bardella.
Au-delà du président, c'est toute la direction du RN qui a été renouvelée. 100 membres du conseil national ont été élus ou réélus, en particulier : Sébastien Chenu, David Rachline, Marie-Caroline Le Pen, Steve Briois, Julien Odoul, Edwige Diaz, Laurent Jacobelli, Philippe Ballard, Jean-Lin Lacapelle, Julien Sanchez, Bruno Gollnisch, Wallerand de Saint-Just, Hélène Laporte, Laure Lavalette, Bruno Bilde, Ludovic Pajot, Philippe Olivier, José Gonzalez, Emma Minot, etc. 20 autres membres ont été nommés par Jordan Bardella, en particulier : Jean-Paul Garraud, Thierry Mariani et Jean-Philippe Tanguy.
Un bureau national a été choisi par le président mais sans beaucoup de pouvoirs. La vraie instance directive est le bureau exécutif qui est ainsi composé notamment de Jordan Bardella (président), Louis Aliot (premier vice-président), David Rachline, Hélène Laporte, Edwige Diaz et Julien Sanchez (quatre autres vice-présidents), et parmi les membres, Marine Le Pen, Jean-Paul Garraud, Sébastien Chenu, Philippe Olivier, etc.
Je m'arrête sur une caractéristique intéressante qui est observable dès 2017 chez LREM/Renaissance et chez FI/Nupes et qui est aujourd'hui aussi observable au RN : la capacité à des militants très jeunes trentenaires (voire avant) de devenir députés et aussi responsables nationaux dans leur parti. Ces trois partis autour desquels le jeu politique et présidentiel tourne depuis 2017 (avec Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, chacun représentant une génération, années 1970, années 1960 et années 1950), ont apporté un vent de renouvellement indéniable en renversant le paysage politique qui a prévalu pendant au moins quarante ans si ce n'est depuis le début de la Cinquième République, à savoir l'UDF/RPR-UMP-LR et leurs alliés d'une part, et le PS et leurs alliés d'autres part. Certes, il y a eu aussi du renouvellement dans ces anciens partis gouvernementaux, en confiant des investitures parfois à des très jeunes (je pense à Robin Reda par exemple chez LR en 2017), mais c'est relativement rare et plutôt l'exception alors qu'il y a de très nombreux députés très jeunes chez LREM/Renaissance, FI/Nupes et FN/RN. Notons d'ailleurs qu'avant septembre dernier, trois jeunes parlementaires se sont fait remarquer par leur ambition d'être un jour les dauphins : Aurore Bergé à Renaissance, Adrien Quatennens à FI et Jordan Bardella au RN. Adrien Quatennens a visiblement des empêchements, et Jordan Bardella est désormais le chef du RN (quant à Aurore Bergé, elle préside le groupe Renaissance, ce qui n'est pas une mince affaire quand on a une majorité relative). Le saut à la génération des années 1990 va faire vieillir ceux de la génération des années 1970 et des années 1980 qui espèrent encore nourrir une ambition nationale.
Au moment où ces annonces sur les organes de direction ont été faites, en fin de matinée du 5 novembre 2022, Steve Briois, quatrième mieux élu du RN, maire d'Hénin-Beaumont, a exprimé sa grande amertume contre la victoire de Jordan Bardella, en raison de son éviction du bureau exécutif et de la vice-présidence, alors qu'il a été premier vice-président, secrétaire général (la fonction a été supprimée) et même président par intérim. Steve Briois est apparu comme un frondeur, ainsi que Martin Bilde, tous les deux souhaitant conserver la ligne ni droite ni gauche du FN des années 2010, rejetant le "rabougrissement" d'une éventuelle alliance des droites radicales qui ne marcherait pas.
La colère était palpable : « Alors que depuis de nombreux mois je tire la sonnette d’alarme sur une potentielle re-radicalisation, je ne peux voir dans mon éviction qu’une sanction pour avoir voulu sensibiliser sur un phénomène que les faits confirment, depuis les ronds de jambe faits à certains intégristes, jusqu’à l’adoption de positions droitardes, contraires à mon sens au "ni droite, ni gauche" qui a prévalu pendant des décennies au Front national. Certaines outrances me donnent encore raison. ». Les outrances font référence à Grégoire de Fournas.
Les mots sont durs, très amers, et montrent un véritable clivage au sein du parti, entre ceux qui, comme Jordan Bardella, souhaiteraient se rapprocher de l'extrême droite identitaire et tenter de faire revenir ceux qui sont partis chez Éric Zemmour, et ceux qui veulent absolument séduire une partie de la gauche désabusée (à l'instar de Florian Philippot qui a quitté la maison). Du reste, Jordan Bardella continue de voir régulièrement Marion Maréchal malgré son éloignement politique.
L'effondrement de la respectabilité avec l'incident à l'Assemblée Nationale et la sanction disciplinaire qui a suivi, la plus dure prise (seulement un autre député a été sanctionné aussi sévèrement depuis 1958 !), renforcé par la prise de pouvoir de la tendance clairement identitaire et extrémiste de droite, va sans doute engendrer d'autres mouvements d'humeur que celui de Steve Briois, peut-être de nouvelles scissions comme cela se passe dans ce parti dès qu'une ligne semble être sortie d'une certaine ambiguïté idéologique.
Pour Marine Le Pen, quitter la présidence du RN lui permet de s'attacher une image plus consensuelle et moins autoritaire, d'autant plus que les convictions très fortes de Jordan Bardella pourrait faire l'office de l'outrance d'Éric Zemmour pendant la campagne présidentielle ou de celle des députés de la Nupes depuis le début de l'été, à savoir un recentrage relatif de Marine Le Pen, élément capital si elle veut un jour séduire au moins 50% des Français. Il restera avant la présidentielle de 2027 l'épreuve des européennes de 2024 où il faudra au moins récidiver l'exploit de 2019 pour s'élancer dans la future campagne présidentielle.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 novembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Louis Aliot.
Jordan Bardella.
Marine Le Pen.
Le congrès du RN.
Grégoire de Fournas.
Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?
Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...
52 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON