Royal veut son trône
Candidate un jour, candidate toujours : Ségolène n’en pouvait plus de patienter, et a préféré abattre ses cartes dès ce week-end. Pour prendre de vitesse Delanoë, son supposé meilleur rival, et aussi pour faire fructifier ce qu’il lui reste de « popularité » auprès des militants socialistes. Ce n’est pas gagné.
"Quand un pâtissier essaie de monter une pièce montée (...) pour une communion, un mariage, il y a la petite figurine au-dessus, elle est importante. Est-ce que le pâtissier commence à faire la figurine d’abord ? Non, en général, il commence à construire la pyramide. Il associe les choses". C’est Julien Dray qui parle ainsi, répliquant à l’annonce officielle de la double candidature de Ségolène Royal, candidate d’une part au poste de premier secrétaire du PS (la pièce montée) en lieu et place de son ex-compagnon Hollande, et d’autre part candidate à la candidature pour la future élection présidentielle de 2012 (la figurine). Le beurre et l’argent du beurre, le beurre incluant l’argent du beurre. Royal pense qu’il « va de soi » que le (ou la) chef du parti soit naturellement celui, ou celle, qui défendra les chances socialistes à l’élection suprême. Dray, lui aussi possible candidat au poste de premier secrétaire du PS, ne voit pas les choses de cette façon. L’ancien grand soutien de Ségolène lors de la bataille perdue de 2007 ne goûte plus les circonvolutions improvisées de la dame du Haut-Poitou. Et il n’est pas le seul : Hollande lui aussi trouve l’annonce de Royal trop précipitée : "Il y a des moments dans la préparation d’un congrès et aujourd’hui le moment essentiel c’est le débat d’idées, on va l’avoir avec les contributions et je veillerai à ce que ces temps-là soient respectés". Trop tôt, donc, selon l’ex, trop ambitieux selon Dray, trop cacophonique selon Cambadelis, soutien lui d’un autre éventuel candidat à tout, DSK. Cambadelis craint que le PS ne vire à la « pétaudière ».
Martine Aubry, elle aussi sur la ligne de départ, tranche plus net : elle estime que Ségolène n’est pas à la hauteur. « Je ne le crois pas, très franchement », a assuré la mère des 35 heures, avant de développer : "Parce qu’il nous faut vraiment retrouver la politique au sens plein du terme, c’est-à-dire avec des valeurs et avec les réponses d’aujourd’hui aux problèmes urgents des Français : le pouvoir d’achat, le logement, la santé". Ca ressemble comme deux gouttes d’eau aux procès en incompétence longuement menés contre Ségolène durant la dernière campagne présidentielle. Aubry est une possible candidate, et se dit proche de l’autre grand favori au poste, Bertrand Delanoë, ennemi juré de Royal. Et Aubry n’a pas intérêt à voir Ségolène s’installer à la tête du parti : Royal a en effet déjà annoncé que dans ce cas elle ne tolérerait aucun mot de travers, aucune réflexion désobligeante, que tous devraient se ranger derrière elle sous peine de « sanctions ». Ca va pas rigoler : "Ce qui s’est passé lors de la présidentielle a prouvé qu’il fallait une harmonie entre le principal parti d’opposition et le candidat ou la candidate" (…) "si un jour je suis à la tête du PS, les responsables ne pourront plus s’exprimer de façon désobligeante ou violente à l’égard d’autres socialistes". (…) "Il y aura des règles qui seront appliquées, il y aura des droits et des devoirs, il y aura des sanctions. Parce que je pense que nous avons une responsabilité commune de construire un parti fort, un parti uni, un parti où on se respecte. Les militants attendent d’être respectés et c’est le sens de ma démarche". Fichtre ! On savait la matrone de l’ordre juste très à cheval sur les principes, mais là on flirte avec une notion toute birmane de l’autorité !
Alors pourquoi Royal s’est-elle si subitement déclarée ? C’est la faute à Delanoë ! Le maire de Paris a le vent en poupe, si l’on ose dire, les sondages pour lui, et se préparait tranquillement à un congrès si ce n’est gagné d’avance, en tous les cas très préparé pour lui plaire, du côté de Toulouse. Sauf que c’est à Reims finalement que les socialistes iront sabler le champagne. Reims, c’est déjà une petite victoire pour les anti-Delanoë. Reims, terre très éloignée du jospinisme et d’une fédération de Haute-Garonne très contrôlée par les amateurs de l’ex-ami de Dalida. Mais Delanoë a d’autres cartes en main, et se prépare à une offensive médiatique peut-être aussi à l’origine de l’anticipation de Royal : un livre d’entretien avec Joffrin, le gourou de Libération, qui sort cette semaine, et puis, après Roland-Garros, une visite chez Drucker, juste avant les grands départs en vacances, idéal pour soigner sa popularité. Royal s’est vue d’un seul coup trop distancée, avec un retard impossible à combler, elle qui ne bénéficie pas d’une exposition médiatique comparable au maire de Paris, qu’on photographie aussi facilement au stade qu’aux enterrements people, aux manifestations contre la Chine qu’aux inaugurations de chrysanthèmes. Delanoë est peut-être le seul socialiste qui peut disputer à Bernard Kouchner la palme de l’homme de gauche le plus populaire. Entre les deux une différence majeure : Kouchner a préféré ne pas résister aux sirènes de l’exercice du pouvoir en rejoignant Sarkozy tandis que Delanoë, lui, ami de Sarkozy, n’a pas été sollicité par ce dernier. Mais, clairement, Bertrand est le grand rival de Ségolène, qui n’en voit pas d’autre, d’ailleurs. Elle a donc choisi de voler le départ, ainsi précipiter peut-être l’annonce officielle de son rival, qui peut aussi choisir de patienter, de respecter les règles de l’actuel premier secrétaire du parti, Hollande, qui ne tient plus ses troupes depuis la bérézina de mai 2007.
Pendant ce temps-là, Dominique Strauss-Kahn, le mari d’Anne Sainclair, se tâte. Il attend, il s’avance un peu, mais sans se prononcer. Lui aussi contrarié par l’annonce fanfaronesque de Royal, paraît vouloir montrer son jeu plus vite que prévu. Mais quel jeu ? Lui préférerait se place juste pour 2012, tandis que certains de ses amis le pressent de tenter d’abord l’investiture du parti. Mais DSK premier secrétaire, personne n’y croit. Pas plus que Moscovici premier secrétaire, ou Aubry premier secrétaire, ou Dray premier secrétaire. Les caciques socialistes, dans leur écrasante majorité ne souhaitent qu’une seule chose : voir perdre, une fois de plus, Ségolène Royal, et la voir du même coup dégager le plancher. Une défaite à l’investiture scellerait son sort pour la suite et l’obligerait enfin à rentrer dans le rang. Tous l’espèrent, sauf Jean-Louis Bianco, mais qui écoute Jean-Louis Bianco ? Et les caciques socialistes savent que le seul candidat capable aujourd’hui de faire dévisser Ségolène, c’est Delanoë, qui possède en plus un énorme avantage, celui de ne pas être un candidat crédible à 2012. Car l’enjeu est là, pour nombre de ces messieurs : choisir le bon cheval qui les mènera au retour à l’Elysée. Un cheval robuste, endurant, capable de supporter sur son dos nombre cavaliers.
On ne sait pas encore qui dégustera le champagne l’automne prochain à Reims, mais la pétaudière socialiste est bien partie pour flirter avec le grotesque, le ridicule ou l’inconcevable. Il se pourrait bien que Royal, très isolée et trop individualiste, y laisse ses dernières espérances, que la pièce montée se transforme en tarte à la crème.
52 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON